Le portrait d’Augustine dans La Maison du chat-qui-pelote de Balzac (1830). D’u

Le portrait d’Augustine dans La Maison du chat-qui-pelote de Balzac (1830). D’une expérience de subjectivation par la médiation artistique Fausto Calaça1 En 1982, dans le cours L’Herméneutique du sujet, Michel Foucault2 met la notion de « subjectivation » en discussion en la plaçant sous le signe du « souci de soi » pour développer une étude sur les pratiques de production de la subjectivité dans la culture occidentale. Cette notion désigne « le processus par lequel on obtient la constitution d’un sujet, plus exactement d’une subjectivité, qui n’est évidemment que l’une des possibilités données d’organisation d’une conscience de soi3 ». Au-delà de toute conception statique et objective de sujet humain, Foucault s’intéresse aux modes de vie et aux processus de subjectivation comme notions dynamiques tant dans les pratiques que dans leurs significations. Le souci de soi se réfère à une « certaine manière d’envisager les choses, de se tenir dans le monde, de mener des actions, d’avoir des relations avec autrui4 ». Se soucier de soi-même, selon les termes foucaldiens, c’est une façon de convertir le regard, en le reportant de l’extérieur, des autres, du monde, etc., vers soi-même, impliquant ainsi une attention à ce qu’on pense et à ce qui se passe dans la pensée. Aussi désigne-t-il un certain nombre d’actions que l’on exerce de soi sur soi, actions par lesquelles on se prend en charge, on se purifie, on se transfigure. Cette perspective transdisciplinaire de Foucault semble compatible avec la création littéraire d’Honoré de Balzac, puisque ses représentations romanesques de la constitution de la subjectivité sont toujours menées par l’analyse complexe de la vie concrète des personnages et par la dialectique entre l’individu et la société. En d’autres mots, puisque les romans balzaciens portent plus sur les interactions entre les individus et les faits sociaux ou les forces sociales que sur les individus eux-mêmes, un rapprochement peut s’opérer entre Balzac et Foucault en ce qui concerne le sujet humain : les études foucaldiennes donnent 1 Professeur adjoint du Programme de Post-graduation en Études des Langages à l’Université de Mato Grosso (Brésil) ; professeur invité à l’Université Diderot-Paris 7, dans le Groupe international de recherches balzaciennes. Ce travail sur la notion de subjectivation est mené en collaboration avec Terezinha de Camargo- Viana (Université de Brasilia-Brésil). Cet article, revu dans sa version française par Olivier Bara, est extrait de la thèse en Psychologie Clinique et Culture de Fausto Calaça, soutenue à l’Université de Brasilia, codirigée par T. de Camargo-Viana et O. Bara. 2 Michel Foucault, L’Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France, 1981-1982, édition établie sous la direction de François Ewald et Alessandro Fontana par Frédéric Gros, Paris, Gallimard, 2001. 3 Michel Foucault, « Le retour de la morale » [1984], dans Dits et écrits (1954-1988), tome IV (1980-1988), édition établie sous la direction de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration de Jacques Lagrange, Paris, Gallimard, p. 706. 4 Foucault, L’Herméneutique du sujet, éd. citée, p. 12. des clés de lecture du roman balzacien lequel, en retour, permet d’en vérifier la fécondité dans le domaine des sciences humaines. Selon José-Luis Diaz, les objets d’enquête et les centres de l’intérêt romanesque chez Balzac sont constitués par « des individus en crise, dont l’identité à la fois sociale et personnelle est mise en question5 ». De ce point de vue, on pourrait envisager la notion foucaldienne de subjectivation comme déjà « pressentie » par Balzac en un temps où les sciences sociales, à peine émergentes, ne se distinguaient pas de ce que la modernité circonscrit en tant que « littérature » ou « champ littéraire ». Tel est le programme du romancier : « se faire l’observateur des identités en mutation, des physiologies en crise, des moi en rébus – cela de manière à accomplir le projet de d’Arthez : faire une œuvre psychologique et de haute portée sous la forme du roman6 ». Dans cette enquête sur la subjectivation, les personnages balzaciens sont pris dans un processus de « métamorphoses » successives : « les personnages balzaciens sont en devenir » et le roman raconte une identité et un moi en crise7. Le sujet balzacien, représenté par plusieurs protagonistes de La Comédie humaine, ne cesse d’essayer de reconstruire lui-même une identité et un moi nouveaux. Esquisser une notion de « sujet » chez Balzac appelle donc une conscience extrême de la mobilité de l’être. Ainsi, puisque Balzac n’est pas un spécialiste des philosophies du sujet – c’est-à-dire, un philosophe, un homme de science, mais un littéraire –, il convient