LES SOURCES DU LUXE DU ROI SALOMON 1 Les sources du luxe du roi Salomon Andrew

LES SOURCES DU LUXE DU ROI SALOMON 1 Les sources du luxe du roi Salomon Andrew Dalby Salomon aurait commencé à régner sur Israël vers 970 av. J.-C. Comme le Livre des Rois, les Chroniques, Esdras et Néhémie présentent une chro- nologie complète depuis l’accession au trône de Salomon jusqu’à certains événements de l’histoire assyrienne et perse qui sont datables avec certitude par d’autres sources. On pourrait même dater son règne de façon encore plus précise. Salomon devint le plus grand de tous les rois de la terre en richesse et en sagesse. Toute la terre cherchait à voir Salomon afn d’écouter la sagesse que Dieu avait mise dans son cœur. Chacun apportait son ofrande : objets d’argent et objets d’or, vêtements, armes aromates, chevaux et mulets ; et cela chaque année. […] La durée du règne de Salomon à Jérusalem, sur tout Israël, fut de quarante ans. Puis Salomon se coucha avec ses pères. [1 R 10, 23-25 ; 11, 42-43] La date à laquelle il « se coucha avec ses pères », selon ce calcul, se situe- rait vers 930 av. J.-C. Outre sa sagesse et ses conquêtes, Salomon est célèbre pour avoir construit le Temple, en sept ans. Le premier Livre des Rois indique, et parfois afrme sans équivoque, qu’il en ft les plans et les préparatifs. Les Livres des Chroniques, qui répètent presque mot pour mot le Livre des Rois, ajoutent aussi une longue histoire, assez diférente, selon laquelle le père de Salomon, David, aurait rassemblé les matériaux pour construire le temple et en aurait ANDREW DALBY 2 fait le projet ; mais Yahweh ne lui ayant pas permis de le bâtir, il aurait laissé cette tâche à son fls (1 Ch 22-29). La description du Temple [qu’on peut lire, quasiment dans les mêmes termes, dans le Livre des Rois et dans les Chroniques (1 R 6-7 et 2 Ch 3-4)] est si détaillée qu’on serait tenté de le reconstruire. Il a de fait été reconstruit à la fn du vie siècle av. J.-C. par les Juifs revenus à Jérusalem avec l’autori- sation du roi perse Cyrus ; il a été construit une troisième fois, à plus grande échelle, par le roi Hérode à la fn du ier siècle av. J.-C. Ce n’est pas tout. Il en existe plusieurs reconstitutions à petite échelle ; des architectes et d’autres passionnés ont fait des dessins détaillés du Temple, en accord avec les des- criptions bibliques ; des peintres l’ont représenté. Des chercheurs contem- porains ont accepté les deux descriptions bibliques du Temple comme litté- ralement exactes. Par exemple, Roland de Vaux, qui a mené des recherches sur les manuscrits de la Mer Morte, a écrit dans Les insitutions de l’Ancien Tesament (1958-1960), à propos des chapitres du premier Livre des Rois et du deuxième Livre des Chroniques suscités : Il est bien vrai qu’elle [la description du Temple] remonte à un docu- ment à peu près contemporain de la construction et que le rédacteur fnal a encore vu le Temple debout.1 Les deux mêmes sources décrivent, là encore en termes quasiment iden- tiques et de façon très détaillée, le palais que Salomon se construisit par la suite. Cela prit treize ans. Il bâtit aussi une maison pour la flle de Pharaon (la seule parmi ses sept cents épouses à recevoir un tel honneur). Il ft pour lui-même un grand trône d’ivoire qu’il revêtit d’or afné. Ce trône avait six degrés et un dossier arrondi ; il avait des accoudoirs de chaque côté du siège. Deux lions se tenaient à côté des accoudoirs et douze lions se tenaient de chaque côté, sur les six degrés. [1 R 10, 18-20] « On n’a rien fait de semblable dans aucun royaume », conclut le Livre des Rois, en des termes qui reviennent plusieurs fois au cours de l’histoire de Salomon. On les retrouve, par exemple, dans le conte romantique de la visite de la reine de Saba (une histoire que le peintre victorien Edward J. Poynter a com- 1. De Vaux R., Les institutions de l’Ancien Testament, Paris, 1958-1960 ; citation d’après Id., Ancient Israel: Its life and Institutions, Londres, 1961, p. 313. LES SOURCES DU LUXE DU ROI SALOMON 3 binée, de façon mémorable, avec une représentation appliquée et très précise du fameux trône de Salomon, avec ses six marches et ses douze lions d’or)2. Elle arriva à Jérusalem avec une suite très importante, avec des chameaux chargés d’aromates, d’or en grande quantité et de pierres précieuses […] Il n’arriva plus jamais autant d’aromates qu’en donna la reine de Saba au roi Salomon. [1 R 10, 2 et 10, 10] Il y a là