05/07/2022 12:26 Le Monde https://journal.lemonde.fr/data/2182/reader/reader.ht
05/07/2022 12:26 Le Monde https://journal.lemonde.fr/data/2182/reader/reader.html?t=1657033340908#!preferred/0/package/2182/pub/3023/page/40/alb/134751 1/3 Hugo Duminil-Copin, « percolateur » universel David Larousserie A 36 ans, le mathématicien probabiliste français vient de se voir attribuer la prestigieuse médaille Fields, qui récompense ses travaux sur des modèles de particules en interaction Portrait - envoyé spécial GENÈVE E t de treize. L’école de mathématiques française vient à nouveau d’être récompensée par une médaille Fields, une distinction attribuée, tous les quatre ans, depuis 1936, lors du Congrès international des mathématiciens, pour des progrès dans la discipline réalisés par des chercheurs de moins de 40 ans. Hugo Duminil-Copin, 37 ans en août, a été élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, comme dix autres de ses prédécesseurs nationaux, mais le « conformisme » s’arrête là. Comme deux autres seulement avant lui, il n’a pas fait sa thèse à Paris, ni n’est passé par le CNRS. Son professeur de master à l’université d’Orsay d’alors, Wendelin Werner (médaille Fields 2006), lui suggère en 2008 de poursuivre sa thèse en Suisse, à l’université de Genève, chez le futur lauréat Fields de 2010, Stanislav Smirnov. , se souvient Hugo Duminil-Copin, qui passe sans encombre les formalités pour être nommé en 2013. Trois ans plus tard, le mathématicien se coupe en deux, et à 31 ans devient aussi professeur permanent à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES), auréolé désormais de huit médailles Fields, et installé dans la ville de son adolescence, à Bures-sur-Yvette (Essonne). « Au pot de ma soutenance de thèse, un responsable de l’université me propose un poste ! » Rigueur, intuition et curiosité La coïncidence de lieu fait sourire le nouveau lauréat, probabiliste qui ignorait tout de ce prestigieux établissement à l’époque. Tout comme il ignorait, lorsqu’il suivait ses cours, que Wendelin Werner avait eu la médaille Fields. Ou comme il s’était souvenu, deux jours avant l’épreuve, qu’il devait passer Hugo Duminil-Copin, à l’Institut des hautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette (Essonne), en avril 2017. MARIE-CLAUDE VERGNE/IHES 05/07/2022 12:26 Le Monde https://journal.lemonde.fr/data/2182/reader/reader.html?t=1657033340908#!preferred/0/package/2182/pub/3023/page/40/alb/134751 2/3 l’agrégation. , lance, pas très convaincant, Hugo Duminil-Copin, qui, après d’intenses révisions pour l’oral, sera classé deuxième, . Ce genre de coup d’accélérateur, ou comme il dit, était une habitude. Arrivé de banlieue au lycée Louis-le-Grand, à Paris, en première, il est dernier d’une classe d’élite en début d’année, avant de cravacher pour être premier. « J’ai eu peur d’être le premier normalien à rater ce concours ! » un rang conforme à celui de ses aînés « claque » , déclare en souriant celui qui a choisi ce domaine des probabilités grâce à son professeur d’alors, Jean-François Le Gall. Hugo Duminil-Copin étudie en effet des modèles de particules en interaction, régies par des processus aléatoires, et dont il s’agit de comprendre les propriétés à grande échelle. Comment le magnétisme apparaît ou disparaît en fonction de la température, qui modifie les comportements microscopiques de petits aimants atomiques ? Comment l’eau liquide devient glace, à partir des interactions entre molécules d’eau individuelles ? Comment de l’eau sous pression traverse une épaisseur de café moulu ? Ou comment un feu de forêt passe d’arbre en arbre ou s’arrête ? « Quatre lauréats probabilistes en cinq promotions, ça va faire jaser » « exceptionnel » « En fait, je préfère dire que je fais de la physique-mathématique, plutôt que des probabilités, car cela réconcilie deux passions de jeunesse, les maths et la physique, la première pour la rigueur, la seconde pour l’intuition et la curiosité à comprendre des phénomènes naturels. » Ces questions correspondent à deux phénomènes : les transitions de phase et la percolation (passage d’un fluide à travers un milieu). Et plus précisément encore, Hugo Duminil-Copin cherche à savoir si ces changements sont continus, comme un aimant trop chauffé dont un clou finit par se détacher, ou discontinus, comme l’eau se figeant brusquement à zéro degré. En quelques années, il a considérablement fait avancer son domaine au point d’obtenir des résultats qui ont fait circuler son nom pour la session précédente des médailles Fields en 