Montesquieu Lettres persanes Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de

Montesquieu Lettres persanes Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu 1689-1755 • moraliste • penseur politique • philosophe • écrivain Lettres persanes (1721) – publication anonyme (Amsterdam) voyage en Europe: Autriche, Hongrie, Italie (1728), Allemagne (1729), Hollande, séjour d’un an en Angleterre (1730) Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) De l’esprit des lois, traité de théorie politique publié à Genève en 1748, sans nom d’auteur INTRODUCTION (1721) Je ne fais point ici d’épître dédicatoire, et je ne demande point de protection pour ce livre : on le lira, s’il est bon ; et, s’il est mauvais, je ne me soucie pas qu’on le lise. J’ai détaché ces premières lettres, pour essayer le goût du public ; j’en ai un grand nombre d’autres dans mon portefeuille, que je pourrai lui donner dans la suite. Mais c’est à condition que je ne serai pas connu : car, si l’on vient à savoir mon nom, dès ce moment je me tais. Je connois une femme qui marche assez bien, mais qui boite dès qu’on la regarde. C’est assez des défauts de l’ouvrage, sans que je présente encore à la critique ceux de ma personne. Si l’on savoit qui je suis, on dirait : Son livre jure avec son caractère, il devroit employer son temps à quelque chose de mieux, cela n’est pas digne d’un homme grave. Les critiques ne manquent jamais ces sortes de réflexions, parce qu’on les peut faire sans essayer beaucoup son esprit. Les Persans qui écrivent ici étoient logés avec moi ; nous passions notre vie ensemble. Comme ils me regardoient comme un homme d’un autre monde, ils ne me cachoient rien. En effet, des gens transplantés de si loin ne pouvoient plus avoir de secrets. Ils me communiquoient la plupart de leurs lettres ; je les copiai. J’en surpris même quelques- unes dont ils se seroient bien gardés de me faire confidence, tant elles étoient mortifiantes pour la vanité et la jalousie persane. Je ne fais donc que l’office de traducteur : toute ma peine a été de mettre l’ouvrage à nos mœurs. J’ai soulagé le lecteur du langage asiatique autant que je l’ai pu, et l’ai sauvé d’une infinité d’expressions sublimes, qui l’auroient ennuyé jusque dans les nues. Mais ce n’est pas tout ce que j’ai fait pour lui. J’ai retranché les longs compliments, dont les Orientaux ne sont pas moins prodigues que nous ; et j’ai passé un nombre infini de ces minuties qui ont tant de peine à soutenir le grand jour, et qui doivent toujours mourir entre deux amis. Si la plupart de ceux qui nous ont donné des recueils de lettres avoient fait de même ; ils auroient vu leurs ouvrages s’évanouir. Il y a une chose qui m’a souvent étonné : c’est de voir ces Persans quelquefois aussi instruits que moi-même des mœurs et des manières de la nation, jusqu’à en connoître les plus fines circonstances, et à remarquer des choses qui, je suis sûr, ont échappé à bien des Allemands qui ont voyagé en France. J’attribue cela au long séjour qu’ils y ont fait : sans compter qu’il est plus facile à un Asiatique de s’instruire des mœurs des François dans un an, qu’il ne l’est à un François de s’instruire des mœurs des Asiatiques dans quatre ; parce que les uns se livrent autant que les autres se communiquent peu. L’usage a permis à tout traducteur, et même au plus barbare commentateur, d’orner la tête de sa version, ou de sa glose, du panégyrique de l’original, et d’en relever l’utilité, le mérite et l’excellence. Je ne l’ai point fait : on en devinera facilement les raisons. Une des meilleures est que ce serait une chose très- ennuyeuse, placée dans un lieu déjà très-ennuyeux de lui-même, je veux dire une préface. THÈMES • Voyage • Exotique • Quête des connaissances / du savoir / de la sagesse LETTRE I. USBEK À SON AMI RUSTAN. À Ispahan. Nous n’avons séjourné qu’un jour à Com. Lorsque nous eûmes fait nos dévotions sur le tombeau de la vierge qui a mis au monde douze prophètes, nous nous remîmes en chemin, et hier, vingt-cinquième jour de notre départ d’Ispahan, nous arrivâmes à Tauris. Rica et moi sommes peut-être les premiers parmi les Persans que l’envie de savoir ait fait sortir de leur pays, et qui aient renoncé aux douceurs d’une vie tranquille pour aller chercher laborieusement la sagesse. Nous sommes nés dans un royaume