Itinéraires Littérature, textes, cultures 2011-1 | 2011 Les Mémoires, une quest

Itinéraires Littérature, textes, cultures 2011-1 | 2011 Les Mémoires, une question de genre ? Le chercheur queer et le roman historique : quelques défis de Marguerite Yourcenar Andrea Hynynen Édition électronique URL : http://itineraires.revues.org/1670 DOI : 10.4000/itineraires.1670 ISSN : 2427-920X Éditeur Pléiade Édition imprimée Date de publication : 1 avril 2011 Pagination : 137-154 ISBN : 978-2-296-13692-2 ISSN : 2100-1340 Référence électronique Andrea Hynynen, « Le chercheur queer et le roman historique : quelques défis de Marguerite Yourcenar », Itinéraires [En ligne], 2011-1 | 2011, mis en ligne le 01 avril 2011, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://itineraires.revues.org/1670 ; DOI : 10.4000/itineraires.1670 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Itinéraires est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Le chercheur queer et le roman historique : quelques défis de Marguerite Yourcenar Abstract This article addresses the issue of context in a queer analysis of historical novels. Three historical levels intertwine in a contemporary analysis of historical novels written prior to the advent of queer activism and theory, i.e. the recreated period, the context of the author and that of the analyst. The genealogical approach of queer studies postulates contextualization, but does not specify which of these contexts should be considered most significant for a queer analysis. The article explores three novels by Marguerite Yourcenar: Alexis ou le Traité du vain combat [Alexis], Mémoires d’Hadrien [Memoirs of Hadrian] and L’Œuvre au noir [The Abyss] and demonstrates the importance of considering all three contexts for identifying the specific ways in which the theme of sexuality is treated in those texts. Keywords : queer studies, historical novel, context, sexuality, Yourcenar Mots clés : études queer, roman historique, contexte, sexualité, Yourcenar Le queer dit souvent être insaisissable, indéfinissable et sans cesse en mouvement. Le queer est « ce qui échappe, ce qui n’est ni catégo- risé, ni catégorisable, ce qui vit 1 ». Dans l’introduction à Littérature et identités sexuelles, Anne Tomiche et Pierre Zoberman constatent que le seul élément qu’ont en commun les différentes manières d’interroger les identités sexuelles dans la littérature est leur « puissance d’ébranlement 2 ». Les recherches queer en littérature englobent une multitude de sujets, 1. Martial Martin, « Queering/historiciser le mythe de Gaveston : les libelles de la Ligue et de la Fronde », dans Pierre Zoberman (dir.), Queer : écritures de la différence ? 1. Autres temps, autres lieux, Paris, L’harmattan, 2008, p. 114. 2. Anne Tomiche et Pierre Zoberman (dir.), Littérature et identité sexuelle, Paris, Société Française de Littérature Générale et Comparée, 2007, p. 24. La discussion de Zoberman et de Tomiche englobe études féministes, études gay et lesbiennes et études queer. Leur remarque me paraît toutefois pertinente par rapport à la situation des recherches queer seules. 138 le CHerCHeur queer et le roMan Historique de perspectives et de procédés. Ceci dit, la pertinence d’une réflexion méthodologique continue est évidente : comment faire des recherches littéraires queer ? Le présent article ne portera que sur un aspect de cette question, amplement débattue et difficile à résoudre, à savoir le rapport entre le(s) passé(s) et le présent dans l’étude de la sexualité dans des textes qui ne sont pas contemporains. Dans un premier temps, je présenterai une sélection d’arguments proposés à ce sujet, qui illustrent la divergence de méthodes et forment l’arrière-plan de la réflexion qui suit. La deuxième partie de l’article sera consacrée au roman historique, et plus spécifiquement à Marguerite Yourcenar et à un choix de ses romans. Le raisonnement se ramènera alors à quelques questions suscitées par ce cas particulier : seront explorées, d’une part, les solutions que cet auteur a trouvées pour traiter de la sexualité dans ces œuvres et, d’autre part, les différentes manières dont une étude queer explorant ce thème dans des romans historiques peut tenir compte du contexte. L’œuvre romanesque de Yourcenar est intéressante à ce propos dans la mesure où elle se compose principalement de romans historiques placés dans des périodes variées, et que la production s’étire sur une période allant des années 1920 aux années 1980. L’opposition de l’homosexualité et de l’hétérosexualité reste nettement ancrée dans les esprits pendant tout ce temps, mais des changements importants se produisent tout de même dans les mentalités au cours du siècle. Les attitudes à l’égard de l’homo sexualité et de la famille changent. Il est vrai que l’idée de l’universel parcourt l’œuvre de Yourcenar, du moins son œuvre de la maturité 3, et que cette préoccupation de l’universel est contraire aux études queer. Néanmoins, cela