1 REMARQUES SUR LE VERBE AGERE ASSOCIÉ AUX NOMS DÉSIGNANT UNE DURÉE TEMPORELLE
1 REMARQUES SUR LE VERBE AGERE ASSOCIÉ AUX NOMS DÉSIGNANT UNE DURÉE TEMPORELLE Emanuela MARINI Univ. di Bologna emanuela.marini@unibo.it 1. INTRODUCTION Il n'est pas dans mon propos de traiter exhaustivement le sujet que j'évoque dans le titre de cet article, car l'étude complète des tours où le verbe agere s'associe aux noms désignant en latin une durée temporelle porterait sur un trop grand nombre de telles locutions : il faudrait y inclure aussi les verbes dérivés de agere, tels que dego1 et agito2, associés aux mêmes désignations du temps. Je me contenterai de prendre en compte seulement certaines associations, parmi d'autres, chez certains auteurs, tels que Plaute, Térence, Cicéron et Sénèque. Je proposerai d’analyser ici agere comme un verbe support. Les critères distinguant les emplois d'un verbe donné comme verbe support de ses emplois comme verbe prédicatif sont essentiels à l’analyse des constructions verbo-nominales. Dans le cas particulier de agere, son statut de verbe support paraît douteux dans beaucoup de tours où il est associé à un nom à l'accusatif3. 2. UNE APPROCHE “MIXTE” 1 Cf. TLL s.v. p. 384, 63 s. et 385, 1 s. 2 Cf. TLL s.v. p. 1338, 10 s. 3 Cf. l'expression litem agere, où le verbe agere n'est pas un verbe support, comme je l'ai montré dans ma communication au XIVe Colloque International de Linguistique Latine (Erfurt 2007). Il faudrait étudier les relations entre causam agere du domaine juridique et fabulam, tragoediam, comoediam, togatam agere, ainsi que partes agere et par ex. lenonem, seruum, auarum ...agere, ce dernier correspondant à it. “fare la parte di un/del lenone, fare un/il lenone”, car, d'après LA FAUCI- MIRTO (2004 : 87-97), le verbe italien 'fare' dans cette construction, qu'ils appellent “fare ruolo”, ne serait pas un verbe support, mais il remplacerait le verbe 'interpretare' (jouer). Il est bien évident que par ex. conuentum agere diffère de conventum facere, societatem agere de societatem facere, silentium agere de silentium facere par le fait que l'entité désignée par le nom associé à facere ne préexiste pas à cette association, ce qui ne vaut pas pour agere (pour le critère d'individuation d'un verbe support de la coréférence du sujet du nom prédicatif et du verbe support v. § 4). En revanche, à curam agere correspondent soit curare soit la forme curagere, dérivée par agglutination de curam agere: on trouve les attestations de curagere seulement dans des inscriptions (CIL III 3096, 6602, 7506... VIII 141, XI 671, etc.) à côté soit de curam agere (CIL IX 1971,1) soit de curare (CIL VI 1117). 2 Comme je l'ai déjà montré4, à présent on dispose de deux approches à l'étude des verbes supports, celles que j'ai appelées “deux démarches” pour un lexique-grammaire des verbes supports5. En bref, elles ont en commun le point de départ, c'est-à-dire que l'étude du lexique d'une langue ne doit pas concerner les mots isolés, mais les mots dans le cadre des structures des phrases simples, considérées dans leur extension maximale et analysées en termes de prédicat et d'arguments. Le prédicat –qui appartient à plusieurs catégories morphologiques, en particulier verbes, noms et adjectifs- est le pivot de la phrase et c'est le prédicat qui sélectionne le nombre et le type d'arguments- y compris le sujet-, en les mettant en relation entre eux selon justement des schémas d'arguments. Un même prédicat peut avoir plusieurs schémas d'arguments différents : ceux-ci sont associés à différents emplois, c'est-à-dire à différents sens. Des schémas d'arguments différents présentent également des propriétés distributionnelles et transformationnelles spécifiques de chacun d’eux. 2.1. Dans la première démarche, on établit d'abord, pour un support donné, la liste des noms prédicatifs avec lesquels il se combine et la classification syntaxique des constructions répertoriées. À cette phase, il est d'une grande importance de disposer d'un certain nombre de critères, définitoires ou au moins opérationnels, à l'aide desquels l'on puisse vérifier le statut d’un verbe donné dans sa relation avec chacun des noms prédicatifs : pour qu’on puisse parler de verbe support, il faut que ce soient ces noms qui jouent chaque fois le rôle de prédicat, et non le verbe à eux associé. Ensuite, on établit la liste des autres verbes se combinant avec les mêmes noms prédicatifs et commutant avec le Vsup de base. Ces verbes sont appelés extensions du verbe support de base et souvent, tout en conservant le sens des constructions de départ, ils véhiculent des valeurs aspectuelles (par ex. Paul fait une étude sur la vinification face à Paul entame une étude sur la vinification, où entamer est une extension de faire, à valeur aspectuelle inchoative; Paul a du sang-froid face à Paul maintient son sang-froid, où maintenir est une extension d'avoir, à valeur aspectuelle progressive) 6. On remarque que, au même titre que d'autres éléments des phrases, tels que par ex. les déterminants, les verbes supports aussi bien que leurs extensions sont des variables, le prédicat étant la seule constante. Par conséquent, même si, pour des raisons surtout sémantiques et aspectuelles, on observe des compatibilités diverses entre un nom prédicatif et l'ensemble 4 Communication au XIVe Colloque International de Linguistique Latine, Erfurt 2007. 