LA PHRASE SELON LES BROUILLONS : UN TRAJET ENTRE L'ORAL ET L'ÉCRIT Catherine Bo

LA PHRASE SELON LES BROUILLONS : UN TRAJET ENTRE L'ORAL ET L'ÉCRIT Catherine Boré, Catherine Bosredon Armand Colin | « Le français aujourd'hui » 2013/2 n°181 | pages 13 à 24 ISSN 0184-7732 ISBN 9782200928476 DOI 10.3917/lfa.181.0013 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2013-2-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Seguin (1993) de son côté a bien montré comment la « période » disparait d’abord de la prose narrative puis, au cours du XVIIIe siècle, se déstructure. S’ensuit un « resserrement de la phrase et un sectionnement de la période ». Cette évolution conduira à la phrase moderne. C’est, à la fin du XVIIIe, une unité intonative close / une unité sémantique / une unité syntaxique / une unité stylistique. À partir de la seconde moitié du XIXe, la grammaire scolaire contribue à fixer le concept de phrase qui devient le cadre et l’objet de base de la description grammaticale. L’étude des manuels (Gourdet 2008), celle des annotations qui sont portées dans les copies (Fournier 1999), semblent montrer que la phrase constitue le parangon de la norme scripturale. Ainsi par exemple les manuels accordent peu de place à la phrase averbale qui apparait comme une version incomplète de la phrase verbale : les enseignants les rejettent, même si certaines sont syntaxiquement acceptables. Les annotations d’enseignants de collège étudiées par J.-M. Fournier montrent que ces derniers stigmatisent les constructions dans lesquelles la subordonnée est coupée de sa principale par un point ou dont la principale est absente. Certains, même, modifient la ponctuation, la majuscule et produisent une autre phrase que celle conçue par l’élève ou ajoutent d’eux-mêmes une principale. C’est un des rares cas d’annotations se rapportant à la syntaxe qui permet de dégager un aspect du modèle syntaxique auquel devrait répondre l’écriture scolaire. L’étroite cohésion entre l’objet phrase, la grammaire et les modèles d’écriture relève donc d’une histoire, maintenant largement connue. Mais qu’en est-il des apprentis-scripteurs confrontés précocement à cet objet ? On reconnaitra en effet dans la phrase un objet familier des élèves depuis les plus petites classes de l’école maternelle. Mais il fait partie en même temps des termes métalinguistiques par lesquels les maitres désignent une réalité hétérogène et non interrogée (Branca-Rosoff et Gomila 2004 : 120) : selon que la phrase est définie en grammaire par sa forme graphique, qu’elle rticle on line rticle on line © Armand Colin | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.65.7.173) © Armand Colin | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.65.7.173) Le Français aujourd’hui n° 181, « Écrits d’élèves, contraintes de la langue » est réclamée à l’oral comme production concrète pour complémenter un énoncé : « fais une phrase complète ! » (Delcambre citant Dannequin 2011 : 9), ou imposée comme structure syntaxique à l’écrit, on n’a pas affaire au même objet. Au malentendu entretenu par les maitres entre une définition métalinguistique et la réalité du langage-objet, à l’assimilation implicite, souvent faite, de l’énoncé oral avec la phrase écrite, s’ajoute un emploi de phrase en production d’écrit qui trahit chez beaucoup d’enseignants une vision du texte comme « suite de phrases ». Le point de vue des élèves en revanche est rarement sollicité, surtout des plus jeunes, qui sont censés en avoir une connaissance passive. Aussi voudrions-nous présenter une petite étude sur la production d’écriture collaborative entre pairs réalisée en CE1, que nous aborderons à partir des questions suivantes : 1. Qu’est-ce qui est désigné par phrase quand les élèves utilisent ce terme métalinguistique au cours de leur travail de production écrite ? Autrement dit : à quelle réalité empirique du langage-objet correspond le mot phrase quand les élèves l’emploient ? 2. Quel lien établissent-ils entre les séquences de texte co-construites à l’oral qu’ils nomment phrase et la réalisation qui en est donnée lors de la graphie ? 