n’empêche pas d’explorer l’œuvre yourcenarienne sous une perspective queer, démarche d’autant plus motivée que la représentation de la sexualité y est l’objet de modifications continuelles 4. Ces variations sont si impor- tantes qu’il semble peu satisfaisant d’examiner le thème sexuel seulement du point de vue de l’universalité. Attitudes queer à l’égard du passé Au cœur de mon sujet se trouve la question de l’identité sexuelle et de sa définition (j’utilise ici ce terme dans le sens d’identité ayant trait à la sexualité, et ne réfère pas à l’identité de genre sexué, même si les deux sont souvent connectés et/ou confondus), car la façon dont on envisage 3. En 1993, tout un colloque a été consacré au sujet de l’universalité chez Yourcenar. Cf. Maria José Vazquez de Parga et Rémy Poignault (dir.), L’Universalité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, vol. I-II, Tours, Société Internationale d’Études Yourcenariennes, 1994, 1995. 4. Voir Andrea hynynen, Pluralité et fluidité antinormatives : étude sur les transgressions sexuelles dans l’œuvre romanesque de Marguerite Yourcenar, Thèse de doctorat, départe- ment de langue et littérature françaises, Université d’Åbo Akademi, Turku, Åbo Akademi University Press, 2010. 139 andrea Hynynen la sexualité, et par conséquent des catégories telles que homosexualité, hétérosexualité, queer, etc., influence le processus analytique, quand il s’agit d’aborder des textes du passé. La problématique devint patente dans l’opposition tranchée entre l’essentialisme et le constructivisme qui divisait les historiens de l’homosexualité à la fin des années 1970 et au début des années 1980 5. L’opposition entre essentialistes et constructivistes contribua au fondement de la théorie queer, qui se distingua des études gay en optant pour la position constructiviste inspirée de Michel Foucault et de sa Volonté de savoir (1976) 6. En insistant sur le fait que la sexualité se produit dans les discours et dans les sociétés, et en lui refusant ainsi le statut d’un instinct biologique basique, purement corporel et directement accessible, le queer pose la nécessité d’étudier les expressions et les désirs sexuels, y compris dans la littérature, en relation avec leur contexte sociohistorique et discursif. La question qui se pose est celle de l’utilité des concepts et de la terminologie modernes dans une analyse du passé. S’il est vrai, comme le dit Tania Swain, que les types sexuels que nous créons en les désignant deviennent « un tout identitaire doté d’une cohésion intrinsèque, voire essentielle, pourquoi pas “naturelle” », la terminologie est d’une importance cruciale 7. Étroitement liée à une époque donnée, elle détermine la façon de voir les choses. Bien entendu, cette remarque ne concerne pas seulement les périodes révolues. Ce phénomène est tout aussi pertinent aujourd’hui. Apostolos Lampropoulos soulève cette problématique en constatant que la théorie queer considère « sa propre approche comme une activité produisant le sens de la sexualité qu’elle recherche 8 ». Nos concepts et nos catégories d’aujourd’hui sont-ils alors applicables à des périodes du passé ? Jean Schneider adopte comme position qu’il est important de faire attention aux catégories et aux concepts historiques en s’adonnant à une analyse attentive du vocabulaire utilisé dans les lettres byzantines qu’il étudie 9. Il renonce ainsi à appliquer simplement les catégories et la terminologie modernes au passé. En revanche, Paul-André Perron justifie 5. Steven Seidman, « Identity and Politics in a “Postmodern” Gay Culture : Some historical and Conceptual Notes », dans Michael Warner (ed.), Fear of a Queer Planet, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1993, p. 105-142. Cf. David halperin, One Hundred Years of Homosexuality, New York, Routledge, 1990, p. 15-27. 6. Les propos de Foucault concernant la naissance de l’homosexuel au xixe siècle, au début traités quasiment comme une vérité absolue, ont désormais été modérés. Cf. Gary Ferguson, « Avant-goûts : (homo)sexualités comparées au seuil de la modernité », dans Anne Tomiche et Pierre Zoberman (dir.), op. cit., p. 105-122. 7. Tania Navarro Swain, « Au-delà du binaire : les queers et l’éclatement du genre », dans Diane Lamoureux (dir.), Les limites de l’identité sexuelle, Montréal (Québec), Remue- ménage, 1998, p. 135-149, p. 140. 8. Apostolos Lampropoulos, « Queer(ing) theory : de la déstabilisation perpétuelle à la relance du théorique », dans Pierre Zoberman (dir.), Autres temps, autres lieux, op. cit., p. 24-41, p. 26. 9. Jean Schneider, « L’expression hyperbolique de l’amitié dans les lettres d’un moine byzantin », dans Pierre Zoberman (dir.), Autres temps, autres lieux, op. cit., p. 80-101. 140 le CHerCHeur queer et le roMan Historique l’emploi de concepts contemporains pour parler du passé en soulignant la uploads/Litterature/ marguerite-yourcenar-queer.pdf

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