1 Des usages sociaux du D.E.U.G de Paris 8 : Ségrégation sociale, demandes péda
1 Des usages sociaux du D.E.U.G de Paris 8 : Ségrégation sociale, demandes pédagogiques et habitus disciplinaires Le Gall Brice Soulié Charles (Article paru dans : Obstacles et succès scolaires, textes réunis par Maria Drosile Vasconcellos, Travaux et recherches, Editions du conseil scientifique de l’Université Charles de Gaulle Lille3, 2006, p 81 à 119) « Ecoute la divine parole du savoir. » (slogan reproduit sur un des murs de l’ancienne université de Vincennes) En raison de l’augmentation générale du niveau de formation, un nombre croissant de jeunes accèdent aujourd’hui à l’enseignement supérieur. Ainsi, le nombre d’inscrits y est passé de 854.000 en 1970, à plus de 2.209.000 en 20021. Celui-ci s’est donc largement ouvert à de « nouveaux publics ». Mais l’analyse révèle que cette ouverture varie selon les institutions, disciplines concernées. Ainsi, c’est d’abord l’enseignement supérieur court (I.U.T, S.T.S) qui ces vingt dernières années s’est particulièrement développé, ainsi que les écoles d’ingénieurs et de commerce, soit des segments directement professionnalisant. Concernant l’université proprement dite, il apparaît que ce sont surtout l’économie/gestion (et plus particulièrement la gestion)2, les sciences et les S.T.A.P.S qui ont fortement augmenté leurs effectifs (les sciences connaissant néanmoins une décrue de leur effectifs depuis le milieu des années 1990, et plus particulièrement les disciplines dîtes « fondamentales »), tandis qu’en droit les effectifs n’augmentaient que très légèrement, et qu’ils régressent même en médecine. Ces évolutions différenciées, comme le malthusianisme de certaines filières (les « grandes écoles » par exemple n’ayant pas vraiment ouvert leurs portes) expliquent en partie pourquoi la « massification contemporaine » de l’enseignement supérieur ne soit pas synonyme de « démocratisation ». Ainsi, l’étude du recrutement social des principales filières de l’enseignement supérieur révèle qu’en 2002/2003 la proportion d’enfants de cadres supérieurs/professions libérales passe de 49,6% en classes préparatoires aux grandes écoles (C.P.G.E), à 45,1% à la médecine, 37,4% au droit, 35,4% aux sciences et S.T.A.P.S, 29,9% à l’économie, 27,4% aux lettres, 26,4% aux I.U.T et 13,7% aux S.T.S.3 Ce recrutement social, - mais aussi scolaire- , très différencié explique aussi pourquoi la question de « l’adaptation » aux « nouveaux publics » de l’enseignement supérieur (et notamment aux bacheliers technologiques et professionnels, qui en 2002 représentaient 47,7% des nouveaux bacheliers)4 ne se pose pas avec la même vigueur selon les établissement, disciplines concernés. Ainsi à l’université, les « nouveaux étudiants » sont proportionnellement plus nombreux en première année d’A.E.S, sciences humaines et sociales (psychologie et sociologie notamment, les disciplines de lettres en comptant nettement moins), S.T.A.P.S et droit, alors qu’ils sont très peu présents en médecine, ou en sciences5. 1 Ministère de l’éducation nationale, Repères et références statistiques, éd. 2003, p 17 et 149. 2 Ce qui contribue sans doute à favoriser le développement d’une vision économiciste du monde social, laquelle s’exprime de plus en plus vigoureusement à l’intérieur même du monde académique. 3 Ministère de l’éducation nationale, Repères et références statistiques, éd. 2003, p 171. 4 Ministère de l’éducation nationale, Repères et références statistiques, éd. 2003, p 195. 5 Ministère de l’éducation nationale, Repères et références statistiques, éd. 2003, p 177. 2 Afin d’approfondir ces questions de différenciation interne à l’enseignement supérieur, une enquête par questionnaires, observations et entretiens a été lancée à la rentrée 2002/2003 auprès d’étudiants de D.E.U.G de Paris 8 présents en cours et provenant d’une dizaine de disciplines différentes6. L’hypothèse que nous faisions est qu’au sein d’un même établissement rassemblant des étudiants de lettres et sciences humaines et sociales, mais aussi d’économie, droit, arts, etc., les « nouveaux publics » de l’enseignement supérieur occupent une place très variable selon les disciplines, ce qui rejaillit ensuite sur leurs attentes pédagogiques, pratiques d’études, lesquelles sont à rapporter aussi aux habitus disciplinaires propres à chaque discipline, comme à leurs fonctions sociales et professionnelles. Dans la continuité d’une enquête précédente, nous nous intéresserons plus spécialement à leur réception du cours magistral, sachant que celui-ci occupe encore une place essentielle dans la plupart des disciplines de Paris 8. Paris 8, un microcosme singulier L’université de Paris 8 Vincennes-St Denis, qui a servi de cadre à cette enquête, se singularise de plusieurs manières. Tout d’abord, rappelons qu’elle a été créée en 1968 en réaction à l’enseignement jugé sclérosé, pédagogiquement rétrograde et élitiste, délivré par la Sorbonne.7 Elle forgera sa spécificité sur des principes tels qu’une pédagogie interactive et en petits groupes (relativisation du « cours d’amphi », comme du cours magistral), la systématisation des enseignements