1 Sophie Moirand, université Sorbonne nouvelle, Équipe Clesthia Version 2013 d’

1 Sophie Moirand, université Sorbonne nouvelle, Équipe Clesthia Version 2013 d’un article paru dans Arena Romanistica, Journal of romance studies n° 14, 2014, p. 140-164 (Revue de l’université de Bergen, Norvège). « L’hétérogénéité énonciative au fil du texte : la représentation des controverses dans les genres de l’information de la presse quotidienne » 0. On s’interroge ici sur le fonctionnement et la fonction des dires représentés dans un genre particulier de textes d’information de la presse quotidienne nationale. L’objet de l’analyse est de se centrer sur le fil du discours, plus précisément sur la progression discursive du texte, davantage que sur les catégories des formes répertoriées des discours représentés. Le corpus de travail est essentiellement constitué de textes de presse dont la visée pragmatique est de donner des informations sur des controverses1, permettant ainsi de mettre au jour le positionnement du rédacteur face aux discours autres qui sont ainsi « montrés » dans leur « confrontation » : sont alors soumis à l’observation non seulement toutes les formes de discours représentés mais surtout les formes d’encadrement de ces dires ou paroles empruntés à d’autres et, dans ce qui nous préoccupe ici, les formes d’encadrement de dires antagonistes ainsi que les liens qui sont tissés des uns aux autres, donc les représentations de l’affrontement entre au moins deux communautés discursives de l’espace public. À la différence de travaux antérieurs2, on ne cherche pas à lister des catégories d’observables de l’intertexte ou de l’interdiscours, ni à mettre au jour les marqueurs de l’hétérogénéité énonciative, montrée, constitutive, ou suggérée ; on ne les étudie pas non plus dans leurs rapports à la langue et/ou au discours3. On se rapproche davantage des questions posées par Vérine, Détrie, Rosier, Sarale et l’ensemble des auteurs du n° 45 des Cahiers de praxématique : « de quelles manières, en dehors du récit de paroles, les marqueurs d’hétérogénéité montrée articulent-ils les propositions ou les séquences textuelles à leur amont, ou à leur aval ou à leur ailleurs ? » (Vérine éd. 2005 : 12, Présentation). Mais les référents des dires ne sont sans doute pas comparables aux référents des faits, des actes et des actions, et la construction des référents de ces dires permet de se recentrer sur une perspective énonciative qui emprunte, davantage qu’à la typologie des séquences textuelles, aux croisements entre la syntaxe, la pragmatique et la catégorisation sémantique dans l’étude de la progression discursive du texte d’information. On s’inscrit à la suite des travaux de l’analyse du discours française (Maldidier : 1993) « re- visitée » par les théories du Cercle de Bakhtine (Todorov), et des théories de l’énonciation 1 Le Petit Robert 2012 définit ainsi la controverse (s.v. controverse) : « discussion argumentée et suivie sur une question, une opinion », et donne comme mots équivalents du métalangage ordinaire « débat, polémique ». Il signale certains cotextes stabilisés du mot, soulever, provoquer une controverse ; controverse idéologique, scientifique ; une théorie très controversée, ainsi que des équivalents verbaux argumenter, discuter. Il est évident que nous nous concentrons ici sur la monstration, donc la représentation, des polémiques dans des textes monologaux enchâssant des hétérogénéités énonciatives relatant des controverses, et non pas sur les interactions dialogales des polémiques en face à face. 2 Moirand 2000, 2004a, 2006, 2007a, b. 3 Travaux qui depuis une trentaine d’années occupent un certain nombre d’auteurs, et qui sont désormais bien balisés pour le français : voir Authier-Revuz de 1982… à 2012, ainsi que des parutions collectives récentes : Bres et al. 2012, Colas-Blaise et al. 2010, par ex. 2 indicielle francophone (Bally, Benveniste, Dubois, et en particulier la théorie des opérations énonciatives de Culioli, qui intègre le lexique et la syntaxe), parce qu’elles s’appuient sur les formes de la langue et qu’elles contribuent ainsi à mettre au jour des « observables » dans les textes et les énoncés. L’observation de la répartition et de la distribution des traces d’opérations langagières permet de s’interroger ici sur les fonctions pragmatiques de la catégorisation métalangagière « ordinaire » des hétérogénéités énonciatives et sur la présence de ces hétérogénéités enchâssées dans le fil horizontal du texte. Mais si l’on veut aller au-delà de la description, du classement et de l’inventaire des formes et des fonctions, et s’inscrire dans une analyse du discours qui veut chercher « les raisons » de leur présence, de leur combinaison et de leurs fonctions, cet objectif implique de recourir aux théories de Voloshinov/Bakhtine sur l’énoncé, sur la situation et sur l’évaluation de la situation, et plus globalement au concept de dialogisme, concept qui ne fournit pas