un problème, que Roland de Vaux a bien vu. Presque immédia- tement après le passage cités ci-dessus, il admet qu’« il ne reste de ce bâti- ment glorieux aucune pierre visible ». Il écrit cela à propos du Temple ; il aurait pu écrire exactement la même chose à propos du trône, du palais et de la maison de la flle de Pharaon. La seule source, sur toutes ces constructions, est le texte du Livre des Rois. Les Chroniques ne constituent pas une source indépendante, car le récit du règne de Salomon dans les Chroniques n’est rien d’autre qu’une version tardive, légèrement remaniée de celle du Livre des Rois3. Les chercheurs ayant une approche diférente de celle de Roland de Vaux ont non seulement pu douter que Salomon ait construit le temple ainsi décrit, mais même douter que le royaume unifé d’Israël au xe siècle, gouverné depuis Jérusalem par David et Salomon successivement, ait réellement existé4. En ce qui concerne Jérusalem, la description littéraire ne peut donc être comparée à d’autres données indépendantes. Mais on peut prendre en considération, au-delà de Jérusalem, les lieux géographiques d’où les biens de luxe importés par Salomon sont supposés provenir. Les autres textes bibliques ofrent des indices et l’archéologie, jusqu’à un certain point, peut concorder avec les textes. Nous commencerons par Saba, la source immédiate, selon l’histoire de Salomon, des aromates, de l’or et des pierres précieuses, en quantités inégalées. La première de ces denrées était nécessaire aux rituels du Temple, les deux autres à sa décoration (« Il avait plaqué d’or toute la Maison, la Maison dans son entier », selon 1 R 6, 22). La Bible ofre plus d’une réponse à cette ques- tion géographique : trois Saba apparaissent dans l’ethnographie légendaire de 2. Sur ce tableau et son infuence, voir Llewellyn-Jones L., « Te Queen of Sheba in Western Popular Culture », in S.J. Simpson (dir.), Queen of Sheba: Treasures fom Ancient Yemen, Londres, 2002, p. 12-30. 3. Je propose les datations suivantes pour la composition des passages bibliques cités dans cet article : Ézéchiel, vers 575 av. J.-C. ; Genèse et premier Livre des Rois, ve siècle av. J.-C. ; Esdras et Néhémie, ve siècle av. J.-C. (mais édités plus tardivement) ; les Chroniques, vers 300 av. J.-C. 4. Voir en particulier Finkelstein I. et Silberman N.A., Te Bible Unearthed, New York, 2001 (traduction française : La Bible dévoilée, Paris, 2002). ANDREW DALBY 4 la Genèse. Deux d’entre eux se situent en Afrique du Nord-Est (Gn 10, 7) ; ils correspondent à deux endroits portant le même nom dans la géographie de Strabon, Saba et Sabai, tous deux, assez bizarrement, étant des sources d’ivoire (Strabon, Géographie 16.4.8, 16.4.10). Mais ce sont de fausses pistes. Seuls quelques Éthiopiens et wikipédiens prennent au sérieux l’idée que le Saba, d’où est venue l’invitée la plus célèbre de Salomon, serait le Soudan. Il n’y a pas lieu de mettre en doute l’idée que le Saba auquel pensait le rédacteur du Livre des Rois correspond au troisième Saba de la Genèse, qui se trouve en Arabie du Sud (Gn 10, 28) ou, en termes modernes, au nord-est du Yémen. Il n’y a absolument aucune preuve de contacts entre le Levant et les deux régions d’Afrique appelées Saba. Bien que je doive bientôt évoquer certaines difcul- tés quant aux relations entre Saba et Jérusalem, je dois tout de suite préciser qu’elles ne seraient pas résolues en cherchant Saba ailleurs qu’au Yémen. L’archéologie a confrmé ce qui était déjà évident d’après les descrip- tions des auteurs classiques sur la provenance et le commerce de l’encens et de la myrrhe : le royaume de Saba – le royaume des Sabéens, en termes grecs et romains – était forissant au milieu du ier millénaire av. J.-C. et le fut pendant environ mille ans. Sa capitale antique, Mariba, correspond à la ville actuelle de Ma’rib ; les inscriptions et les ruines trouvées aux environs confrment pleinement l’importance culturelle et économique de la cité, la construction la plus remarquable étant les restes du grand barrage dont la destruction, au ve siècle apr. J.-C., mit une fn brutale à la prospérité des Sabéens. Il y a cependant un problème : le commerce à longue distance et les contacts inter- nationaux des Sabéens se mettent en place, d’après les archéologues et les épigraphistes, au viiie siècle av. J.-C., deux uploads/Litterature/ les-sources-du-luxe-du-roi-salomon-2-pdf 1 .pdf

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