Revue Annales du patrimoine - N° 14 / 2014 © Université de Mostaganem, Algérie

Revue Annales du patrimoine - N° 14 / 2014 © Université de Mostaganem, Algérie 2014 Al-fasaha selon al-Suyuti et al-Farabi Dr Fatma Khelef Université Bordeaux 3, France Résumé : Le sujet qui est proposé traite des recherches qui préoccupaient les auteurs, grammairiens, rhétoriciens ou philosophes depuis l’époque médiévale, d’Al Djahiz (m. 255 / 868) à Abd al Qahir al Djurdjani (m. 471 / 1078) jusqu’à Ibn Khaldoun (m. 809 / 1406). Ces recherches portaient sur la langue arabe, son origine, l’éloquence dans le discours, avec ses concepts, al-bayan, al-balagha et al-fasaha, le tout dominé par le texte sacré du Coran. Cet article essaie de montrer l’importance de l’un de ces concepts, la fasaha, en s’appuyant sur les travaux de deux grandes personnalités, Al Suyuti (m. 911 / 1505) et Al Farabi (m. 339 / 950), dans l’histoire de la littérature arabe. Mots-clés : rhétorique, balagha, éloquence, discours, littérature. *** Bayan, balagha, fasaha, cette triade se retrouve maintes fois sous la plume des savants médiévaux arabes. On relève ces termes dans de nombreux titres d'auteurs célèbres. Selon les auteurs, les disciplines et les époques, ces trois termes, aux significations très proches, sont employés indifféremment, en particulier les concepts bayan et balagha d'une part, balagha et fasaha d'autre part, sont souvent confondus. Il n'en reste pas moins que les valeurs sémantiques de ces notions présentent des nuances et des spécificités. A la lumière des définitions et des qualités énoncées par les uns et les autres, dans bayan c'est l'idée du dévoilement, de la manifestation du sens (mana) qui prime, dans fasaha c'est la pureté de l'expression (lafz), quant à la balagha, dont la racine signifie atteindre le but, elle englobe tout ce qui facilite la communication du sens. La fasaha, quant à elle, est l'instrument de l'exposition de l'idée que l'on veut faire passer. La fasaha c'est le "beau-parler", elle est une forme de Dr Fatma Khelef - 36 - disposition agréable, un instrument mis à la disposition de la balagha, "l'éloquence", pour parvenir au but, le bayan, que nous traduirons par "l'exposition claire". Dans cet article nous allons nous intéresser à la fasaha à travers les textes de deux grandes personnalités, al-Suyuti et al- Farabi, dans l’histoire de la littérature arabe. Avant d’aborder le point de vue de ces auteurs, nous allons faire un tour d’horizon au plan sémantique et grammatical à propos de ce terme, la fasaha, tel qu’il découle des formes verbales présentées selon les dictionnaires (Lisan al-arab, Kazimirski). Notons au préalable que sur la racine fsh sont construits principalement des verbes de Ière, IIe, IVe et Ve forme. Deux verbes de Ière forme sont formés sur cette racine : - fasaha : par exemple : fasahaka al-subhu ; ayy bana laka wa ghalabaka daw’uhu qui signifie en parlant du matin "apparaitre à quelqu’un dans tout son éclat": - fasuha : par exemple : fasuha al-radjulu qui signifie être clair, intelligible dans son parler, s’exprimer avec facilité, correctement et de ce fait être éloquent (baligh), ou fasuha al- labanu ayy idha ukhidhat anhu al-raghwatu, en parlant du lait, présenter une surface unie après que l’écume a été enlevée. Le masdar de ce second verbe est fasaha (fasuha fasahatan). Le verbe de IIe forme fassaha a le sens d’être pur, sans écume et sans mélange (par exemple au sujet du lait). Au verbe de IVe forme afsaha sont attachées les significations suivantes : - afsahati al-shatu ayy idha inqataa libaûha, se dit d’une brebis qui donne peu de lait. - afsaha al-labanu, à propos du lait, être pur, clair. Synonyme de la seconde forme fassaha et, de là, exempt de tout mélange. - Apparaitre, briller (l’aurore). - Apparaitre, devenir manifeste, évident. Al fasaha selon Al Suyuti et Al Farabi - 37 - - Exposer quelque chose clairement, d’où : expliquer sa pensée (qui se construit avec la préposition bi). Enfin, la Ve forme (tafassaha) signifie viser à la clarté et à l’élocution abondante. Les adjectifs fash et fasih (plu. fusuh, fisah et fusahâ) signifient clair au sens propre (beurre ou lait clarifiés, purs), laban fasih (lait sans écume) et au sens figuré (discours, orateur), fasih, s’exprime avec abondance et netteté. Et un lisan fasih ayy talqun est "avoir la langue bien pendue". A partir de l’adjectif fasih est formé l’élatif afsah, plus clair, bien parlant. En résumé