Un "Moyen Age" littéraire ? L'expression de "Moyen Âge" (inventée au début du X
Un "Moyen Age" littéraire ? L'expression de "Moyen Âge" (inventée au début du XVIIe siècle par les humanistes pour qualifier la période qui s'étend de la fin du Ve siècle à la fin du XVe siècle) serait péjorative si elle n'était pas aussi usée. Elle est en tout cas significative du mépris dans lequel on a longtemps tenu cette époque de la littérature, gommée au bénéfice de la Renaissance, jusqu'à sa redécouverte par le XIXe siècle romantique. La période injustement qualifiée de "Moyen Âge" est tout au contraire celle de la naissance de la littérature française. Celle-ci ne voit le jour qu'à la fin du IXe siècle, date des premiers textes littéraires en langue romane. A partir de cette date, la langue romane est perçue comme une langue pouvant rivaliser avec le latin dans l'expression littéraire, même si le latin demeure la langue savante de la communication internationale. La littérature médio-latine reste féconde. Mais, peu à peu, la nouvelle langue suscite des formes neuves. Les textes de cette période, toutefois, ne relèvent pas à proprement parler de l'écrit, dans la mesure où la plupart sont destinés à faire l'objet d'une performance orale. Par ailleurs, les textes médiévaux nous sont parvenus à travers des transcriptions manuscrites. D'une copie à l'autre, les variantes sont presque systématiques et parfois très importantes : la "mouvance" du texte est une des caractéristiques de la littérature médiévale. En outre, bien des textes n'ont été conservés que par des copies uniques et/ou très mutilées : nous ne possédons par conséquent qu'une partie, peut-être infime, de la production réelle. Des textes sans auteurs Jusqu'au XIIIe siècle, les notions d'oeuvre et d'auteur au sens moderne n'existent pas. Les textes sont très souvent anonymes, et toutes les oeuvres, même lorsqu'elles sont associées au nom d'un auteur, sont en partie anonymes. Même lorsqu'un nom d'auteur apparaît, ce n'est le plus souvent qu'une coquille vide : on ne connaît quasiment de Marie de France ou de Chrétien de Troyes que leur nom. Encore ce nom est-il en général un simple prénom, fluctuant selon qu'il s'énonce en langue d'oc ou en langue d'oïl, suivi du nom d'une ville d'origine ou de résidence. Qui, d'ailleurs, doit être considéré comme l'auteur d'un texte ? Le clerc, homme d'église cultivé, qui remanie une oeuvre existante, ou crée, à partir d'un canevas oral et populaire, une oeuvre originale qui peut en être très éloignée. Le copiste, qui, chargé de copier, ou plus exactement de transcrire de mémoire, n'hésite jamais à inventer pour combler une lacune, rajouter ou retrancher une partie du texte, l'adapter à un nouvel état de langue ou aux goûts d'un public particulier, corriger un passage qu'il trouve obscur ou mauvais, relier entre elles des oeuvres différentes pour les organiser en un ensemble plus vaste, lorsqu'au XIIIe siècle les cycles sont à la mode. Ou enfin le jongleur, homme de spectacle qui récite, chante, mime ou met en scène, parfois compose des vers qu'il ajoute, et lui aussi adapte les oeuvres pour un public chaque fois différent. L'auteur au Moyen Âge se considère comme un traducteur ou un continuateur plutôt que comme un créateur. La notion de " propriété littéraire " n'existe pas au Moyen Âge. Le texte n'appartient pas à un auteur, il n'est pas immuable, aussi est-il normal de s'en servir, de le plagier, le remanier, lui donner une suite ou lui inventer un début. 1 Naissance de la littérature française Le Moyen Âge est la période par excellence des "enfances" de la littérature française. Aux XIIe et XIIIe siècles, notamment, sont inventés l'essentiel des genres poétiques et narratifs français, qui voient le jour avec une grande fraîcheur mais également avec beaucoup d'éclat : très souvent les premiers textes conservés dans chaque genre sont des chefs d'oeuvre accomplis, tels la Chanson de Roland, les romans de Chrétien de Troyes ou les poèmes de Guillaume d'Aquitaine. Même si les genres littéraires ne sont pas encore strictement codifiés, leurs enfances sont aussi marquées par une grande attention pour les formes. L'une des caractéristiques fondamentales de l'art poétique médiéval est la technicité dans la recherche du "style". La conception médiévale de l'originalité et donc de la notion d'auteur est très différente de celle d'aujourd'hui. Les écrivains n'essaient pas de se démarquer, mais d'intégrer au mieux la tradition, de réécrire des textes antérieurs, d'en rassembler des éléments épars. Les préoccupations affectives importent beaucoup moins que l'intervention formelle. Leur souci n'est aucunement l'expression de sentiments ou d'idées personnels, le thème même n'est qu'un prétexte. Il leur importe de renouveler non les motifs, mais la forme : le sujet c'est