Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨文化 Journal of Global Cultural Studies 13 | 2018
Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨文化 Journal of Global Cultural Studies 13 | 2018 Représentations de la nature à l'âge de l'anthropocène Le chant de la matière pour désensorceler les modernes : vers une écopoétique du réenchantement à travers quelques romans des Appalaches What Matters Sings: Writing the Human and the Non-Human Out of their Modern Ensorcellment Bénédicte Meillon Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/transtexts/1202 DOI : 10.4000/transtexts.1202 ISSN : 2105-2549 Éditeur Gregory B. Lee Référence électronique Bénédicte Meillon, « Le chant de la matière pour désensorceler les modernes : vers une écopoétique du réenchantement à travers quelques romans des Appalaches », Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨 文化 [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 03 juillet 2019. URL : http:// journals.openedition.org/transtexts/1202 ; DOI : 10.4000/transtexts.1202 Ce document a été généré automatiquement le 3 juillet 2019. © Tous droits réservés Le chant de la matière pour désensorceler les modernes : vers une écopoétique du réenchantement à travers quelques romans des Appalaches What Matters Sings: Writing the Human and the Non-Human Out of their Modern Ensorcellment Bénédicte Meillon Nous et tous les animaux et tout ce qui vit Nous complétons le monde Nous en sommes l’épiderme les membranes […] Nous en sommes les flûtes les peaux de tambour les maracas les voix Nous ne sommes pas seuls, pas séparés. Si le monde est tambour nous en sommes la peau tendue qui vibre de ses messages (Jack Forbes)1 1 Avec la réhabilitation récente en France par Bruno Latour de la théorie de Gaïa,2 développée en premier lieu dans le monde scientifique par le britannique James Lovelock et la microbiologiste états-unienne Lynn Margulis, les sciences de l’environnement et les Le chant de la matière pour désensorceler les modernes : vers une écopoétique... Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨文化, 13 | 2018 1 humanités environnementales se préoccupent de savoir si, et à quel moment, nous serions peut-être entré.e.s dans une nouvelle ère géologique, ère nommée « Anthropocène » (d’après les travaux menés par le Prix Nobel de chimie, Paul Crutzen), et ce que cette hypothèse implique pour l’histoire de la planète et de l’humanité.3 Quand Bruno Latour appelle aujourd’hui à rétablir un dialogue entre les sciences et les humanités, ou les sciences dites « dures » et « douces », il fait écho aux travaux des écoféministes, des écopoètes et des écocritiques états-uniens qui insistent urgemment et depuis la deuxième moitié du vingtième siècle pour que nous œuvrions collectivement à un décloisonnement entre les savoirs. L’un des arguments centraux avancés par ces derniers réside dans la reconnaissance d’une conscience incarnée, loin d’une prise sur le monde purement logocentrique. Revenant sur le credo de la philosophie de Descartes, ces penseurs et penseuses défendent l’idée que : je perçois et ressens, donc je suis ; et donc je pense à ce que je perçois et ressens, et à ce que je suis.4 Parce que notre conscience résulte d’une façon d’être au monde incorporée à lui, alors nos savoirs sur ce dernier et sur nous- mêmes ne peuvent être dissociés de nos perceptions et même des affects éprouvés à son contact. Selon les écoféministes notamment, notre connaissance passant nécessairement par le corps, toutes ces facultés relationnelles co-déterminent notre rapport au monde, nous enchevêtrant dans la nature dans une relation de perpétuelle coévolution, de co- naissance plutôt que de connaissance détachée de son objet.5 2 En dépit du peu de reconnaissance qu’ils et elles reçoivent dans nombre de travaux français,6 les écoféministes et les écopsychologues états-uniens ont revitalisé la métaphore de Gaïa longtemps avant qu’un philosophe des sciences français ne la ramène au-devant de la scène. Déjà, ces penseurs et penseuses s’interrogeaient sur la complexité de l’image d’une Terre-Mère organique, archétype qui imprègne nombre de mythologies indigènes, et parmi elles beaucoup de cultures amérindiennes ayant influencé la pensée des écoféministes. Ainsi ces penseuses et penseurs questionnent tant la validité scientifique de la métaphore issue des mythologies grecque ou amérindiennes, que la sagesse ou les différentes formes de connaissance que nous autres humains pouvons en retirer quant à notre façon d’habiter le monde. Les écrits de Paula Gunn Allen, Riane Eisler, Theodore Roszak ou Starhawk,7 pour n’en citer que quelques-uns, proposent une théorisation pionnière pour les humanités de Gaïa en tant qu’organisme vivant, régi par des principes autorégulateurs qui visent à maintenir en vie les différentes formes qui en émergent et qui, ensemble, assurent un certain équilibre de la planète. Au cœur de la pensée écoféministe palpite le besoin vital de déconstruire certains discours patriarcaux qui servent à la fois de socle et de