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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Alain Morency Horizons philosophiques, vol. 1, n° 2, 1991, p. 103-123. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/800874ar DOI: 10.7202/800874ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 30 March 2013 08:31 « L’adaptation de la littérature au cinéma » L'adaptation de la littérature au cinéma Depuis ses origines, le cinéma a largement puisé aux sources littéraires, et les adaptations, plus ou moins fidèles, sont le fait de presqu'un film sur deux. Pas toujours réus- sies ni même transposées de façon intéressante, ces adap- tations étonnent. Comment expliquer un tel engouement du septième art pour le littéraire? En fait, la question n'est pas simple et elle en implique bien d'autres auxquelles nous allons tenter de répondre. Dans les réflexions qui vont suivre, nous essaierons donc de préciser les rapports par- ticuliers qui s'établissent entre les différents genres litté- raires et le cinéma. Il nous faudra traiter des similitudes et des différences entre les deux modes d'expression, tou- jours dans une perspective d'adaptation, et préciser la nature spécifique de l'un comme de l'autre. Si la littérature et le cinéma se rejoignent et se complètent sous bien des aspects, il faut bien dire aussi que les deux s'opposent jusqu'à un certain point. Deux expressions Un premier questionnement, d'ordre sémiologique, s'impose pour comprendre l'articulation de l'écrit et du filmé. Si on y regarde de près, il semblerait bien que les matériaux signifiants, que la façon d'exprimer et de signifier ne soient pas tout à fait semblables dans les deux lan- 103 gages. La littérature s'appuie sur un seul système signi- fiant, la langue. Cette dernière regroupe des unités de base de premier niveau, discrètes, identifiables, repérables, en un niveau supérieur qui, lui, est porteur de sens. Cette deuxième articulation comprend des unités telles que mor- phème, mot, syntagme. Une double articulation qui offre des possibilités de construction systématisées et quasi in- finies. Or, ce qu'il nous faut noter, en vue d'une comparai- son avec le cinéma, c'est le caractère arbitraire, différencié, systématique de la langue. Le mot y est relais de signifi- cation, sa nature conceptuelle et «inventée» lui permet de signifier des réalités multiples, tant abstraites que con- crètes. Au cinéma, les choses se passent autrement. Si des unités de base y sont présentes — celles qui correspon- draient au premier niveau dans la langue —, elles ne sont guère évidentes ni aisément repérables au cinéma. Tous les éléments signifiants de base de la bande image sont fondus, amalgamés, emportés dans un continuum image- son. Même l'image arrêtée ne facilite pas la tâche du re- pérage des unités et des liens qui les unissent. L'image est polysémique, ses signifiants sont multiples (ex : ca- drage + mouvement de caméra + éclairage + geste + pa- role...) et simultanés (interaction de ces signifiants entre eux). Bien malin qui pourra isoler un élément de base et expliquer son rôle dans le processus filmique. Serait-ce que le modèle linguistique ne peut rendre compte du fonc- tionnement particulier de l'image? Sans doute, et c'est davantage au niveau d'une deuxième articulation que la comparaison peut être éclairante. Un plan, une suite de plans, une séquence seraient des équivalents (fort relatifs il faut bien le dire) de la phrase, d'une suite de phrases, d'un épisode. Par le fait même, l'idée d'une adaptation tota- lement fidèle serait une utopie, alors qu'une transposition de l'écrit au filmé avec des unités plus grandes serait pos- sible. 104 Ajoutons à cela que le matériau propre au cinéma se différencie largement de celui de la langue. L'image et le son ne sont guère abstraits, ils semblent plutôt se fondre avec la réalité qu'ils représentent. Avec l'image, peu de distance entre les signes (cette image précisément) et la chose représentée. Alors qu'en littérature (écrite) les mots, les signes ne s'effacent jamais tout à fait, au cinéma signifiant et signifié ont l'air de se confondre. Des signifiants en rapport analogique, en rapport iconique même avec ce qu'ils signifient. Doit-on parler alors de langage d'objet, de signes concrets qui imposent en quelque sorte leur «réa- lité» de base au langage cinématographique? Pour Jean Mitry : «Il n'est d'image que du concret1». Pour lui, le cinéma n'est pas une langue au sens linguistique du terme : «Il n'y a pas de codification symbolique au cinéma, faute de quoi le film perdrait de son authenticité vivante2». Il nous faut donc constater d'entrée, et cela aura des im- plications sur la problématique de l'adaptation, la spécificité du code et/ou du langage filmique. L'impression de réalité y est très forte et le spectateur vit cette illusion très agréa- ble d'entrer dans la réalité des êtres et des choses. Chris- tian Metz souligne cette particularité du matériau visuel : «Le cinéma a pour matériau premier un ensemble de frag- ments du réel, médiatisés par leur duplication mécani- que3». Nous aurions donc avec la littérature un langage qui devient un monde et au cinéma un monde qui s'articule en langage. Selon Mitry : «Les signifiants filmiques ne sont pas des formes abstraites autour desquelles ou à partir desquelles on pourrait établir certaines lois génératives, mais des faits concrets dont on peut faire qu'ils devien- nent... l'expression d'une idée ou d'un sentiment4». Ce 1. Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, vol. I, p. 127. 2. Ibid, p. 125. 3. Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, vol. I, p. 208. 4. Jean Mitry, La sémiologie en question, p. 117. 105 avec quoi nous serons d'accord puisque le cinéma n'a ni langue ni grammaire systématisée, et sa syntagmatique y est bien relative, puisque le syntagme filmique est toujours quelque peu différent d'un film à l'autre. Contrairement à ceux de la langue et de la littérature, les syntagmes du film ne se ramènent pas à un système préexistant aux normes établies et fixes. Ceci étant dit sur ce qui sépare nos deux expressions, certains aspects les rapprochent et créent une équivalence. La bande image connaît la syntaxe (celle du montage), la composition, le style et rejoint en cela tout à fait l'expres- sion écrite, le littéraire. C'est plus dans le détail que l'adaptation se heurte à des difficultés de transposition d'un langage dans l'autre. Conséquence de sa nature particu- lière, l'image en montre beaucoup, parfois trop. Alors que l'écrivain peut facilement isoler un élément (notamment grâce à la linéarité du texte), le rendre vague, imprécis, l'abstraire de son contexte, le cinéaste n'aura pas cette souplesse d'entrée en jeu. Un objet ou un personnage à peine évoqués dans le texte deviennent, avec les images, des choses précises avec des caractéristiques visibles, sonores, dans un environnement qu'il n'est pas facile d'abstraire. L'impression de réalité du cinéma fait qu'il faut compter avec des éléments multiples, inhérents à l'image. Or, si cette dernière fascine, si son impact est considéra- ble, sa concrétude toutefois lui rend difficile le concept, les nuances de la pensée, l'abstraction, la fine psychologie. Adapter c'est se rendre compte que, si une image vaut mille mots, transposer ces derniers en images n'est pas chose aisée. Toujours au chapitre des similitudes et différences, quelques remarques sur les conditions d'écriture et de lec- ture. L'œuvre littéraire, à l'image de son système signifiant unique, ne requiert qu'un matériel simple dans son écriture. Le film, en contrepartie, s'élabore et se réalise à des niveaux multiples. Auteur, scénariste, caméraman, techni- 106 ciens, appareillage lourd et complexe s'y côtoient avec des signifiants qui ont chacun leur spécialiste dans la fabrica- tion de l'image. Un travail d'équipe où l'on ne sait plus toujours où s'arrête le rôle de l'un et où débute celui de l'autre. Cette dimension technique et spectaculaire du film fait qu'il porte, bien davantage que le texte écrit, les mar- ques de son écriture. Cette réalité peut être un handicap lors d'une transposition à l'écran. Les images «trahissent» quelque peu l'époque du tournage, les modes vestimen- taires, les progrès technologiques, les tendances filmiques. Par contre, ces images nous laissent des témoignages sans prix sur les plans historique, social, culturel, artistique. Quant aux conditions de lecture, elles sont plutôt diffé- rentes que similaires de l'écrit au film. Devant le grand écran, le spectateur n'a guère le choix; il ne peut, comme le lecteur, arrêter le visionnement, suspendre, accélérer ou ralentir le processus. Pas de retour en arrière, le rythme de lecture est lié aux conditions de la bande-image et de sa projection. L'adaptation doit certainement tenir compte de cela sans nécessairement simplifier à outrance la ver- sion filmée sous prétexte uploads/Litterature/ litterature-et-cinema.pdf
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- Publié le Oct 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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