3. Quel rôle font-ils jouer à la ponctuation lors de la textualisation ? Dictée à l’adulte vs dictée à un pair : objectif et position théorique Nous nous intéresserons ici à un travail de textualisation « entre pairs », ce qu’on nomme aussi « écriture collaborative » (de Gaulmyn et al. 2001). Mais il faut distinguer ce type d’écriture où les jeunes scripteurs ont acquis les premiers éléments de littératie, d’avec ce que l’on nomme « la dictée à l’adulte » (travaux de David 1991, 1994, 2008) surtout pratiquée en maternelle et en début de CP, où les jeunes enfants, ne pouvant encore écrire un texte sans aide, le co-construisent au cours d’interactions orales avec l’enseignant : dans la dictée à l’adulte, du texte s’élabore au cours d’allers et retours, dont les fragments énoncés peuvent passer du mot monosyllabique complémentant une question ou une suggestion du maitre ou d’un pair, à la production d’un énoncé complet. Certains auteurs comme F. Torterat (2010 : 12) signalent bien que cette co-construction textuelle « s’appuie sur les représentations textuelles qu’ont [de l’écrit] les jeunes enfants, tant au niveau de la phrase qu’à celui du texte »1, comme si les définitions de ces 1. L’auteur signale d’abord que « la phrase est anticipatrice du texte » (p. 8) puisqu’il existe un « rapport dialectique entre construction phrastique et organisation textuelle » (p. 12), sans que l’on sache si, dans le premier cas, il s’agit de phrase orale spontanée ou dictée se confondant avec la phrase écrite et, dans le deuxième cas, s’il s’agit d’une organisation syntaxique aboutissant à un texte. 14 © Armand Colin | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.65.7.173) © Armand Colin | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.65.7.173) La phrase selon les brouillons : un trajet entre l’oral et l’écrit deux derniers termes relevaient d’un consensus évident. Or c’est justement parce que nous sommes en présence d’objets fuyants, dont la définition ne fait pas l’unanimité, que nous ne pouvons pas partir de ces termes pour décrire ce que font les scripteurs quand ils élaborent du texte dans l’écriture collaborative entre pairs, sans la régulation modélisante d’un enseignant qui, le plus souvent, ajuste les propositions orales des élèves à la syntaxe de l’écrit. Nous voulons donc montrer les décalages qui se produisent dans la production du texte « entre pairs » entre la « phrase » du texte oral spontané (Blanche-Benveniste 2010), la phrase dictée par le scripteur et sa réalisation écrite ponctuée. Car ce sont les décalages entre ce que disent et ce que font réellement les scripteurs, qui témoignent de leur conscience grammaticale et révèlent leur trajet cognitif au cours des différentes étapes de l’écriture, modifiant la perspective de réception des brouillons. Cette hypothèse s’oppose ainsi au mentalisme qui présuppose que l’on passe des « idées au texte ». Si la formule célèbre du livre de M. Fayol est ici évoquée c’est parce qu’elle nous semble faire la part trop belle à l’hypothèse de représentations mentales préalables, de « primitives » sémantiques, par exemple, qui « informeraient » le passage à l’écriture. Nous pensons au contraire que c’est l’activité d’écriture prise comme long processus verbal extériorisé et socialisé qui révèle et modifie les idées des élèves à propos de la phrase et du texte. Dispositif et méthodologie Inspiré de la méthodologie originale mise au point depuis plusieurs années par le chercheur brésilien E. Calil2, le dispositif que nous décrivons, réalisé dans les conditions du travail ordinaire de la classe, s’inscrit dans les recherches écologiques d’écriture collaborative en milieu scolaire conduites en France dans de nombreux laboratoires en ethnométhodologie3. Il s’agit d’élèves d’une classe de cours élémentaire 1re année (2e primaire, dorénavant CE1)4 qui participe à une recherche franco-brésilienne5 sur la production de contes étiologiques chez des élèves débutants en littératie. Dans un premier temps, les élèves organisés systématiquement en dyades élaborent oralement le texte à venir. Il ne s’agit pas seulement dans cette phase d’une « planification » de leur production, mais d’une véritable confrontation langagière faisant intervenir un à un et dans le désordre les uploads/Litterature/ lfa-181-0013.pdf

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