prisme à l’ontologie des dits « modernes », notamment ceux qui présupposent et instaurent des rapports de domination et d’exploitation par l’Homme (érigé ici en maître avec son grand H) des femmes, de la terre et du non-humain. Bouleversant les schémas sous-jacents à notre perception du monde et notre place au sein de celui-ci en tant qu’humains, les chercheurs et chercheuses cités plus haut s’accordent avec Carolyn Merchant et Rachel Carson pour décrier « la mort de la nature » engendrée par les approches anthropocentriques.8 Celles-ci, argumentent-ils, ont produit des grilles de lectures scientifiques et technocratiques qui, plaquées sur la complexité du vivant, privent la matière de son énergie vitale. Le livre de Rachel Carson, Silent Spring, retentit dès sa publication en 1962 comme une alarme déclenchant l’éveil des consciences quant à la nécessité de réévaluer les retombées écocidaires d’une ontologie désenchantée, où la nature est réduite au silence, systématiquement destituée au rang de matière inerte, rang Le chant de la matière pour désensorceler les modernes : vers une écopoétique... Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨文化, 13 | 2018 2 le plus bas dans la hiérarchie occidentale du vivant, et, selon cette logique, destinée à être conquise et pillée pour permettre le progrès et l’expansion des civilisations humaines. 3 L’appel au réenchantement qui a motivé le colloque international en écopoétique organisé à Perpignan en juin 2016 sur le thème « Lieux d’enchantement : Ecrire et réenchanter le monde » avait germé dans le terreau d’une constatation simple : qui prendrait à cœur de protéger et défendre qui ou quoi que ce soit envers lesquels il ou elle ne ressentirait rien en premier lieu ? Sinon un sentiment d’attachement, qu’est-ce qui serait à même d’impulser le désir de se battre pour sauver quiconque ? Tandis que contrats et industries sont motivés par des calculs de profits économiques immédiats, et pendant que le changement tarde à advenir face aux nouvelles alarmantes des dégradations de l’environnement et du climat, certaines sans retour, et malgré les études scientifiques qui en font état, alors, qu’est-ce qui, hormis un réenchantement de notre vision du monde dont dépend notre propre survie, serait en mesure de mouvoir les humains vers un réajustement de la valeur que nous accordons au plus qu’humain et de nos interconnections avec lui ? Comment inciter les sociétés postmodernes, navigant sans cesse entre des « naturecultures » (comme dans la formule volontairement non- dichotomique de Donna Haraway) locales et globales, à « aimer et respecter » (pour reprendre les injonctions du père fondateur de l’écologie, Aldo Leopold9) leurs lieux d’habitation locaux et planétaire à la fois, ainsi que leurs communautés biorégionales, pour leurs qualités intrinsèques, et merveilleusement complexes ? Non que le monde lui- même ait jamais été désenchanté, mais, plutôt, nos représentations dites « modernes » de celui-ci. D’où le rôle vital de l’écopoétique : en nous invitant à repenser comment les langages humains prolongent et dialoguent avec les langages de la nature, la littérature environnementale ouvre des voies pour sortir de la crise de l’imagination, inséparable de la crise de l’environnement. Car, comme le soutient Laurence Buell, « s’il nous faut réviser la métaphysique et l’éthique occidentales avant d’être en mesure de s’attaquer aux problèmes environnementaux d’aujourd’hui, alors la crise environnementale implique une crise de l’imagination, dont l’amélioration dépend de notre capacité à inventer de meilleures façons d’imaginer la nature et la relation qu’entretient l’humanité avec elle ». 10 4 Lorsque Michel Serres élabore le concept d’un « contrat naturel », dans son ouvrage éponyme, il s’appuie sur son intuition que la Terre parle un certain langage qui pourrait, à condition que nous sachions l’entendre, nous permettre d’articuler la place qui revient à l’humain dans le monde.11 Comme Serres déplore notre ignorance du langage du monde, il note que nous n’en connaissons que les versions animistes, religieuses et mathématiques. « En fait, écrit-il, la Terre nous parle en termes de forces, de liens et d’interactions, et cela suffit à faire un contrat ».12 Dans le sillon de Max Weber et des écoféministes, on peut dire que la science moderne a participé à désenchanter le monde ; que son obsession pour le calcul a stérilisé les facultés de contemplation et d’émerveillement propres à l’être humain. Bruno Latour, lui, estime plutôt que depuis le départ, la science « a toujours chanté une tout autre chanson ».13 Cependant, l’émergence au cours des cinquante dernières années d’approches transdisciplinaires du langage de la nature et inversement, de la nature du langage (approches alliant la géologie, la physique, uploads/Litterature/ meillon-le-chant-de-la-matie-re-pour-de-sensorceler-les-modernes.pdf
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- Publié le Mar 29, 2021
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