2018. En 2016, il reçoit le prix de la Société mathématique européenne et le prix New Horizons in Mathematics, richement doté. En 2017, le prix Loève, son , car propre à sa communauté. Ensuite il ne s’est pas endormi sur ses lauriers, continuant d’accumuler des résultats, qui rendaient, cette année, sa récompense incontournable. Il a ainsi déterminé à quelles conditions une vaste classe de modèles subit une transition de phase continue ou non. , résume-t-il. « préféré » « C’est important de le savoir, car étudier une transition sans connaître sa nature, c’est comme essayer de traduire un texte sans savoir si c’est du français ou de l’anglais » C’est aussi à lui qu’on doit la démonstration de la continuité d’une transition dans un modèle très étudié, dit « d’Ising », pour comprendre le magnétisme. Les physiciens en avaient l’intuition, désormais c’est du solide. En revanche, un autre résultat leur a moins : eux qui pensaient que des modèles d’Ising pouvaient, à condition d’ajouter une dimension, décrire aussi le comportement de particules quantiques, doivent déchanter. Hugo Duminil-Copin, avec ses coauteurs, a montré que le comportement est « trivial », c’est-à-dire que le modèle « plu » décrit en fait des objets sans interaction, donc pas très intéressants ! , déclare Wendelin Werner avec le sourire. , explique Hugo Duminil-Copin, pour qui . Comme beaucoup, il bute aussi sur le fait de savoir si la percolation est continue ou non en trois dimensions. « Je vais pouvoir jeter mon livre de cours à la poubelle, car bon nombre de problèmes que je qualifiais de non-résolus ont été réglés par Hugo et d’autres de la même génération ! » « Il faut relativiser. Une blague circule : on étudie tous ces modèles, mais on ne sait toujours pas pourquoi l’eau bout ! » « tout reste à faire » Une recette « simple » , estime Wendelin Werner. Son ancien élève jongle avec la boîte à outils des probabilistes mais aussi avec celle des analystes, des algébristes et même des théoriciens de l’informatique. Sa recette est . Et ajoute : Il aime aussi beaucoup les discussions et multiplie les collaborations, notamment avec les mathématiciens Michael Aizenman, Ioan Manolescu ou Vincent Tassion. , poursuit-il. « Hugo est très complet. Ce qui frappe est le nombre de ses contributions importantes dans des directions assez différentes » « simple » « J’approxime beaucoup dans ma tête et j’y fais beaucoup d’erreurs, sources de la créativité, qui disparaissent évidemment dans les publications. » « En amont d’un problème, ma tête marche comme un tamis qui filtre les idées. Mais, sous le tamis, on met quand même des pots, pour ne rien perdre. » « Je préfère les interactions intenses, avec des collègues et des amis, que les résultats eux- mêmes » « Ça peut être au café, en randonnée, au bureau sur les tableaux ou même sur la vitre embuée d’un Airbnb. » , note Wendelin Werner. Avec une mère danseuse et un père prof de sport, qui l’emmenait grimper sur les blocs de Fontainebleau, la comparaison n’est pas fortuite. Le lauréat, au physique de grimpeur, est bien dans « C’est aussi un sportif et il aborde les problèmes avec cet état d’esprit : “On va y arriver” ! » 05/07/2022 12:26 Le Monde https://journal.lemonde.fr/data/2182/reader/reader.html?t=1657033340908#!preferred/0/package/2182/pub/3023/page/40/alb/134751 3/3 son corps également. « Je ne me sens pas un génie. Au contraire, je veux insister sur ma normalité. Etre bien équilibré, c’est ça qui permet la créativité. » La médaille Fields ne devrait pas causer pour lui une transition discontinue, d’abord parce qu’il est entouré de proches qui ont déjà connu ce succès, ensuite parce qu’il a beaucoup de pots remplis sous son tamis. « Cette récompense responsabilise. Elle oblige à représenter la communauté, dans laquelle je suis déjà assez engagé, par les cours et les fonctions éditoriales. » Il ne résistera donc pas longtemps à l’appel du tableau noir. , explique-t-il, en précisant qu’il va faire changer ceux de son bureau car ils réfléchissent trop la lumière. Il en a aussi un géant à la maison, qui descend jusqu’au sol, où sa fille de 13 mois fait ses premiers graffitis à ses pieds. « C’est un grand espace de liberté, plus qu’une feuille. C’est un intermédiaire entre l’écrit et l’oral, très utile pour la transmission à l’autre » uploads/Litterature/ medaille-field-duminil-copin.pdf
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- Publié le Jan 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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