5 De IBRAHIM (1996: 4 s.) on apprend que le terme support apparaît pour la première fois, vers la fin des années soixante-dix, dans des pubblications internes du Laboratoire d'Automatique Documentaire et Linguistique (LADL), dirigé par Maurice Gross, et il connaît ses premières attestations dans la thèse de A. Daladier (mars 1978). La notion de support s'est dégagée de l'oeuvre de Z. S. Harris, qui, néanmoins, parle toujours d'opérateurs, par l'intermédiaire des recherchers, des publications et de l'enseignement de Maurice Gross et de son école du Lexique-grammaire. 6 V. GROSS-VIVÈS 1986:18. Les exemples sont tirés de Gross (2004a: 351-352). 3 des verbes supports et des extensions, auxquels il peut s'associer, en général, dans la plupart des cas, l'association entre un tel verbe support et un tel nom prédicatif n'est en principe pas prévisible. 2.2. La deuxième démarche est l’inverse de la première, car on part des noms prédicatifs et non des verbes supports et on classifie l'ensemble des noms prédicatifs en “classes d'objets”7. Le promoteur de la deuxième démarche a été Gaston Gross8. Le but de son projet serait d'établir une typologie générale des prédicats nominaux permettant de prédire la forme de leurs supports. En effet, puisque il n'existe pas de verbe support unique pour tous les noms prédicatifs - tel que le verbe être, qui est le support de tous les adjectifs prédicatifs-, on souhaiterait pouvoir prédire leur actualisation et indiquer le “support basique” et le “support approprié” à chacun d'eux. Pour atteindre ce but, il faut mettre au point autant de sous-classes sémantiques de substantifs prédicatifs qu'il est nécessaire -ces sous-classes sont les “classes d'objets”- pour leur assigner le support adéquat. Il faut être en mesure d'attribuer un support à chaque classe et de faire correspondre à chaque support la classe qui lui convient. Donc, l'étude des noms prédicatifs ne peut être faite qu'à partir de chaque substantif, dont il convient de recenser les diverses propriétés caractéristiques. Dans ce but, au LLI a été mise au point une grille de description qui comporte 14 rubriques et dont je donne ici un exemple tiré de Gross 2004a : 357 : Classe des <combats> : combat, bataille, guerre verbe support basique : faire verbes supports appropriés : mener, livrer verbes supports passifs : subir verbes supports réciproques : se faire, se livrer verbes supports aspectuels : inchoatif : engager, entreprendre, entamer, lancer intensif : itératif : renouveler, reprendre, relancer progressif : continuer, poursuivre, prolonger terminatif : cesser, interrompre, suspendre, terminer, abandonner, arrêter, mettre fin à, rompre Constructions événementielles : avoir lieu, se livrer, faire rage, éclater, survenir, s'intensifier 2.3. Mon approche est “mixte”, dans ce sens que mon point de départ est le verbe agere, candidat au rôle de verbe support ; cependant, je n'ai pas pris en compte tous les noms prédicatifs qui peuvent lui être associés, mais la seule “classe d'objets” du temps, en faisant, en plus, des choix parmi tous les 7 V. IBRAHIM (1996: 6) et VIVÈS (2004: 642). 8 Gaston Gross actuellement dirige le Laboratoire de Linguistique Informatique (LLI) de l'Université de Paris XIII. 4 mots exprimant cette notion. En tout cas, ma démarche est à l'opposé de celle de Lopez Moreda 1978, qui adopte l'approche de la lexématique, laquelle étudie les lexèmes isolés, hors de leur contexte syntaxique, en individuant leurs sèmes et les relations qu’ils entretiennent au niveau de la langue. Néanmoins, j'aimerais citer ce qu'il dit à propos de agere associé à “des accusatifs de temps”, avec l'intention d'y revenir plus loin : « Del análisis de 100 complementos de ago y 420 de facio, sólo 20 términos (o esferas léxicas como diem, mensem, noctem, etc.) son comunes a los dos verbos... I.10 Mensem y acusativos de tiempo en general. Con ago se trata del moviniento dentro del tiempo, mientras que con facio es claramente productivo: mensis agitur iam hic septimus (TER. Hec. 394); facient menses luces (OV.fast. 6,39) » (Lopez Moreda 1978: 214 s. et 217 uploads/Litterature/ marini-verbe-agere.pdf
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- Publié le Mai 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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