l'oeuvre elle-même. Ils semblent pleinement conscients de la nécessité, dans toute création artistique, d'introduire un écart rhétorique qui est l'indice d'un genre et la marque d'un style. Les vies de saints Au IXe siècle apparaissent les premiers textes littéraires en langue romane, dont la vocation littéraire est d'abord incertaine : de la fin du IXe siècle à la fin du XIe, tous sont des poèmes religieux qui se dégagent peu à peu de la liturgie. Ce sont des récits hagiographiques, c'est-à-dire des récits de vies exemplaires de saints et martyrs. Le premier de ces textes, daté des environs de 882, est la version romane d'une séquence latine, la Séquence (ou Cantilène) de sainte Eulalie. Ce court texte de 29 vers est composé de 14 distiques assonancés et d'un vers isolé en -ia qui relie la séquence à un Alleluia dont elle est la glose. C'est un récit empreint de merveilleux chrétien, d'une grande sobriété mais néanmoins caractérisé par son énergie narrative : de nombreux verbes et peu d'adjectifs, des surprises qui maintiennent l'attention en éveil et des ellipses qui stimulent l'imagination. La Chanson (ou Vie) de sainte Foy (composée au milieu du XIe siècle, 593 vers organisés en courtes laisses d'octosyllabes rimés) est importante pour l'histoire de cette littérature naissante, car elle est dotée d'un prologue où un récitant loue les mérites littéraires du texte. Mais la plus célèbre de ces vies de saint est la Vie de saint Alexis, dans laquelle on trouve un couplet régulier qui donnera naissance aux "laisses" épiques. Plus généralement, formes et thèmes des vies de saints préfigurent ceux des chansons de geste. Ces poèmes sont composés de décasyllabes qui annoncent le décasyllabe épique, leurs strophes sont trop courtes pour être encore des laisses, mais sont déjà assonancées. Les vies de saints ont également fondé tout un pan de l'imaginaire médiéval : l'inspiration héroïque de la chanson de geste et du roman courtois découle en partie des actes des saints martyrs. La légende de saint Joseph d'Arimathie survit ainsi dans la légende du Graal qui transcende l'aventure chevaleresque en aventure spirituelle. 2 La Vie de Saint Alexis (v. 1040-1045) La Vie de saint Alexis, que l'on peut dater des environs de 1040-1045, fut un grand succès de son époque. Elle a été conservée par cinq manuscrits du XIe siècle, qui tous sont altérés, puis a fait l'objet de trois remaniements aux XIIe et XIIIe siècles. Ce poème de 625 vers, soit 120 strophes de 5 décasyllabes assonancés, se caractérise par sa construction très élaborée. Alexis, fils d'un riche romain, quitte la maison de son père et sa femme le soir de ses noces, pour vivre en ermite mendiant. Il vit en Orient pendant de longues années, et revient méconnaissable. Dans sa propre maison, il est logé comme un chien sous l'escalier, en butte aux mauvais traitements des domestiques, et se nourrit de rebuts. Avant de mourir, il rédige son histoire sur un papier que seul le Pape parvient à lui arracher après sa mort. La vérité éclate et provoque miracles et conversions : le poème se termine sur l'affirmation du bonheur céleste de ce saint et l'assurance de son intercession en faveur des siens et de tous les hommes. Ce récit de la légende du "pauvre sous l'escalier" dont la vocation est hagiographique est aussi l'un des premiers textes romanesques de la littérature française : c'est une fiction assez complexe, qui comporte de nombreuses situations narratives (voyages, épreuves, scènes familiales), se déroule dans des espaces variés (Rome, l'Orient), et son personnage principal est défini psychologiquement avec soin. La chanson de geste La chanson de geste est la première forme littéraire profane écrite en langue française. Forme médiévale de l'épopée latine, elle est également la transposition dans le monde guerrier des récits hagiographiques des siècles précédents. C'est une forme littéraire de l'acte, comme le souligne le terme de geste, qui vient du pluriel neutre latin gesta signifiant actions, et par extension hauts faits, exploits. Le terme de chanson et le syntagme "chanter de geste" mettent en évidence le caractère oral de textes qui étaient en général chantés ou psalmodiés par des jongleurs (il fallait plusieurs journées pour la récitation publique des 4000 vers de la Chanson de Roland), et leur caractère musical (chaque chanson avait sa mélodie). En raison de ce caractère oral, les manuscrits de chansons de geste présentent des variantes particulièrement fréquentes. Ces longs poèmes narratifs chantés célèbrent les exploits guerriers de héros, uploads/Litterature/ apercu-de-la-litterature-francaise-medievale.pdf
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- Publié le Apv 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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