❁❁❁ Annales du patrimoine ❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁ N° 01 / 2004 ❁❁❁ © Annales du patrimoine
❁❁❁ Annales du patrimoine ❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁ N° 01 / 2004 ❁❁❁ © Annales du patrimoine, Mostaganem (Algérie) L’œuvre mystique de Uthmân dan Fodio (1754 - 1817) Dr Seyni Moumouni Université de Bordeaux, France En Afrique de l’ouest, s’est constitué au cours des siècles une tradition manuscrite remarquable. Cet héritage culturel est illustré par une importante production littéraire, par une impressionnante liste d’auteurs et par la célébrité historique des anciens centres religieux que furent Tombouctou, Gao, Agadez, Tiggidda, Kano et Sokoto comme centres de formation et de transmission de la culture arabo-islamique. Les études et recherches consacrées à l’histoire manifestent peu d’intérêt pour les sources écrites d’Afrique pré-coloniale. Ces sources n’ont été utilisées que comme supplément aux sources orales et européennes. Or, si l’on se réfère à l’historiographie africaine (soudan central et occidental) on s’aperçoit que celle-ci a été dominée par le thème de l’islamisation, de l’esclavage, du commerce et de la formation des Etats. Les premiers contacts remontent vers le VIIIe siècle avec les caravanes transsahariennes qui reliaient la savane au Maghreb et au Proche-Orient. Elles parcourent ensuite les états médiévaux du Ghana, du Mali, du Gao- Songhay, du pays haoussa et du Kanem-Bornu. Cette présence islamique s'appuie sur l'enseignement de l'écriture sacrée. Elle eut pour conséquence l'invention d'autres formes de communication, telle que l'écriture dite « ajami », l'écriture des langues locales jusqu'alors orales. La construction et surtout la vulgarisation de ce savoir au Soudan central à connu deux étapes importantes : - La première étape concerne la mise en place des bibliothèques des sources islamiques par la reproduction des grands recueils islamiques telles que : le Coran, la sunna prophétiques, les hadits et les grands traités juridiques et mystiques. - La seconde étape est marquée par la participation massive des auteurs africains à la création littéraire et à l'institutionnalisation de l'enseignement dans les grands centres religieux tels que Tombouctou, Agadez et Sokoto. Ces centres connurent d’intenses pratiques d’écriture. Au fil des siècles, ils ont joué à la fois un rôle d’islamisation et de consolidation de la culture arabo-islamique. La production du savoir islamique fut assurée dans un premier temps par des gens extérieurs à la région, des auteurs et voyageurs orientaux. Puis, par des générations successives d’auteurs locaux parmi eux des femmes Dr Seyni Moumouni 18 (‘Umû hânî, Nana Asmahu, fille Uthmân dan fodio) et des hommes (Ahmad Bâba, Mahmûd Kâti, Abdel Rahmân al-Sâ’di, les fodiawa, Elhaj Omar fûtî, Cheikh Moussa Kamara, Cheikh Marhaba...). Les disciplines traitées dans ces manuscrits sont diverses, parmi elles : les sciences religieuses et philosophiques, le soufisme, les sciences juridiques, les sciences sociales et économiques, l’histoire et géographie, la littérature, la grammaire, la rhétorique, la médecine (la pharmacopée), l’astronomie, etc. Les manuscrits constituent notre première source de travail, nous avons ainsi choisi dans cette étude de présenter un aperçu de histoire de la littérature religieuse en Afrique au sud du Sahara. Ensuite, en s’appuyant sur l’œuvre mystique du Cheikh Uthmân dan Fodio, nous évoquons ici, l’influence des maîtres à penser du monde arabo-musulman, de ces confréries sur le cheikh Uthmân dan Fodio et son rôle dans la diffusion du soufisme. La circulation des manuscrits sous différents régimes impériaux Au cours des siècles, les savants et leurs œuvres furent la cible des différents régimes impériaux qui se sont succédés en Afrique. Ils furent condamnés et contraints à l’exode, leurs œuvres furent censurées. Dans le Târîh al-Sûdân ‘Abdel-Rahmân al-Sâ’di mentionne les biographies de dix- sept savants de Tombouctou de différentes époques indiquant toutes les œuvres qu’ils ont produites. L’auteur signala dans son œuvre, les évènements qui ont suivi l’invasion de l’empire songhay (Mali) par le Maroc en 1593. Les exactions auxquelles se livrèrent les troupes marocaines durant ce conflit qui visèrent essentiellement les savants et leurs œuvres. Certains de ces savants furent déportés et leurs œuvres furent confisquées… ce fut le cas du Cheikh Ahmad Bâba qui a perdu toute sa bibliothèque (environ 700 ouvrages) au cours de son arrestation. Dans le royaume du Gobir, le prince imposa aux ulèmas un système d’autorisation préalable pour les prêches, les ateliers d’écriture et les lectures publiques. A l’occasion de la fête célébrant la fin du Ramadan, le sarkin Gobir Bawa dan Gwarzo rassembla les ulèmas à la cour et les offrait des cadeaux. Le Cheikh Uthmân dan Fodio lui proposa d’échanger son cadeau contre une autorisation de publier. Ce geste du Cheikh montre combien la censure pesait lourd sur l’activité des ulèmas. Aussi, le recours