de mener une analyse interprétative et critique de son œuvre, en tenant compte des questions d’historicité discursive. Dans l’Avant-propos de La Comédie humaine, on trouve l’une des idées fondatrices de la conception balzacienne du sujet : L’homme n’est ni bon ni méchant, il naît avec des instincts et des aptitudes ; la Société, loin de le dépraver, comme l’a prétendu Rousseau, le perfectionne, le rend meilleur ; mais l’intérêt développe aussi ses penchants mauvais8. Comme l’a noté Madeleine Fargeaud9, cette pensée dirigée contre Rousseau, dans l’Avant-propos, semble plus proche de la position de Hobbes, selon laquelle l’homme est né mauvais et la société le perfectionne. Mais, ajoute-t-elle, c’est ici le point de vue du 5 José-Luis Diaz, « “De quel moi parlez-vous ?” Quelques réflexions sur la crise des identités chez Balzac », dans Balzac et la crise des identités, sous la direction d’Emmanuelle Cullmann, José-Luis Diaz & Boris Lyon- Caen, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot éditeur, 2005, p. 16. 6 Ibid. L’extrait de La Comédie humaine [allusion à d’Arthez] est : Un grand homme de province à Paris [2e partie d’Illusions perdues, 1839], dans Balzac, La Comédie humaine, édition publiée sous la direction de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome V, 1977, p. 314. 7José-Luis Diaz, art. cité, p. 18-21. 8 Balzac, Avant-propos de « La Comédie humaine » [1842], La Comédie humaine, éd . citée, tome I, 1976, p. 12. 9 Madeleine Fargeaud, Notes de l’Avant-propos de « La Comédie humaine », Ibid., p. 1128. philosophe Louis de Bonald que Balzac adopte : « je me range du côté de Bossuet et de Bonald, au lieu d’aller avec les novateurs modernes [Rousseau, comme exemple]10 ». C’est un Balzac qui se dit du côté de la religion et de la monarchie, faisant de la famille – non de l’individu – « le véritable élément social11 ». Au pied de la lettre, cette position nous semble bien éloignée de la notion foucauldienne de subjectivation, puisque celle-ci fait référence aux pratiques individuelles, aux pratiques qu’on exerce de soi sur soi. Néanmoins, une bonne lecture de l’ensemble de l’œuvre balzacienne – des premiers essais de jeunesse jusqu’aux derniers chefs-d’œuvre – nous permet de découvrir la perspective d’une pensée complexe et toujours mouvante sur les pratiques de production de la subjectivité à l’époque romantique. Voici une trace du romantisme de l’énergie chez Balzac. Car en mettant en prose un univers de personnages en crise à la recherche d’autres modes de vie, c’est l’écrivain lui-même qui se trouve en processus permanent de subjectivation. L’écrivain, « ayant fait ses premières armes dans la littérature industrielle » et bien aussi étant « libéré des mythes aristocratiques qui engoncent les poètes12 », s’est lancé dans les divers expériences de création de soi-même à travers une production intellectuelle dans l’esprit capitaliste. En cherchant des fondements pour bien dessiner une pensée et une position politiques, Balzac arrive à produire une certaine vision du sujet humain qui ne porte aucune définition ou nature lorsqu’il vient au monde. L’homme balzacien est un être naturellement doté de possibilités de perfectionnement – de facultés pour la subjectivation. Nous pourrions considérer la notion d’« intérêt », portant un côté moraliste dans cette citation (« penchants mauvais »), comme l’une « des aptitudes » de l’individu qui lui permettent d’effectuer des changements dans sa propre subjectivité. L’intérêt, cet état de l’esprit qui prend part à ce qu’il trouve digne d’attention, cette force qui amène l’individu à la recherche d’avantages personnels, peut alors rejoindre le « souci de soi » conçu comme la conversion du regard de l’extérieur vers soi-même. Le sujet balzacien demeure le résultat d’un processus de production individuelle toujours médiatisé par la culture. Bien entendu, cette pensée assez anthropologique de la notion de « sujet » ne se présente que très imparfaitement dessinée dans La Comédie humaine, ou dans les autres publications de Balzac ; elle est dispersée dans l’évolution de l’écriture de 10 Balzac, Avant-propos de « La Comédie humaine », éd . citée, p. 13. 11 Ibid. 12 José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire : scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 436. son œuvre, puisqu’il s’agit d’une création littéraire avec ses contradictions, ses instabilités, ses métaphores et ses appâts. Selon Nicole Mozet, [...] on ne peut jamais prendre au pied de la lettre aucune de ses déclarations. On ne peut jamais dire : « Balzac a dit »... sans préciser les circonstances de l’énonciation. Dans l’« Avant-propos » de La Comédie humaine, il claironne qu’il uploads/Litterature/ fausto-calaca 1 .pdf

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