Publications de l'École française de Rome La théologie selon Plutarque Robert F

Publications de l'École française de Rome La théologie selon Plutarque Robert Flacelière Citer ce document / Cite this document : Flacelière Robert. La théologie selon Plutarque. In: Mélanges de philosophie, de littérature et d'histoire ancienne offerts à Pierre Boyancé. Rome : École Française de Rome, 1974. pp. 273-280. (Publications de l'École française de Rome, 22); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1974_ant_22_1_1680 Fichier pdf généré le 28/03/2018 BOBERT FLACELIÈRE LA THÉOLOGIE SELON PLUTARQUE Au cours de ses nombreuses et profondes enquêtes sur l'histoire des idées philosophiques et religieuses dans l'antiquité classique, M. Pierre Boyancé n'a jamais négligé le témoignage de Plutarque i1). C'est pourquoi j'espère qu'il sera intéressé par l'examen du sens de θεολογία et des mots de même famille chez Plutarque. Comme point de départ nous prendrons le préambule du De defectu oraculonim, Mor. 410 B. Dans toute son œuvre, et spécialement dans ses dialogues, Plutarque imite Platon, dont il admirait, certes, la philosophie, mais aussi l'art littéraire. Le Protagoras et le Gorgias commençaient par l'évocation du séjour à Athènes de l'un et l'autre sophistes; le De Pyth. orac. mentionne d'abord l'arrivée à Delphes d'un visiteur de marque, Diogénianos de Pergame, et le De def. celle de deux éminents voyageurs: Démétrios de Tarse et Cléombrote de Lacedèmone (2). Démétrios et Cléombrote se sont recontrés à Delphes en venant « des deux extrémités opposées de la terre », le premier de Grande-Bretagne, le second, de la mer Erythrée. Cette circonstance suggère à Plutarque l'idée de comparer ces personnages aux deux aigles qui, selon la légende, furent envoyés par Zeus des deux extrémités d'un diamètre du disque terrestre afin d'en déterminer le centre, et qui se rencontrèrent à Delphes, en un point qui fut nommé Vomphalos, le nombril de la terre. Si les aigles sont les oiseaux sacrés de Zeus, Démétrios et Cléombrote méritent eux aussi l'épithète de ιεροί, en raison de leurs mérites éminents et, surtout, du savoir acquis au cours de leurs voyages. (x) Je n'en veux pour preuve que l'article de la BEA, 40, 1938, p. 305-316, où, à propos du De Pythiae oraculis, il a exprimé plusieurs remarques qui m'ont été d'un grand profit pour mon étude des Dialogues mythiques. (2) Dans le De Pyth. orac, Plutarque a même conservé l'habitude platonicienne du dialogue introductif : Basiloclès demande à Philinos de lui raconter l'échange de propos auquel a donné lieu la visite du sanctuaire apollinien par Diogénianos, et tout le reste de l'ouvrage consiste en ce récit de Philinos. 20 274 ROBERT FLACELIÈRE Voici comment Plutarque nous présente Cléombrote: « II avait voyagé longtemps en Egypte et au pays des Troglodytes, puis navigué très avant dans la mer Erythrée, non pour faire du commerce, mais en curieux et pour s'instruire i1). Il avait d'ailleurs une fortune assez considérable, et, jugeant peu digne d'intérêt d'amasser des biens au-delà de ce qui lui suffisait, il employait ainsi ses loisirs à l'étude de l'histoire, dans la pensée que celle-ci fournit des matériaux à la philosophie, dont le couronnement, selon ses propres expressions, est la théologie: και συνήγεν ίστορίαν οϊον υλην φιλοσοφίας θεολογίαν ώσπερ έκάλει τέλος έχούσης ». L'« histoire » à laquelle se voue Cléombrote, c'est évidemment une enquête très large, géographique autant que proprement historique, comme Γ Ίστορίη d'Hérodote. La Vie de Thésée commence par une mention des terrae incognitae: "Ωσπερ εν ταϊς γεωγραφίαις. . . οι ιστορικοί..., mots que nous sommes contraints de traduire, à cause du sens restrictif du mot «historien» en français: «Dans leurs cartes, les géographes... ». Quant à la liaison de 1'ίστορια à la φιλοσοφία, elle apparaît à Plutarque comme évidente. C'est ainsi, par exemple, qu'il appelle Théophraste άνήρ φιλήκοος και ιστορικός παρ' οντινουν των' φιλοσόφων (2). Cette liaison était d'ailleurs devenue fréquente depuis qu'Aristote et ses élèves avaient fondé leur réflexion philosophique sur des collections de faits rassemblés et rapprochés les uns des autres. Tout cela est bien connu, mais que dire de la théologie? Victor Goldschmidt, dans une étude intitulée Théologia (3) constate que, chez Aristote, le mot θεολογία désigne tantôt la mythologie, tantôt la philosophie première ou métaphysique, mais que, dans ce second sens, Aristote préfère écrire d'ordinaire θεολογική : «Aristote appelle θεολόγοι les poètes anciens, tels qu'Hésiode ou Phérécyde (4), et les oppose généralement aux « physiciens » et même aux philosophes contemporains. Ces « anciens qui se sont occupés de théologie » sont donc des mythologues, qui, aux temps antiques, ont philosophé comme ils ont pu, mais qui ne (1) άνήρ φιλοθεάμον και φιλομαθής. Dans le De Pyth. orac. 394 F, Diogénianos est gratifié des épithètes de φιλοθεάμων, φιλήκοος, φιλόλογος et φιλομαθής. Solon déjà avait voyagé « selon certains, plutôt pour accroître son expérience et ses connaissances que pour amasser de l'argent. » (Sol., 2, 1). (2) Aie, 10, 4. (3) BEG, 63, 1950, 20-42. (4) Mais Phérécyde de Syros est un prosateur; sa Théologia était écrite en prose. Voir par exemple A. Lesky, Gesch. Gr. Lit.2, 185. LA THÉOLOGIE SELON PLUTARQUE 275 méritent pas le titre de philosophes. Aristote les cite dans ses « recueils de prémisses » comme par acquit de conscience » (*). Et Victor Goldschmidt en vient à Plutarque: « Celui-ci, évidemment plus favorable qu' Aristote aux traditions et aux mythes, désigne couramment par θεολογία la science « enveloppée », αίνιγματώδη σοφίαν (De Is. et Os., 9,354 C) des mythes, que ceux-ci soient d'origine grecque (Be def. orac, 48,436 D) ou égyptienne (De Is. et Os., 9,354 C) ou qu'il s'agisse même des mythes de Platon (De fato, 1,568 D) (2) . . .Pour le De def., 2,410 Β (c'est le passage cité ici un peu plus haut), on a le choix entre deux explications: a) constater avec E. ïïirzel (Plutarch, Leipzig, 1912, p. 11) que Plutarque n'est pas nécessairement solidaire de ce que pense et dit Cléombrote, ce qui est l'évidence même; dans ce cas, il faut donner ici à θεολογία le sens de mythologie, comme dans les autres textes de Plutarque qui viennent d'être cités; la θεολογία de Cléombrote, dont il nous fournit dès le début du dialogue un échantillon (410 B-F) représente alors ce que j'ai appelé ailleurs le platonisme populaire (REG, 61, 1948, p. 301), et l'on ne saurait la prêter à Plutarque lui-même; b) ou bien, donner avec M. E. Dodds (Proclus, The Elements of Theology, Oxford, 1933, p. 187) à θεολογία le sens (aristotélicien) de métaphysique; dans ce cas, on peut en effet attribuer cette thèse à Plutarque, à charge d'expliquer pourquoi celui-ci a choisi un Cléombrote pour la formuler » (3). Les propos que Plutarque prête à Cléombrote dans le De def. font apparaître ce Lacédémonien comme un homme curieux de toutes les choses religieuses, mais manquant singulièrement d'esprit critique. Au sanctuaire d'Ammon, ce qui l'a surtout frappé, c'est l'affirmation des prêtres selon laquelle la lampe du temple consommait moins d'huile d'une année à l'autre, d'où ils concluaient que chaque année a une durée plus courte que la précédente (410 B). Les assistants manifestent leur étonne- ment, et Ammonios, l'ancien maître de Plutarque, un authentique philosophe, montre l'absurdité d'une telle allégation (410 F-411 D). Puis c'est Cléombrote qui, pour expliquer la déficience des oracles, introduit l'hypothèse relative aux démons et la développe très longuement, de 414 F à 418 D. Son exposé fait preuve de connaissances étendues et même d'une véritable érudition, par exemple dans le commentaire de (r) V. Goldschniidt, loc. cit., 20-21, où l'on trouve en note les références à la Métaphysique et aux Météorologiques. (2) Mais le traité De fato n'est probablement pas de Plutarque. (3) V. Goldschniidt, loc. cit., 22 et n. 5. 276 ROBERT FLACELIÈRE certains vers obscurs d'Hésiode (415 C sq.); la mythologie et les rites religieux de plusieurs peuples semblent n'avoir pour lui aucun secret (417 C-418 D): « Tout ce qui est raconté et chanté dans les mythes et dans les hymnes, d'une part les rapts commis par les dieux, d'autre part leurs courses errantes et cachées, leurs séjours en exil et en servitude, tout cela n'est pas le fait des dieux; ce sont des épreuves et des aventures arrivées aux démons, et dont on garde la mémoire en raison de la qualité et de la puissance de ceux qui les subirent. Et c'est à tort qu'Eschyle a dit (Suppl., 214): « Apollon, le dieu saint qui fut banni du ciel », et de môme, l'Admète de Sophocle (Tr. Gr. Fragili., îiauck, 767): « Et mon coq l'envoyait en personne à la meule ». « Mais ceux qui s'écartent le plus de la vérité, ce sont les théologues de Delphes (ol Δελφών Ό-εολόγοι) quant ils pensent qu'autrefois le dieu livra ici bataille à un serpent (Python) pour la possession de l'oracle, et quand ils laissent raconter ces fables aux poètes et aux rhéteurs qui concourent entre eux dans les théâtres et semblent ainsi témoigner de propos délibéré à l'en- contre des rites que célèbrent les Delphiens dans leurs cérémonies les plus saintes » (x). Il est impossible de ne pas rapprocher ces θεολόγοι (2) de ceux qui, vers la même époque, sont mentionnés par des inscriptions uploads/Litterature/ la-theologie-selon-plutarque.pdf

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