à l’écriture dite ajami (la transcription des langues locales à partir des lettres arabes) par les ulémas pourrait être considéré comme un moyen d’échapper à la surveillance. Mais dans cette situation, tout se qui tient à la littérature change dés que la politique change. En effet, nous pouvons dire que les empires pré-coloniaux ont manié avec force la censure, de même que les empires coloniaux n’ont pas hésité à la pratiquer. Ainsi, pendant la période coloniale la presse et littérature (religieuse) avaient L’œuvre mystique de Uthmân dan Fodio 19 une vie difficile. Des savants furent condamnés, déportés et contraints à l’exil, leurs œuvres furent détruites et confisquées. C’est le cas, du fonds Archinard de la bibliothèque nationale de Paris, cette collection environ 511 titres provient essentiellement de la bibliothèque de Chéku Ahmadu de Ségu (Mali) saisie par le Général Archinard en 1894. Ce fut aussi le cas des émigrés Peul et Haoussa qui ont fui, à partir de 1900, l’occupation britannique du Nigeria et se sont installés au Soudan, ces populations avaient emporté avec eux ce qu’elles pouvaient de leurs patrimoines. La circulation des manuscrits et des ouvrages arabes a fait l’objet d’une haute surveillance de la part de services administratifs institués par les métropoles. Toute cette période a donc été une période de très grande surveillance de la presse et du livre arabe. Les textes sont en ce sens des témoins de toutes les contraintes qui pèsent sur l’écriture avant et pendant la période coloniale. Cheikh Uthmân dan Fodio : figure mythique et mystique Le Cheikh Uthmân dan Fodio (1754-1817), est une figure quasi mythique de l’histoire de la pensée islamique en Afrique de l’Ouest. Né à Marata(1) en 1754, Uhtmân dan Fodio(2) est issu d’une famille peule qui possède une tradition savante et soufie avérée. Ce fut dans ce milieu familial hautement cultivé que le jeune Uthmân reçut l’essentiel de son éducation de base. Parmi ses maîtres, on trouve au premier rang son père, puis ses oncles, dont Muhammad Sambo ; il reçut auprès de lui l’enseignement des sciences religieuses notamment le hadith (récits) et le tafsîr (commentaires coraniques) jusqu’en en 1793. Mais, c’est surtout son maître Al-hâgg Gibril b. Umar connu sous le nom Malam Gibril dan Omar qui exerça une influence sur le jeune homme. Uthmân dan Fodio étudia auprès de lui durant une année, il apprit le fiqh (le droit musulman), entre autre les œuvres de Ahmad b. Idriss(3) (m. 1285) ; les œuvres de Muhammad b. yûsûf al-Sanûssî (m. 1490) parmi eux, les trois créneaux qui traitent du tawhîd (théologie) selon la doctrine Malikite(4) ce sont : al-kubra, al-wusta et al-sugra(5) (la grande, la moyenne et la petite). Il étudiait également auprès de lui le « Mukhtasar : ‘awwal et sânî » de khalîl (m.1374) ; le Shifa’ de Qadî ‘Iyâd (m.1149) ; les œuvres de l’Egyptien jalâl dîn ‘abd al-Rahman b. Abî Bakr al- Suyûtî (m. 1505), et de l’Algérien Abd al-karim al-Majilî al-Talamsanî (m. 1510). Le Cheikh consacra sa vie à l’enseignement, à la rédaction d’une œuvre abondante (prés de 103 titres édités ou manuscrits) et à l’éducation des disciple dans la zawiyya (hobèré : grand demeure) qu’il avait fondée. Certains parmi ses ouvrages nous livrent des témoignages importants sur sa vision du soufisme et sur ses expériences spirituelles comme le kitâb wa lamma balaghtu, et constituent des preuves pour accepter l’importance du Dr Seyni Moumouni 20 Tasawwuf dans la vie et l’œuvre du cheikh. D’autres, notamment les Kitâb Fatkh al-basâ’ir et Al-tafriqa bayna ‘ilm al-tasawwuf alladhî lil-taÌalluq wa bayna ‘ilm al-tasawwuf alladhî lil-taÎaqquq wa madâÎil ‘iblîs, le premier nous informe sur la position danfodienne en matière d’ijtihâd, sur l’acquittions du savoir islamique, et sur les relations socio-culturelles entre les élites et les gens du peuple dans l’organisation interne de l’empire ; le second réaffirme l’étendu de ses connaissance des sources du soufisme ancien. Quant aux kitâb salâsil qâdiriyya et salâsil dhahabiyya wa l-sâdât al- sûfiyya, ils contiennent de précieuses indications sur le début des turuq en Afrique, sur ses affiliations aux turuq et ses réceptions des hirqa. Ces traités nous fournissent des rares informations sur les étapes de la voie et sur la description des degrés de sainteté. Un ensemble de faits nouveaux qui nous permettra d’évaluer l’importance du soufisme dans le processus de réforme socio-politique et culturelle qu’il a entrepris(6). A l’époque du Cheikh, la tradition mystique était largement diffusé en Afrique à partir de l’axe walata (Mauritanie), Tombouctou (Mali), Agadez (Niger) et Sokoto (Nigeria). Les livres des grands sûfi comme Ghazalî, Muhâssibî, Ibn Arabî, Zarrûq, étaient introduits en Afrique avec d’autres classiques uploads/Litterature/ l-x27-oeuvre-mystique-de-uthman-dan-fodio-moumouni.pdf
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- Publié le Mai 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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