Les Surfaces des corps ou la promesse de l’empreinte dans P` elerinage d’un art
Les Surfaces des corps ou la promesse de l’empreinte dans P` elerinage d’un artiste amoureux, de Abdelk´ ebir Khatibi Annick Gendre To cite this version: Annick Gendre. Les Surfaces des corps ou la promesse de l’empreinte dans P` elerinage d’un artiste amoureux, de Abdelk´ ebir Khatibi. Inscriptions de la trace, Khatibi ou la pens´ ee des interstices, Mar 2010, Kenitra, Maroc. <hal-00563565> HAL Id: hal-00563565 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00563565 Submitted on 6 Feb 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. 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C’est à l’universalité de cette exigence dont témoigne Pèlerinage d’un artiste amoureux que nous souhaiterions rendre hommage dans ces pages. Universalité dans l’itinéraire d’homme que déploie la diégèse de cette fiction, universalité dans l’écriture de ce déploiement qu’initie ce texte de la maturité et qui corrobore l’unité de l’œuvre scripturaire, littéraire et critique, d’Abdelkébir Khatibi. La valeur de l’échange s’expose dans le dialogisme entre le contenu du texte, sa structure et sa forme. En témoigne le post-scriptum liminaire qui désigne comme missive la relation du parcours scripturaire, composée de seize chapitres. La lettre, son dialogue à distance, constitue également le point de départ et le moteur de l’intrigue : la découverte que fait le personnage principal, Raïssi, de deux lettres signées par un mystérieux Rachid Madroub et des ossements d’une femme, emmurés, est convoquée au seuil du récit, comme nécessaire pour être mieux abandonnée, afin d’être reprise autrement. Ainsi, s’il commence par une intrigue à suspens, le texte re-trace-t-il le parcours intime de Raïssi, — parcours qui conjugue une quête spirituelle et l’avènement à soi-même. Dès ses premières lignes, le récit dialogue avec les autres textes khatibiens. Ce personnage de l’avant-dernier récit d’Abdelkébir Khatibi apparaît en effet très tôt dans l’œuvre de l’écrivain. En effet, introduit dès la première « Série hasardeuse » de La Mémoire tatouée, Autobiographie d’un décolonisé, il semble nécessaire à l’itinérance scripturaire de l’auteur : Le grand-père paternel, à la fin du siècle, fut pris d’une folie d’évasion. […] Il abandonna sa famille, arriva à la Mecque, par des moyens compliqués, marche à pied, dos de chameau et un bateau qui échoua. Il fut sauvé, sans doute, par l’astuce inexorable de l’anecdote. Après un séjour d’un ou deux ans à la Mecque, on le retrouva ensuite dans sa famille à Fès. Puis, pour des raisons encore mystérieuses, reprit son aventure à travers le Maroc, ciselant le stuc et le marbre. La fin du récit l’installe à la campagne, le fait mourir tranquillement, comblé d’enfants1 . Dans l’écriture fictionnelle de Khatibi, le grand-père paternel inscrit « Raïssi », le personnage, dans une lignée d’hommes, dans une lignée de devenirs d’hommes. En effet, ces quelques lignes dans lesquelles l’autobiographe résume les grandes escales de la vie de son ancêtre correspondent aux temps forts de l’histoire de vie du personnage « Raïssi ». De plus, sa « folie d’évasion » ne manque pas d’évoquer le personnage avancé dans l’âge, au chapitre 15, du Pèlerinage, intitulé « Evasion ». Pour l’auteur de La Blessure du nom propre, choisir ce prénom Raïssi, pour ce personnage, figure d’un être nouveau déjà là, ne saurait être une décision fortuite. Raïssi ou « celui qui vient en tête », « celui qui est relatif au rais », « celui qui s’inscrit dans ce qui appartient au raïs » et selon une traduction littérale qui en passerait par le français et qui s’attacherait à rendre l’affixe i d’appartenance, « celui de l’appartenance ». Le passage du roman à la troisième personne à un récit auto-narrativisé à la première personne, à partir du chapitre « Fuite en avant », page 217, semble valider ces quatre hypothèses de translation. L’enjeu de cette exploration fictionnelle à laquelle Khatibi convie son lecteur, cet investissement de la « danse des signes », pour reprendre l’expression du narrateur, se livre encore dès l’incipit de ce chapitre : « Voici que le passé tombe sur moi comme une révélation. » (p. 217). Pour les cultures coraniques, révélation vaut