nous pouvons dire que la fasaha se définit au plan étymologique comme l’apparition et la clarté. Examinons maintenant la signification dans le champ conceptuel de la fasaha istilahan. Elle désigne : - L’outil parfait de la clarté qui est la langue (Alat al-bayan al-lati hiya al-lisan). Dans le discours, chacun s’exprime différemment, il y a celui qui prononce bien et cet autre mal et ce défaut ou cette défaillance est liée à un défaut physiologique, qui a une relation avec la personne concernée et non par le fait du mot, et pour cela on dit qu’un tel est fasih, parle mieux ou que tel autre bégaie. - Le mot isolé (al-lafz al-mufrad). On ne peut dire d’un mot isolé qu’il est fasih ou pas, qu’en le situant dans son contexte. - La parole (al-kalam) Un texte est nommé fasih lorsqu’il est bien constuit ; la construction de certaines phrases est défectueuse, par ex : ( استقبل )الوزير من طرف الرئيسle ministre a été reçu de la part du président, alors qu’il est plus correct de dire ( )استقبل الرئيس الوزيرle président a reçu le ministre. Ou quelquefois, le discours contient une complexité des Dr Fatma Khelef - 38 - mots due à un taqdim (avancement) ou à un tâkhir (reculement) recherché comme le vers d’al-Farazdaq (m.110 / 728)(1) : وما مثله في الناس إال مملكا أبو أمه حي أبوه يقاربه - L’énonciateur ou le locuteur (al- mutakallim) Le locuteur est qualifié de fasih si sa parole est claire et non fasih si sa parole contient une construction complexe. 1 - La fasaha dans le Coran : On trouve des exemples dans le Coran qui montrent l’importance de la fasaha. " قال رب اشرح لي صدري ويسر لي أمري واحلل عقدة من لساني يفقھوا قولي واجعل لي وزيرا من أھلي ھارون أخي أشد به أزري ". "Moïse dit : Mon seigneur ! élargis ma poitrine ; Facilite ma tâche ; dénoue le nœud de ma langue ; Afin qu’ils comprennent ma parole. Donne-moi un assistant de ma famille : mon frère Aaron ; Accrois aussi ma force"(2). Al-Raghib al-Asbahani(3) dans l’article définissant " "لسنdit : al-lisan (la langue), il veut dire par là l’organe. "Dénoue le nœud de ma langue". Le nœud n’est pas dans l’organe mais il est dans la difficulté rencontrée dans la prononciation. Il dit aussi que chaque peuple a un idiome. "قوله تعالى: ومن آياته خلق السماوات واألرض واختالف ألسنتكم وألوانكم " "Parmi ses signes : la création des cieux et de la terre ; la diversité de vos idiomes et de vos couleurs"(4). La diversité des idiomes est une indication de la diversité des langues et des sons, chaque individu a un son particulier qui est reconnu par l’ouïe comme il a une image particulière qui est distinguée par la vue. Cette remarque sur cette diversité a été signalée par al-Asbahani. On retrouve aussi cette référence à la fasaha dans la sourate al-Qasas : "وأخي ھارون ھو أفصح مني لسانا " " Mon frère Aaron parle mieux que moi"(5). Al fasaha selon Al Suyuti et Al Farabi - 39 - Moïse qui sait lire et comprend les significations de la parole à l’égal de son frère Haroun (Aaron) estime que celui-ci est plus à même que lui, de l’exposer plus fortement. Pour Sibawayhi, ce verset a le sens de "qui a le parler le plus pur". Notons, et c’est important, que c’est la seule fois que le terme afsah de même racine fsh que fasaha se rencontre dans le Coran. Al-fasaha, le beau-parler, sera aussi revendiqué dans un Hadith rapporté par al-Suyuti dans son œuvre al-Muzhir fi ulum al-lugha wa anwaiha, dans le chapitre "fi marifat al-fasih mina al- arab"(6). "Abu Ubayd dit : je croyais que les Bani Sad b. Bakr(7) parlaient mieux que les autres"(8). Mais selon le dire du prophète, que le salut soit sur lui : "Je parle mieux que tous les arabes "malgré que" je sois de Quraysh et j'ai grandi chez les Bani Sad b. Bakr". Il a été élevé par eux, dont Abu Amr b. al-Alâ a dit : "parmi les arabes qui parlent le mieux, les premiers sont les Hawazin, les derniers les Tamim"(9). Cette interprétation sur al-fasaha (le beau parler) des Qurayshites fut l’objet d’une polémique qui surviendra tardivement dans la tradition arabe, et c’est alors que la signification du terme "bayda"(10) s’est posé : "malgré que" ou "parce que" ? Antérieurement la question ne se posait pas et chacun comprenait "malgré que". Ce langage plus châtié des Quraysh est aussi mis en valeur par Ibn Faris (m. 395 / 1004) dans son œuvre : Al Sahibi fi fiqhi al-lugha al-arabiyya wa masa’iliha wa sunan al-arab fi kalamiha (Bab al-qawl uploads/Litterature/ dr-fatma-khelef.pdf

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