Rh \P Y . R OF Tye YALE DIVINITY SCHOOL 4/41k HAVEN, CC2i\Y J.-C. MARGOLIN RECH

Rh \P Y . R OF Tye YALE DIVINITY SCHOOL 4/41k HAVEN, CC2i\Y J.-C. MARGOLIN RECHERCHES ERASMIENNES LIBRAIRIE DROZ 11, rue Massot GENEVE 1969 L'IDEE DE NATURE DANS LA PENSEE D'ERASME L'homme ne mit point homme, it le devient. (De reducation des enfants, 493 b) Il est des oeuvres qu'un jeune auteur brfile d'ecrire et de publier, a l'heure oU it se lance dans l'arene litteraire, mais que les circonstances exterieures, et plus d'un obstacle interne le contraignent a differer jusqu'au jour ot le destin les transformera a tout jamais en promesses non tenues, matiere subtile et malleable, objet de medita- tion ou de reverie, de supputation ou de these pour historiens et exegetes futurs. Mais, a defaut de reperes fixes ou de brouillons coherents relatifs a. cette nebuleuse imaginaire, le critique attentif peut decouvrir dans l'ensemble de l'ceuvre &rite et publiee, ainsi que dans milk traits epars de la personnalite de cet auteur, des signes plus ou moires explicites de l'ouvrage avorte: ils sont pour lui comme une invitation, non pas a pratiquer un travail ha-sArdeux de reconstruction artificielle, mais a refire l'ceuvre de l'ecrivain avec des yeux neufs, une attention accrue, un desk d'interro- gation plus qu'une volonte de certitude. C'est ainsi qu'a l'epoque oil it avait enfin pris conscience de lui-meme, a l'epoque ou il composait dans l'enthousiasme et la malice l'Eloge de la Folie, dans l'ete de 1509, Erasme de Rotterdam songeait a livrer au public un Encomium Naturae ou Eloge de la nature, dans le style et suivant l'inspiration de ces * declamations *1 a la maniere de Lucien ou de Libanios. On ne saura jamais quel efit ete le resultat de cette * lucu- bratio *; mais on sait, tout au moires par la Lettre a Botzheim' de 1523, que cet opus- cule faigait partie de ses manuscrits qu'il l'avait ecrit en 1508, et qu'il circulait sans L'Encomium Moriae, l'Encomium Matrinumii, l'Encomium antis medicae, la Declamatio de Monte, la Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis sont parmi les plus connues des • declamations • d'Erasme. Dans la tradition de la rhetorique grecque, import& b. Rome, et renou- vet& par l'humanisme, la declamation etait a la fois un exercice de style, une dissertation-modele b. valeur pedagogique, qui se proposait de traiter un sujet serieux (la medecine, le mariage, la mort, la nature, la grace ne constituent pas des sujets boufions ou artificiels I) sur le mode ironique et surtout en developpant des paradoxes. Les paradoxes de l'Eloge de la Folie, k commencer par son titre, sont bien connus. Erasme utilisait ce mode de presentation, a la fois parce que le genre encomiastique etait fort en honneur chez les anciens et que l'humanisme neo-latin se recommandait de l'antiquite, et parce qu'il lui permettait de donner son opinion personnelle sur des questions delicates, comme celles de la nature ou de la grace sur lesquelles les theologiens ne souffraient pas de discussion. Cf. ALLEN, Opus Epistolarum Des. Erasmi Roterodami, I, pp. 18-19. • Conceperamus id temporis animo tres simul declamationes, Encomium Moriae, Naturae et Gratiae... • (p. 19). * Il en possede alors bien d'autres, comme le Liber de conscribendis epistolis, qui sera publie en 1521, le De ration studii, publie en 1511, etc. 9 doute quelque part en Europe, a moms qu'il ne flit deja &fruit par quelque main negligente ou sacrilege, ou par quelque esprit timore ou scandalise par ce qu'il pou- vait considerer comme des audaces intolerables 4. On sait aussi, par la meme source, qu'Erasme avait compose parallelement a son Eloge de la nature, et vraisemblable- ment pour lui faire pendant, un Encomium Gratiae ou Eloge de la grace, qu'il se decida a ne pas publier 8, quand it eut mesure le scandale que la publication de la Folie avait provoque, notamment dans les rangs des theologiens de Louvain 4. II voulut eviter de jeter plus d'huile sur le feu que l'ironique et audacieuse Moria avait active 7. Eloge de la nature, eloge de la grace: ces deux titres, mis en relation avec ceux des autres declamations d'Erasme que nous pouvons juger sur piece, et avec l'ensemble de son oeuvre, tout au moms avec les developpements qu'il a consacres au multiforme probleme de la nature 8 — et ils sont legion — ne permettent pas de reconstituer rceuvre perdue, mais nous incitent a poser aux textes dont nous dispo- sons un certain type de questions, auxquelles nous convierons a repondre, dans la mesure du possible, Erasme en personne. Une vision d'Erasme un peu trop partielle