florissant ; mais nous n’avons pas cru que ses bornes fussent celles de nos connoissances, et que la lumière orientale dût seule nous éclairer. Mande-moi ce que l’on dit de notre voyage ; ne me flatte point : je ne compte pas sur un grand nombre d’approbateurs. Adresse ta lettre à Erzeron, où je séjournerai quelque temps. Adieu, mon cher Rustan. sois assuré qu’en quelque lieu du monde où je sois, tu as un ami fidèle. De Tauris, le 15 de la lune de Saphar, 1711. List I USBEK DO PRZYJACIELA SWEGO RUSTANA, W ISPAHAN Zabawiliśmy w Kom tylko jeden dzień. Odprawiwszy modły na grobie Dziewicy, która wydała na świat dwunastu proroków, puściliśmy się w drogę; wczoraj, dwudziestego piątego dnia od wyjazdu z Ispahan, przybyliśmy do Taurydy. Rika i ja jesteśmy może pierwsi z Persów, którym pragnienie wiedzy kazało opuścić kraj rodzinny i którzy się wyrzekli słodyczy spokojnego życia, aby w mozole poszukiwać mądrości. Urodziliśmy się w kwitnącym i szczęśliwym królestwie; ale nie sądziliśmy, aby jego granice miały być granicami naszej wiedzy i aby jedynie światło Wschodu miało nas oświecać. Donieś mi, co mówią o naszej podróży; nie schlebiaj mi: nie liczę na zbytnią mnogość tych, którzy jej przyklasną. Pisz do Erzerun, gdzie zabawię czas jakiś. Bądź zdrów, drogi Rustanie. Bądź pewny, że w jakim bądź miejscu świata się znajduję, zawsze masz we mnie serdecznego przyjaciela. Z Taurydy, 15 dnia księżyca Saphar, 1711 Lettre 28 Rica à***. Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu’elle se passe tous les jours à Paris. Tout le peuple s’assemble sur la fin de l’après-dînée, et va jouer une espèce de scène que j’ai entendu appeler comédie. Le grand mouvement est sur une estrade, qu’on nomme le théâtre. Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits qu’on nomme loges, des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse. Ici, c’est une amante affligée qui exprime sa langueur ; une autre, plus animée, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même : toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui, pour être muette, n’en est que plus vive. Là, les actrices ne paraissent qu’à demi-corps, et ont ordinairement un manchon, par modestie, pour cacher leurs bras. Il y a en bas une troupe de gens debout, qui se moquent de ceux qui sont en haut sur le théâtre, et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas. Mais ceux qui prennent le plus de peine sont quelques gens qu’on prend pour cet effet dans un âge peu avancé, pour soutenir la fatigue. Ils sont obligés d’être partout : ils passent par des endroits qu’eux seuls connaissent, montent avec une adresse surprenante d’étage en étage ; ils sont en haut, en bas, dans toutes les loges ; ils plongent, pour ainsi dire ; on les perd, ils reparaissent ; souvent ils quittent le lieu de la scène et vont jouer dans un autre. On en voit même qui, par un prodige qu’on n’aurait osé espérer de leurs béquilles, marchent et vont comme les autres. Enfin on se rend à des salles où l’on joue une comédie particulière : on commence par des révérences, on continue par des embrassades. On dit que la connaissance la plus légère met un homme en droit d’en étouffer un autre. Il semble que le lieu inspire de la tendresse. En effet, on dit que les princesses qui y règnent ne sont point cruelles, et, si on en excepte deux ou trois heures du jour, où elles sont assez sauvages, on peut dire que le reste du temps elles sont traitables, et que c’est une ivresse qui les quitte aisément. Allusion à la Révocation de l’Édit de Nantes (1685) Lettre 86 [85] Usbek à Mirza, à Ispahan. Tu sais, Mirza, que quelques ministres de Chah Soliman avaient formé le dessein d’obliger tous les Arméniens de Perse de quitter le royaume ou de se faire mahométans, dans la pensée que notre empire serait toujours pollué, tandis qu’il garderait dans son sein ces infidèles. C’était fait de la grandeur persane, si, dans cette occasion, l’aveugle dévotion avait été écoutée. On ne sait comment la chose manqua : ni ceux qui firent la proposition, ni ceux qui la rejetèrent, n’en connurent les conséquences ; le hasard fit l’office de la raison et de la politique, et sauva l’empire d’un péril plus grand que celui qu’il aurait pu courir de uploads/Litterature/ lettres-persanes-0.pdf

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