transcription. Cette phrase inaugurale du chapitre entre en résonnance, comme si son auteur faisait réponse, dans ce lieu-ci du texte, à ces lignes écrites trente ans plus tôt par son ami Jacques Derrida : « Le texte r(est)e — tombe, la signature r(est)e — tombe — le texte. La signature reste demeure et tombe. Le texte travaille à en faire son deuil. Et réciproquement. Recoupe sans fin du nom et du verbe, du nom propre et du nom commun dans le cas du rebut. » (Jacques Derrida, 19741, 2004 : 10-11). Publié deux ans après la mort de Derrida, Le Pèlerinage d’un artiste amoureux appose de multiples façons, re-tombe, sa signature à cet autre entretien infini, d’une connivence sans faille, marquée dès son surgissement par une double publication, en 1974, pour l’un comme pour l’autre, de La Blessure du nom propre et de Glas, essai pour lequel Khatibi ne cache pas son admiration2. Solides ou charnelles, les surfaces corporelles (« la pierre, le marbre, le bois », auxquelles on ajoutera la peau et la page, mais aussi le mirage et l’image) convoquées dans le récit sont sans 1 La Mémoire tatouée, Autobiographie d’un décolonisé, Paris, Editions de la Différence, 2008, p. 42. 2 Maghreb pluriel, Paris, Denoël, 1983, p. 163 : « Inutile de dire que Glas est un texte exceptionnel, mais on l’oublie souvent. » ; Jacques Derrida, en effet, L’Hay-Les-Roses, Al Manar, « Approches et rencontres », 2007, p. 14. exception otage d’une geste qui est celle de l’inscription, comme celle de l’acte d’écrire, de signer. Malléables, parce qu’elles reçoivent, non malléables, car elles résistent ; évanescentes, parce qu’elles se prêtent à la transformation et à la sublimation d’elles-mêmes, non évanescentes, quand elles montrent l’empreinte de l’instant. Promesses de l’empreinte de l’inscription en cours, ces surfaces manifestent la khôra telle que la déplie Jacques Derrida, ami indéfectible d’écriture et de pensée de Khatibi. D’un hommage l’autre, relisons seulement : « Celle-ci [khôra] figure le lieu d’inscription de tout ce qui au monde se marque. » (Jacques Derrida, 1993 : 52) et « Elle [khôra] arrive dans […] un lieu où tout se marque mais qui serait « en lui-même » non marqué. » (Jacques Derrida, ibid. : 59). Non marquées en effet, ces surfaces, sans quoi elles ne sauraient permettre l’épiphanie de l’inscription en devenir. Réceptacles à demeure de ce « geste indéterminé », donc libre. L’artiste fictionnel et son inventeur ont bel et bien en commun de « maintenir, dans le respect, ce qui est dissidence dans toute force sensible de la vie » (Abdelkébir Khatibi, 2007 : 78). Comme le signale le passage du récit narrativisé au récit auto-narrativisé, un parcours scripturaire inédit, qui refuse aux voix qui racontent d’être scribes, semble solidaire tant du voyage fictionnel que de l’itinérance intérieure de Raïssi. La première étape de ce projet de lecture consiste à faire entendre comment ces voix travaillent à l’édification « consciente d’elle-même » du personnage en tant que sujet. Toutes interpellent la permanence de « la danse des signes ». De la danse des signes à la danse des filigranes des femmes : dans le faisceau des personnages féminins, trois figures féminines entourent le stucateur de leur amour et l’accompagnent dans son parcours : la Sicilienne, Mademoiselle Matisse et Dawiya. Toutes trois, dans leur être comme dans leur volupté, sont nécessaires et complémentaires dans son devenir père. Quelle relation anime ces promesses de l’empreinte et cette économie du désir, qui convie la trace-surface à un acte de dissidence ? Pour quelle machine de guerre, ce nomadisme des surfaces des corps ? I. Des Paroles non scribes Notre propos n’est pas de rendre compte ici de la complexité de l’intertextualité khatibienne3. Les paroles non scribes requièrent notre attention pour leur fonction dans la « danse des signes » et leurs effets perçus sur les surfaces des corps. Manifestés dans et par le récit, leurs énoncés appellent plusieurs remarques préalables. Tout d’abord, ils appartiennent à un uploads/Litterature/ les-surfaces-des-corps-ou-la-promesse-de-l-empreinte-dans-pelerinage-d-un-artiste-amoureux-de-abdelkebir-khatibi.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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