América : Cahiers du CRICCAL La rhétorique de l'identité dans La región más tra

América : Cahiers du CRICCAL La rhétorique de l'identité dans La región más transparente Florence Olivier Citer ce document / Cite this document : Olivier Florence. La rhétorique de l'identité dans La región más transparente. In: América : Cahiers du CRICCAL, n°22, 1999. Écrire le Mexique. pp. 113-128; doi : https://doi.org/10.3406/ameri.1999.1413 https://www.persee.fr/doc/ameri_0982-9237_1999_num_22_1_1413 Fichier pdf généré le 16/04/2018 M 3 La rhétorique de l'identité dans La region mâs transparente No cualquiera es Ixca Cienjuegos1 En 1968, parmi les héritages culturels dont se réclamait la toute jeune gauche universitaire de Mexico, La region mâs transparente, publiée dix ans plus tôt par un romancier d'à peine trente ans, faisait pendant aux textes de Lénine, rapporte avec une tendre ironie Paco Ignacio Taibo II dans 68, sa chronique et témoignage sentimental du mouvement étudiant : Carlos Fuentes nos habîa sorprendido con La region mâs transparente. Frente a las lecturas descontextuadas de Lenin, ahi estaba la version cientifica de cômo se habîa fraguado la nueva gran burguesfa mexicana, hija del matrimonio perverso de los générales sonorenses con las hijas mochas de la oligarquia de porfiristas o de los tenderos gachupines. Fuentes era la prueba de que la novela era también la historia. El D. F. solo podia ser visto desde las alturas del puente de Nonoalco. La literatura era realidad real.2 Lue et appréciée, à en croire Taibo, comme un texte d'histoire sociale, contemporaine et, avant tout, mexicaine, La region mâs transparente, ce Mexique écrit, séduisait donc cette génération par sa valeur référentielle, sa portée réaliste, mais non moins — vu l'ironie du propos — par sa nature romanesque, par ce bonheur de la coïncidence imaginaire entre roman et histoire. Et on ne saurait douter, sur la foi des adjectifs emphatiquement moraux du résumé que fait Taibo de cette lecture soixante-huitarde, que l'exaltation critique du roman du « jeune homme en colère » de 1958 emportait l'adhésion des jeunes gens en colère de 1968. A dix ans d'intervalle, le romancier et les étudiants n'avaient-ils pas, dans des champs très différents, celui — individuel — de la création littéraire, celui — collectif — de l'action politique, tenté d'étreindre le « Mexique », l'abstraction de la nation ou celle de la patrie, en affirmant leur appartenance critique à l'une ou à l'autre, en s'y donnant rôle et place ? 1 . Julio Cortâzar, « Carta a Carlos Fuentes » in Carlos Fuentes. Premio Miguel de Cervantes 1987, Madrid, Ministerio de Cultura, 1998, p. 9-13, p. 12 no cualquiera es Ixca ienfuegos, no cualquiera puede concentrar en unas paginas la tremenda fuerw que son los destinos de Zamacona, de Rodrigo Pola y de Robles. 2. Paco Ignacio Taibo II, 68, Mexico, Planète, 1991, 116 p., p. 17. 1 1 4 Florence Olivier « Patrie » est bien le terme politique que choisit Taibo pour désigner le pays perçu dans sa « réalité réelle » par des acteurs politiques l'ayant enfin rencontré dans leur lutte contre le pouvoir : El 68 nos dio ese combustible de resisîencia y terquedad que marcô al conjunto del movimiento, nos dio un sentido del lugar, una nociôn de patria ôseamente encarnada.1 Si le mouvement étudiant de 1968 est ainsi défini a posteriori par Paco Ignacio Taibo II comme une geste d'appartenance, le geste d'écriture de La region mâs transparente, dont l'objet est de nommer le Mexique en en rassemblant symboliquement les membres épars dans la fiction, fut suffisamment résolu et reconnu comme tel par la communauté intellectuelle nationale et internationale pour qu'au-delà des polémiques que suscita le roman à sa publication, son auteur apparaisse désormais comme le romancier mexicain. Quelque trente ans plus tard, le critique Christopher Dominguez Michael joue de la rhétorique exclamative pour le déplorer ironiquement dans son Antologia de la narrativa mexicana del siglo XX : La verdadera historia de Carlos Fuentes comienza con La region mâs transparente. Nacîan, como siameses, el genio y la figura, el autor y la obra [...] Fuentes peleaba, con una capacidad de combate nunca antes vista, en la arena iluminada del nacionalismo cultural. Su victoria es inolvidable. Dueno de todos los recursos artisticos, ahito de audacia, brillante hasta enceguecer, Fuentes fundaba la profesiôn de la novela. Desde entonces, hélas !, Mexico tiene a su novelista.2 L'évidence du lien symbolique d'appartenance du romancier à la nation — et vice-versa — instauré par La region mas transparente, s'imposait dès 1958 à un lecteur aussi étranger que privilégié : Julio Cortâzar, qui l'évoque ainsi dans une lettre adressée à Carlos Fuentes : Pero, Carlos, salvo para los que conocen como usted su Mexico, todo el comienzo del libro con sus entrecruzamientos, sus flash-backs, sus asomos de personajes... provocan (sic) no poca fatiga y exigen (sic) una cierta abnegaciôn del lector para salir finalmente adelante.3 On retiendra ici du commentaire de Julio Cortâzar non point tant une remarque sur la difficulté de lecture du texte, due à un maniement particulier de techniques narratives, que le reproche portant sur la soustraction partielle à la compréhension du lecteur de l'objet de la représentation, sorte d'objet du désir inutilement obscurci. L'appréciation critique du romancier argentin jette indirectement un éclairage sur la nature romanesque de La region mâs transparente. En effet, si cette dialectique 1. Paco Ignacio Taibo II, Ibid, p. 114. 2. Christopher Dominguez Michael, Antologia de la narrativa mexicana del siglo XX, tomo II, Mexico, FCE, Letras mexicanas, 1991, 1392 p, p. 15-16. 3. Cortâzar, op.cit. p. 10-11. LA RHÉTORIQUE DE L'IDENTITÉ DANS LA REGION MÂS TRANSPARENTE 1 15 entre l'exposition et l'obscurcissement de l'objet de la représentation n'est pas spécifique de l'écriture de Carlos Fuentes, dans la mesure où elle relève, dans la littérature contemporaine, des alliances entre le propos baroque et les modes narratifs du roman, elle n'en apparaît pas moins, dans le cas de La region mâs transparente, comme l'une des traces lisibles de l'extrême tension qui préside à cet autre rapport dialectique entre l'objet de la représentation et l'écriture romanesque en tant qu'objet dont ce roman est le produit ou, si l'on veut, l'ouvrage. Le propos baroque qui obscurcit l'objet de la représentation pour l'éclairer autrement, par le détour de l'écriture comme deuxième objet de la représentation ou ombre du premier, serait affaibli dans la mesure où l'économie du clair-obscur pécherait ici par excès du côté de l'écriture, lui offrant parfois le premier rôle, faisant d'elle l'objet d'une représentation trop spectaculaire parce que trop éclairée et trop peu éclairante. C'est ce déséquilibre que Julio Cortazar pointe dans sa lettre lorsqu'il compare l' Ulysse de Joyce à La region mâs transparente et souligne que les deux romans ne lui semblent pas poursuivre les mêmes fins, le second étant plus « social » et donc moins nécessiteux de ruptures formelles éblouissantes que le premier. On peut donc interpréter ce déséquilibre comme l'échec relatif de la tentative de résolution dans le texte d'une autre tension, celle que la position de l'écrivain — sa nécessité et sa volonté d'identifier le Mexique et de le nommer en un roman à la fois « social » et expérimental ; d'inscrire son identité d'auteur dans cet acte de double engagement — lui fait entretenir avec son objet duel : « l'écriture du Mexique ». Pour le dire en d'autres termes, l'économie de la représentation serait altérée parce que la relation entre le sujet : « Je » et son prédicat : « écris le Mexique » relève au moins autant de l'appropriation de l'objet que de son prêt au monde par le sujet. On l'aura compris, et nous ne faisons que renchérir ici sur les propos des autres critiques, « écrire le Mexique » n'était pas, en 1958, une mince gageure pour Carlos Fuentes. Il y allait de la fondation de son œuvre et du fondement de son appartenance au pays. L'acte littéraire avait, pour ainsi dire, valeur identitaire. L'ampleur du projet de représentation de La region mâs transparente : l'identité du Mexique condensée dans cet emblème ou signifiant majeur qu'est, dans le roman sa capitale ; la variété et l'abondance des moyens et des modes d'expression employés à cet effet attestent textuellement de la véhémence du double désir de l'écrivain : élan — passion-mexicaniste et passion — ambition — littéraire. D'où l'impression d'une dépense expressive et d'une complexité du texte qui exige en retour de son lecteur une dépense énergétique équivalente. Impression que lecteurs et critiques ont souvent exprimée par des métaphores telles que la colère, la lutte, l'impétuosité et l'audace du 116 Florence Olivier côté de l'écriture ; telle que la fatigue qu'implique le défi à relever du côté de la lecture : airado novelista mexicano ; capacidad de combate ; Carlos Fuentes, un tropel de caballos desbocados ; con usted hay que tirarse a fondo, devolver golpe por golpe la paliza que nos pega a los lectores con cada pagina de su libro} Cette dépense expressive ne laisse pas d'être régulée par une économie qui vise la cohérence et l'efficacité de l'expression. L'abondance et la variété des moyens et des modes d'expression de La region mas transparente est ainsi ordonnée uploads/Litterature/ olivier-florence-ecrire-le-mexique.pdf

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