et stereotypee nous representerait volontiers l'humaniste hollandais refugie dans un cabinet d'etudes, entoure de livres et de manuscrits *; quand il voyage, ses yeux resteraient aveugles aux beautes de la nature et a la qualite des paysages qui l'environnent, comme aux splendeurs artis- ° On peut rinferer aisement des campagnes qui furent lancees a differentes reprises contre Erasme, coupable aux yeux de certains theologiens de preconiser une philosophie naturelle ou naturaliste, au mepris de la dogmatique chretienne et du surnaturel. Disons tout de suite que, malgre certaines audaces dans sa critique des institutions et certaines violences verbales l'adresse de moines ou de prelats demeritants, les ecrits d'Erasme ne justifient nullement ces attaques. 6 ...sed quorundam morositas fecit ut verterem consilium. * (ALLEN, op. cit., I, p. 19, 1.14- 15.) II evita egalement de donner a l'impression sa • declamatiuncula • De contemptu mundi, qu'il appelle dans sa lettre a Botzheim Laus vitae monasticae (ALLEN, I, p. 18, 1.17), exercice scolaire Writ vers 149o, et qui ne sera publie qu'en 1521) deja, plein d'audace: car s'il y faisait reloge de la vie monastique, une contre-partie ties • rhetorique • mais en meme temps fres concertee detrui- gait tout ou presque tout de cet eloge. Dans le catalogue de ses ouvrages destine a Botzheim (Ia lettre de 1523 a laquelle nous faisons allusion), ii s'excuse sur son jeune age Sed admodum juvenes vix annos nati viginti... •). En fait, il semble bien que l'ouvrage fut publie a l'insu d'Erasme et contre son &sir par des amis trop zeles. Cf. en particulier la controverse avec Martin Dorp, • excellent theologien (comme l'appelle Erasme). Sur ce sujet, cf. PIERRE MESNARD, Humanisme et Theologie dans la controverse entre Erasme et Dorpius, • Filosofia • 1964. 7 On peut en conjecturer que la Nature devait etre traitee comme Dame Folie, et que son eloge devait s'inspirer des paradoxes de la célèbre • declamation *. ° Malgre ses lacunes et ses imperfections, l'index rerum dresse a la fin du dernier tome de redition des ceuvres completes d'Erasme (Leyde, Jean Le Clerc, io t., II vol. info = LB) est utile pour un premier rassemblement de textes ou de citations ayant trait au concept nature. ° Cette remarque ne vise evidemment pas les admirables portraits d'Erasme par Holbein, Metsys ou Durer, qui ont effectivement represent& chacun a sa maniere, l'humaniste en pleine activite intellectuelle. Mais un portrait peint ou grave ne pretend pas, si admirable soit-il, cerner thus les aspects du modele vivant. I0 tiques que son siècle kale a l'envi 78. Intellectuel pur, sa sensibilite ne saurait s'emou- voir qu'au contact des idees, et son experience du monde et des hommes ne se trans- formerait chez lui en un accroissement de conscience que par l'interposition du prisme de son esprit 11. Rien n'est plus schematique, et par consequent inexact, qu'une telle representation d'Erasme, dont on voudrait ramener tous les traits, physiques et mentaux, a ceux qu'a fixes un jour ou que nous a suggeres inconsciemment le grand Holbein, dans son admirable portrait du Kunstmuseum. Avez-vous jamais rien vu de plus charmant que ce jardin ? J'ai peine a croire qu'il y ait quelque chose d'aussi agreable aux Iles Fortunees. II me semble voir ce paradis confie par Dieu a Adam, pour qu'il en Mt le gardien et le jardinier... A pre- sent que tout verdoie et rit dans la campagne, je m'etonne que des gens puissent se plaire dans les cites fumeuses... Que chacun cueille quelques fleurs et du feuillage pour parfumer l'air de la maison. Jamais je n'ai rien vu de plus charmant que cette petite fontaine qui semble rire au milieu de toutes ces herbes, comme une promesse de fraicheur contre la canicule... * Quel est ce prosateur ails qui nous dit avec tant de simplicite sa joie de se promener dans un beau jardin Renaissance? Un compagnon de Ronsard ou de Du Bellay ? Non pas, mais Erasme, ou plutot l'hOte du Banquet religieux 77. Mais ce jardin n'etait pas decrit d'apres une ode d'Horace ou une lettre de Pline, mais vraisemblablement d:apres ce avait sous les yeux, a Bale meme, et ce qu'il respirait de ses propres narines, dans 1'• hortus Frobenianus *, qui s'eten- skit entre la maison de l'imprimeur du Totengasslein et la demeure de l'ecrivain, au Nadelberg 77. Je subis vivement le charme de ce pays. On voit a Constance un lac immense; it s'etend en long et en large sur des milliers de pieds... Les monts boises uploads/Litterature/ margolin-erasme-l-x27-idee-de-nature.pdf

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