L’islam à livre ouvert Penser les divisions Lectures du Coran Le sens du djihad

L’islam à livre ouvert Penser les divisions Lectures du Coran Le sens du djihad D’autres islams Makram Abbès, Mohammad Ali Amir-Moezzi, Bruno Aubert, Hamit Bozarslan, Jean-Louis Schlegel, Mathieu Terrier No 430 – Décembre 2016 Donald Trump président Le dilemme de la gauche espagnole  Éthique de la frontière Pour une société décente  La marchandisation du monde ?  Yves Bonnefoy, la tâche du poète L’utopie Bauhaus Le paradoxe de la représentation – Myriam Revault d’Allonnes 1 Décembre 2016 SOMMAIRE 3 L’âge de la défiance. Éditorial. Esprit À PLUSIEURS VOIX 7  Not my president (Jonathan Chalier). Le dilemme de la gauche espagnole (Hedwig Marzolf). Une éthique de la frontière ? (Erick Sourna Loumtouang). La tragicomédie de la politique brésilienne (Amanda Dias). Visiter Auschwitz en 2016 (Jean-Louis Schlegel). La pensée de comptoir de Michel Onfray (Nicolas Appelt). L’État neuronal (Sylvie Trosa). Santé mentale : quel cadre de réflexion pour quelle action ? (Alain Ehrenberg). L’ISLAM À LIVRE OUVERT 31 Penser la complexité. Hamit Bozarslan Les violences de la fondation de l’islam sont-elles effacées par les juristes qui sacrifient l’idéal d’une société juste au profit de l’unité d’une communauté asservie au pouvoir ? 39 Étudier l’islam. Entretien avec Mohammad Ali Amir-Moezzi Le Coran est susceptible d’une pluralité de lectures, selon le contexte historique, avec des périodes d’essor, ouvertes sur les cultures voisines, et d’autres de pétrification et de fermeture sur soi. La sagesse et la richesse de l’islam sont aujourd’hui oubliées au profit de la sécheresse du wahhabisme. 53 L’islam paradoxal. Mathieu Terrier Le fondamentalisme sunnite a refoulé la spiritualité chiite. Il importe donc de revenir aux origines des multiples divisions sectaires, leurs mémoires concurrentes, leurs différentes herméneutiques du Coran, ainsi qu’à leurs rapports au culte des saints et au politique. 64 Pour un djihad contre le djihadisme. Makram Abbès La notion de djihad est équivoque : elle renvoie à la fois à la lutte armée et à la lutte spirituelle. On ne peut toutefois écarter le sens militaire, irréductible à son élaboration juridico-théologique, au profit du seul effort pour contrôler ses passions. 76 Daech : le dévoiement. Bruno Aubert Les tenants du parler-vrai ont raison d’affirmer un rapport du terrorisme islamiste à la religion : il n’est pourtant pas celui d’une continuité, mais d’un dévoiement et d’une sinistre caricature. 80  Islam et christianisme : comparer ce qui est comparable. Jean-Louis Schlegel Dans un contexte où l’islam fait figure de bouc émissaire, il ne sert à rien de revenir à la lettre du Coran, qui peut être interprétée de multiples manières, mais il importe de faire l’histoire des divisions initiales et de prêter attention à la religion vécue des fidèles. Sommaire 2 VARIA 87  Le paradoxe de la représentation. Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes Dès l’Antiquité, la représentation est à la fois ce qui relie et qui sépare. La modernité hérite de ce paradoxe qu’elle tente de résoudre par le concept de nation, pourtant aussi fictive que le peuple. L’acte de se représenter, aussi fragile soit-il, permet de retrouver sa puissance d’agir. 100  La société décente ou la politique au temps des catastrophes. Hugues Lagrange Le programme d’une société décente, critique du primat kantien du juste sur le bien, abandonne pourtant la perspective d’un bien commun pour, simplement, éviter d’humilier. Cela passe par de quoi se nourrir, se loger et les garanties de l’État de droit. 107  La « marchandisation du monde ». Analyse historique et critique d’un slogan. Flavien Dupuis Un examen de la « marchandisation » montre qu’elle s’accompagne d’un processus inverse de dé-marchandisation, en particulier du travail, des ressources naturelles, du corps et des échanges, sous l’impulsion de l’État- Providence, du droit et de la société civile. 117 Yves Bonnefoy. « Comme la tâche le veut ». Cécilia Suzzoni La tâche du poète consiste à retrouver la présence du monde à travers l’énigme du langage, accompagnée de réflexion et en dialogue avec les arts. L’Écharpe rouge, roman familial et récit d’enfance, rappelle que la poésie est indispensable à une société malade de son langage. CULTURES 129  Exposition – Le Bauhaus, une utopie fondatrice et festive (Isabelle Danto) 132  Livres – Saul Friedländer, Où mène le souvenir et Réflexions sur le nazisme. Christophe Charles et Laurent Jean-Pierre (sous la dir. de), la Vie intellectuelle en France. Henri Bergson, Histoire de l’idée de temps. Max Scheler, Trois essais sur l’esprit du capitalisme. Alexandre Leupin, Édouard Glissant philosophe. Jean Picq, Politique et religion. Denis Thouard, Pourquoi ce poète ? Le Celan des philosophes. Florent Guénard, la Démocratie universelle. Laurent Mauvignier, Continuer. Frédéric