de catégories descriptives des formes de la langue, mais qui permet de les relier à l’histoire sociale, récente ou ancienne, et plus précisément ici aux objets de la polémique dont la presse nous informe (voir Moirand 2004b, et infra en 3 et en conclusion). C’est en travaillant sur la médiatisation d’un type particulier d’événement, à partir de corpus de presse réunis autour des débats sur l’énergie nucléaire, sur l’innocuité/dangerosité des OGM, et plus récemment sur le gaz de schiste, que j’ai été conduite à mettre au jour l’information sur les controverses, en particulier dans la presse quotidienne, et à analyser de plus près sur l’aire de la page les rencontres (spatio-textuelles, intratextuelles, intertextuelles, interdiscursives) entre les discours représentés de l’espace public4. Je me centrerai essentiellement ici sur les rencontres intratextuelles entre ces dires représentés et enchâssés au fil du discours et le dire du rédacteur de l’article, et sur la façon dont elles participent à la progression du texte ; secondairement sur l’interdiscours (Maldidier 1993) qui affleure souvent dans les séquences enchâssées comme dans le discours qui les enchâsse, et qui nous renvoie à la mémoire, donc à l’histoire, ou à la dé-mémoire (Paveau 2006 : 104-116). Divers questionnements surgissent d’une première observation : – Quel est le positionnement énonciatif des rédacteurs de ce genre d’article ? Quelle distance manifestent-ils face aux dires qu’ils inscrivent dans des textes signés de leur nom ? De quelle façon les dires représentés viennent-ils s’enrouler autour du fil du texte du rédacteur, qui les fait « dialoguer » ? Quel rôle semblent jouer les transformations syntaxico-sémantiques dans le travail de découpage, de reconstruction et de reformulation, donc d’altération (au sens de Peytard, cité d’après Moirand 2012), que fait le journaliste-rédacteur de ces textes ? – Au-delà des formes d’enchâssement de ces dires, représentés dans leur confrontation, c’est sur la façon de les « montrer », mais également sur la façon de les nommer, de les catégoriser et de les situer (spatialement, temporellement, nominalement, historiquement) que l’on peut s’interroger, et cela constitue ici notre questionnement principal : comment décrire leur 4 Le corpus de travail de ces travaux est constitué essentiellement des pages de la presse quotidienne nationale française, annoncées à la une, et traitant d’un fait et/ou d’un événement concernant l’énergie nucléaire civil, le gaz de schiste ou les OGM (années 2011-2012) : à titre d’exemples, dans le Parisien, elles s’appellent « Fait du jour » et dans Libération « Événement » et elles couvrent en moyenne 2 à 3 double pages. C’est de ces double pages que sont extraits les textes d’information sur les controverses, qui constitue le corpus de travail, exploratoire, de cet article, ainsi que tous les énoncés de presse cités ici (voir en 3.1.). 3 fonctionnement dans la progression des textes et analyser leur fonction dans la représentation des controverses. – Comment ce genre d’articles prend-il son « sens » dans la matérialité du support, c’est-à- dire dans les relations qu’ils entretiennent avec le paratexte (titres, intertitres, sous-inter, etc.) ainsi qu’avec les autres genres de la presse se rapportant au même type d’événement, et par suite dans la représentation, voire la construction, de l’événement et dans l’histoire récente ou ancienne dans laquelle s’enracinent les origines de la controverse ? Ce sont ces questionnements qui ont guidé l’analyse, et auxquels tentent de répondre les trois points qui seront développés ci-après.5 1. Faire « dialoguer » des dires antagonistes au fil d’un texte de presse À première vue, le travail du rédacteur de l’article, généralement un journaliste professionnel, consiste à mettre en relation, voire à « faire dialoguer », des dires hétérogènes produits ailleurs et avant par des communautés discursives antagonistes. On prendra à titre d’exemple deux textes qui participent à la médiatisation de la catastrophe de Fukushima à son début, et parus dans le Parisien/Aujourd’hui en France le 15 mars 2011.6 1.1. Une première phase d’observation Une première approche consiste à observer comment ces dires sont « représentés », c’est-à- dire comment ils s’inscrivent dans le propre dire du rédacteur7. Texte 1 [situé à Fessenheim /Strasbourg, et rédigé par deux correspondants locaux du journal] : Beaucoup de bruit pour rien. C’est le sentiment qui prédomine hier dans les rues de Fessenheim. Depuis les événements au Japon, la centrale nucléaire de cette commune de 2200 habitants, la plus ancienne du parc français, est pointée du doigt. Pourtant, pas question pour les habitants de tomber dans la panique. Sébastien, ouvrier de 23 ans est serein : uploads/Litterature/ moirand-l-x27-heterogeneite-enonciative-au-fil-du-texte-in-he-te-roge-ne-ite-et-controverses-2014 1 .pdf

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