pluridisciplinaires, des formations et des diplômes propres, l’ouverture de filières échappant à la tradition académique comme le cinéma ou la psychanalyse par exemple, ainsi que par l’accueil des non-bacheliers et salariés.8 Elle fut aussi un des points de ralliement de l’avant garde intellectuelle, et politique, de l’époque, qui pu ainsi y remettre en cause l’orthodoxie académique9. Ses caractéristiques attiraient alors un public particulier, à la fois salarié, non-bachelier et étranger, et nettement plus âgé que la moyenne nationale10. Les étudiants salariés en reprise d’études notamment, et pour lesquels 6 Nous n’avons pas enquêté l’ensemble des D.E.U.G de Paris 8, mais une sélection raisonnée de ceux-ci (économie, droit, géographie, histoire, psychologie, communication, anthropologie, arts plastiques et cinéma). 1.594 questionnaires ont été recueillis et une dizaine d’entretiens ont été réalisés. Globalement, le rapport est de un questionnaire récolté pour trois inscrits, les étudiants en histoire étant les plus assidus aux cours et ceux en cinéma le moins, signe d’un rapport spécifique aux études. Inversement, la discipline cinéma semble particulièrement « attractive ». En effet, plus de 40% du public présent en cours y est à titre d’U.E « de découverte » et provient donc d’autres départements de Paris 8. Nous remercions l’ensemble des répondants et enseignants, ainsi que les étudiants de Licence/Maîtrise du département de sociologie de Paris 8 ayant collaboré à cette enquête, en l’occurrence : Alexis Gisèle, Baharel Alena, Bassi Oulfa, Biareshchanka Ludmila, Cetin Aydiney Cyrille, Chaffotte Coralie, Cioni David, De Priester Vanessa, Dire Gaspard, Gnoan Amanda, Gudiel Katia, Haik Yaakov, Hamda Ijlal, Hassani Amir, Hakkou Essaid, Keita Abdoulaye, Lim Ji Young, Mabigue Bidanam, Mooken Wendy, Rodrigues Gabrielle, Sellami Capelle Mélissa, Tagawa Chihiro, Takemoto Chisa, Thamin Jean Baptiste, Traoré Chrystelle, Zuili Valérie. Un grand merci aussi à Siby Mariamou, pour son témoignage. La diversité des noms/prénoms des étudiants ayant participé à cette enquête donne une première idée de la diversité du public étudiant de Paris 8. 7 Pour une première description, critique, de cet enseignement : « La Sorbonne par elle-même », numéro spécial du Mouvement social, n°64, 1968. 8 Ministère de l’Education Nationale, Comité National d’Evaluation, Rapport d’évaluation, L’université ParisVIII-Vincennes à Saint-Denis, octobre 1988, chapitre1, p 1. 9 On trouvera un exemple de remise en cause de l’orthodoxie pédagogique dans: « Disparité et non hiérarchie », Châtelet. F, in Vincennes ou le désir d’apprendre, ouvrage collectif publié sous la direction de Brunet. J et alim, Alain Moreau, 1979, p 126 et suivantes. 10 Ainsi en 1979/1980, soit lors de sa dernière année sur le site de Vincennes, Paris 8 comptait 40% d’étudiants étrangers, 35% de non bacheliers et 37% de salariés à temps plein. De même, la moyenne d’âge y était de 29 ans, contre 22 ans pour l’ensemble des universités françaises. Cf. Soulié.C, « Le destin d’un institution d’avant- garde : Histoire du département de philosophie de Paris VIII », Histoire de l’éducation, n° 77, 1998, p 67. 3 Paris 8 représentait l’université de la « seconde chance », formaient une part non négligeable du public et se distinguaient souvent par leur motivation. Mais en 1980, Paris VIII est délocalisée autoritairement à Saint-Denis par Alice Saunier-Séité, alors ministre des universités, et ce transfert constitue un tournant dans son histoire, tant il transforme en profondeur son public et contribuera à « normaliser » une université, à l’origine « expérimentale ». En effet, si en 2001-2002, Paris 8 reste l’université française comptant le plus fort pourcentage d’étudiants étrangers, ces derniers formant 30,1 % de la population étudiante et la majorité (56%) étant d’origine africaine11, le nombre de salariés et de non-bacheliers a nettement diminué. Mais plus important encore, et sous l’effet de la sectorisation, en 1er cycle Paris 8 recrute désormais prioritairement dans le 93. Ainsi en 2001/2002, 29% de ses étudiants y résident (contre 21% en 1989/1990). 12 Or, et comme le souligne le rapport du recteur Fortier13, la population de Seine-Saint- Denis, du 9-3, est particulièrement déshéritée et stigmatisée comparée à celle de Paris par exemple. En effet, elle se caractérise à la fois par le plus fort taux d’étrangers de France (18,7%)14, un taux d’immigrés particulièrement important (21,8%)15, un taux de chômage de presque cinq points supérieur à la moyenne nationale16, une concentration de logements sociaux17, et le taux le plus élevé de familles monoparentales de France métropolitaine (14,7%)18. Les élèves de la Seine-Saint-Denis sont donc particulièrement peu dotés en termes de capital économique, social et culturel, ce qui se répercute ensuite sur leur scolarité, rapport aux études, degré de politisation, etc. Ainsi, et concernant déjà l’enseignement secondaire, on sait qu’en 2003 et dans l’académie de Créteil, dont fait partie ce département avec la Seine uploads/Litterature/ les-usages-du-deug-critique-pdf.pdf
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