Gros, Possédées. Yuri Herrera, Le royaume, le soleil et la mort. 155 Brèves. En écho. Abstracts on our website : www.esprit.presse.fr Couverture : Érudit musulman lisant (fin du xviie siècle). Allemagne, Berlin, Muséum für Islamische Kunst (Smpk) Photo © Bpk, Berlin, Dist Rmn-Grand Palais/Georg Niedermeiser 53 Décembre 2016 L’islam paradoxal Mathieu Terrier* La violente poussée du fondamentalisme sunnite et l’exacerbation du conflit entre sunnites et chiites semblent avoir refoulé dans l’ombre l’existence d’un islam spirituel, transcendant en partie la grande division interne de l’islam, qui faisait encore l’objet d’un vif intérêt en France à la fin du siècle dernier. L’étude de cet autre islam est pourtant plus que jamais d’actualité car l’objectif du djiha­ disme est moins la soumission de l’Occident non musulman que la purification de l’islam de ses éléments « hérétiques », nommément chiites et soufis. Englober ces courants dans la catégorie d’un islam « hétérodoxe » reviendrait à attribuer un brevet d’orthodoxie au wahhabisme et au salafisme qui prononcent contre eux l’anathème (takfîr). On le sait, il n’existe pas de magistère doctrinal unique reconnu par une majorité de musulmans ; les notions d’orthodoxie, d’hétérodoxie et d’hérésie, issues du christianisme et sans équivalents exacts en arabe, prennent en islam un sens particulièrement relatif et variable. Chaque branche de cette religion se considère comme l’orthodoxie, au sens étymo­ logique de l’opinion droite, et tient les autres branches pour plus ou moins déviantes. Si Muhammad b. ‘Abd al-Wahhâb (1792), fondateur du wahhabisme, qualifiait les chiites d’« infidèles » (kuffâr), plus nocifs pour la religion que même les juifs et les chrétiens, les chiites désignent les wahhabites du sobriquet hérésiologique de takfîriyya, * Mathieu Terrier est chargé de recherche au Cnrs (Laboratoire d’études sur les mono­ théismes) et auteur de l’ouvrage Histoire de la sagesse et philosophie shi’ite. « L’aimé des cœurs » de Quṭb al-Dīn Aškevarī, paru en 2016 aux éditions du Cerf. Mathieu Terrier 54 « ceux qui jettent l’anathème1 ». Pour rassembler les courants stig­ matisés par le fondamentalisme sunnite et interroger leurs liens, je parlerai plutôt d’un « islam paradoxal », l’expression signifiant leur écart par rapport à l’opinion dominante, la doxa, mais aussi le caractère étonnant – et philosophiquement stimulant – de leurs doctrines. Quel est cet islam « autre » qui fait horreur à l’« islamisme » ? La connaissance des courants du chiisme – l’imâmisme duodécimain, l’ismaélisme, le nusayrisme-‘alawisme – et du soufisme, en plus de son intérêt intrinsèque, permet d’éclairer la tendance sunnite radicale qui se nourrit de leur exécration et de la remettre à sa juste place dans l’histoire des idées en islam. La formation des courants de l’islam Si le chiisme est le premier adversaire du fondamentalisme sunnite, mouvement réclamant le retour aux fondements scriptu­ raires et historiques de l’islam, c’est d’abord parce qu’il lui dispute le titre d’islam originel. Les premiers chiites étaient les partisans (shî‘a) de ‘Alî Ibn Abi Tâlib (661), jeune cousin et intime du Pro­ phète, devenu son gendre et le père de sa seule descendance mâle. Ils étaient convaincus que ‘Alî avait été désigné expressément par Muhammad comme le chef temporel et spirituel des musulmans après lui. Mais leur champion fut écarté du pouvoir après la mort du Prophète (632) et son bref califat (656-661) tourna à la guerre civile. En 680, son deuxième fils al-Husayn, second petit-fils du Prophète et guide (imâm) des chiites, était tué à Karbala avec la quasi-totalité des siens par l’armée de la jeune dynastie des Omeyyades. Le chiisme se cristallisa alors et commença à se diviser entre partisans du soulèvement politique et tenants d’une pieuse réserve. De tous les courants chiites apparus à cette période, la plupart ont disparu sous les persécutions du pouvoir impérial ; subsistent principa­ lement les zaydites, les ismaéliens, les imâmites duodécimains et les nusayrites-‘alawites, entre lesquels la concurrence fut souvent féroce. L’imâmisme duodécimain fut le dernier à fixer sa doctrine après l’« occultation majeure » de son douzième et dernier imâm 1. Voir Meir Litvak, « More Harmful than the Jews. Anti-Shi‘i Polemics in Modern Radical Sunni Discourse », dans Mohammad Ali Ami-Moezzi et al. (sous la dir. de), le Shī‘isme imāmite quarante ans après. Hommage à Etan Kohlberg, Turnhout, Brepols, 2009, p. 293-314. L’islam paradoxal 55 en 9412. Il ne devint majoritaire au sein du monde chiite qu’avec l’effondrement de l’ismaélisme politique sous les coups successifs des Ayyoubides en Égypte (chute des Fatimides en 1171) et des Mongols en Perse (chute de l’État d’Alamut au nord de uploads/Litterature/ lislam-paradoxal-revue-esprit-decembre-2.pdf

  • 21
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager