Journal de la Société des océanistes Bronislaw Malinowski Alfred Métraux Citer
Journal de la Société des océanistes Bronislaw Malinowski Alfred Métraux Citer ce document / Cite this document : Métraux Alfred. Bronislaw Malinowski. In: Journal de la Société des océanistes, tome 2, 1946. pp. 215-217; https://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1946_num_2_2_1533 Fichier pdf généré le 03/05/2018 CHRONIQUE NECROLOGIE Bronislaw MALINOWSKI. — Malinowski naquit en 1884, à Cracovie, d'une famille de savants. C'est dans cette vieille ville universitaire qu'il obtint son premier doctorat. Cet homme de science, qui appartient à l'Angleterre par son œuvre, fut toujours un grand patriote polonais qui vécut le drame de son pays jusque dans te tréfond de son âme. Il avait d'ailleurs plusieurs caractéristiques de l'élite polonaise: une courtoisie raffinée, une certaine affectation de nonchalance et de scepticisme ironique. Comme beaucoup de ses compatriotes, il fut un bon Européen, car il appartenait par la variété de sa culture à presque tous les pays d'Europe. Il pouvait tour à tour être Français, Italien, Espagnol, Anglais et Russe. . Il tirait plaisir et vanité de ce savoir qui lui permettait de s'identifier à son choix avec les grandes traditions de toute la communauté européenne. La formation première de ce grand humaniste fut celle d'un mathématicien et d'un physicien. Ce n'est qu'après une thèse de doctorat soutenue à Cracovie qu'il s'orienta vers les sciences ethnographiques. Les nécrologies qui lui ont été consacrées attribuent ce changement à l'influence de Wilhelm Wundt, qu'il connut lors d'un stage à l'Université de Leipzig. Lui-même nous décrit l'origine de sa vocation de façon plus romantique. « On venait de m'interdire à cause de ma mauvaise santé de continuer mes recherches de physique et de chimie, mais on m'avait permis de m'adonner à mon passe-temps favori. Je décidai alors de lire un chef-d'œuvre anglais dans sa version originale. . . A p^ine eus-je commencé à lire cette grande œuvre, le « Golden bough », de sir James Frazer, que je me sentis emporté et subjugué par elle. Je compris alors que l'anthropologie telle que sir James Frazer la présentait, était une grande science, digne de la même dévotion que les autres sciences plus an- siennes et plus exactes. Dès lors je me sentis lié au service de l'anthropologie frazérienne. » (Myth in primitive psychology, p. 5-6). Pour s'initier à l'anthropologie, il se rendit à Londres, où il étudia à la London school for economics. Là, il entra en rapport avec tous les maîtres de l'ethnographie anglaise : Westermack, Haddon, §eligmann, Frazér, Eliot Smith. En 1915, l'Université de Londres lui décerna un second doctorat, cette fois-ci en anthropologie. 216 ' SOCIÉTÉ DES OCÉAN1STES. Malinowski partit en 1914 pour sa première expédition scientifique. La guerre le surprit en Australie et il courut un instant le danger d'être interné comme citoyen autrichien. Une administration intelligente lui permit de s'exiler parmi les Mélanésiens. Il passa les quatre années de la guerre parmi les indigènes des Trobriand, un petit archipel au large de la côte nord-ouest de la Nouvelle-Guinée. Il nous a conté lui-même ses premiers découragements, et finalement à mesure qu'il maîtrisait mieux la langue de ses hôtes, sa compréhension toujours plus profonde de leur culture et sa sympathie toujours plus grande pour eux. De ce long séjour parmi les Trobriandais, il rapporta ces grands classiques de la littérature ethnographique : The Argonauts of the Western Pacific (1922), The Sexual life of savages in North-western Melanesia (1929), Myth in primitive psychology (1932), Coral Gardens and their magic (1935). En 1924, il devint Lecturer of anthropology à l'Université de Londres, puis professeur en 1927. Son cours d'ethnographie devint fameux et y attira de nombreux étudiants, qui à leur tour devinrent des savants de renom. Citons parmi eux, Raymond Firth, Evans-Pritchard, Foster, Schapera, Paul Kirchhoff et miss Richards. Son enseignement avait un caractère éminemment socratique. C'était une vraie maieutique qui devait conduire l'étudiant à redécouvrir et à formuler les thèses qu'il leur proposait. Il dirigeait les leçons comme une conversation de bon ton, mais n'épargnait pas l'ironie à ses contradicteurs. Une certaine impatience se cachait souvent sous la courtoisie des manières. Il attachait grande importance aux définitions claires, car il aimait à répéter une phrase de Marcel Mauss : « La science est l'emploi juste des mots ». Il professa aussi à l'Université de Californie en 1926, et à l'Université de Cornell en 1933. La guerre le força à quitter sa chaire à Londres. Il devint Bishop Museum visiting professor of anthropology à l'Université de Yale. Au moment de sa mort, il venait d'être nommé professeur d'anthropologie culturelle à la même université. On a quelquefois reproché à Malinowski d'être l'homme d'une seule tribu. En fait, nous lui devons aussi une excellente monographie sur les Motu et les Mailu de la Nouvelle-Guinée, et il écrivit une étude fort détaillée sur la famille australienne. Au cours d'un voyage aux États-Unis, en 1926, il visita les Indiens Hopi. Plus tard, il fit un séjour chez les Bamba et les Chagga de l'Afrique orientale. En 1940, il effectua des recherches au Mexique, chez les Zapotèques de la région de Oaxaca. Cependant les études qu'il fit chez ces divers peuples furent plutôt des reconnaissances et ne peuvent être mises sur le même plan que la longue et patiente enquête chez les Trobriandais. S'il étaye ses théories d'exemples presque exclusivement tirés de la culture des Trobriand, c'est qu'il se sent là sur un terrain sûr. Il était aussi convaincu qu'un fait bien établi était préférable à une série de cas douteux- Son œuvre théorique doit beaucoup à la sociologie française de Durkheim et de Mauss. Elle repose sur une conception de la culture comme un ensemble d'institutions connexes, dont chacune joue le rôle nécessaire et indispensable au bon fonctionnement de l'ensemble. Par « institution >, il désigne tout organisme au sein d'une culture, qui comporte la coopération d'un groupe d'individus, l'usage d'un certain nombre d'objets matériels, les activités spéciales, des normes, des fonctions et des idéaux communs. Ainsi, la famille, le marché, CHRONIQUE. 2 1-7 l'armée, etc. Malinowski assigne à l'ethnographe la tâche de démêler au sein des cultures, les diverses institutions qu'elles recèlent et d'en analyser la composition et les interactions réciproques. C'est en étant conscient des relations subtiles entre les diverses institutions que l'homme de science pourra réellement en saisir la portée et la vraie nature. C'est ce point de vue qui a reçu le 10m de fonctionalisme, qui est l'étiquette de la méthode de Malinowski. Une telle conception de la société devait forcément stimuler les recherches en profondeur. Les splendides monographies que nous devons à Malinowski et à ses disciples témoignent de la fécondité de sa conception. Malinowski concevait la culture comme un instrument destiné à satisfaire des besoins vitaux. Les institutions qui remplissent cette fonction créent à leur tour des besoins secondaires qui eux aussi demandent à être satisfaits et engendrent de nouvelles institutions. Malinowski vit dans les phénomènes résultant du contact des civilisations un merveilleux champ d'expérience pour ses théories. Dans plusieurs articles écrits sur ce sujet, il insiste sur le caractère nouveau que prend toute institution ou toute technique une fois qu'elles sont adoptées par une autre culture. Il met aussi en relief la similitude d'effets résultant d'une invention ou d'un emprunt culturel. Sa mort prématurée, le 16 mai 1942, se produisit à un moment de sa vie où il se consacrait à préciser ses théories sur la culture. Il n'eut même pas- le temps de terminer la révision du livre où il expose ses vues sur la nature des phénomènes culturels. Cet ouvrage posthume parut en 1944 sous les auspices de PUniversity of North Carolina, sous le titre : « A scientific theory of. culture and other essays •» . Il nous donne une idée de l'œuvre de synthèse qu'il se proposait d'accomplir et nous fait sentir encore plus cruellement la perte que la science de l'homme vient de subir. L'anthropologie contemporaine doit beaucoup à Bronislaw Malinowski. Il l'a enrichie non seulement de monographies descriptives qui resteront classiques, mais l'a dotée aussi d'une méthode et d'un système théorique qui se sont montrés extrêmement féconds. Son nom figure en bonne place parmi les maîtres de notre sicience et sera toujours associé à celui de Morgan, de Tylor, de Frazer et de Boas. Nul doute que sa pensée ne suscite de nouvelles vocations et de nouvelles découvertes dans les sciences sociales. A. Métraux. • Renward BRANDSTETTER. — Quelques semaines après le décès de Fritz Sarazin, l'anthropologue bâlois, connu bien au delà des frontières de son pays par ses recherches aux Celebes et en Nouvelle-Calédonie, la Suisse eut à déplorer la perte d'un savant de réputation mondiale dans le domaine de la linguistique et de la littérature : le docteur Renward Brandstetter. Né le 29 juin I860; à Beromûnster, dans le canton de Lucerne, Brandstetter se consacra tout d'abord à des études linguistiques et littéraires et enseigna, jusqu'en 1926, la langue et la littérature allemandes au lycée cantonal de Lucerne. Tout en se consacrant au professorat, il s'orienta vers les langues germaniques et romanes, avec une étude : Uber das schweizersische Lehngut im Romantschen. Ce n'est que de 1890 uploads/Litterature/ malinowski-necrologie.pdf
Documents similaires
-
11
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 07, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3531MB