Université de Montréal Le Dandysme et la crise de l'identité masculine à la fin
Université de Montréal Le Dandysme et la crise de l'identité masculine à la fin du XIXe siècle : Huysmans , Pater, Dossi Par David Tacium Département de littérature comparée Faculté des arts et sciences Thèse présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l'obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph.D.)en littérature comparée janvier 1998 © David Tacium, 1998 Remerciements J'aimerais remercier mes directeurs Michel Pierssens et Johanne Villeneuve de leur appui et des connaissances qu'ils m'ont fait partager. Ils se sont montrés toujours disponibles et m'ont constamment aidé à y voir plus clair.Ma reconnaissance va à Alain Carrière, véritable «âme de la confrérie», qui m'a aidé à formuler ma pensée au gré des années de ma recherche grâce à son oreille attentive et à ses commentaires judicieux. Nos conversations m'ont convaincu de la pertinence et de la résonance de ma thèse dans notre société actuelle ainsi que dans ma vie personnelle.Je suis redevable à Éric Vincendon qui a renforcé ma volonté de terminer dans les délais prévus, et également à Paola Feriancich qui non seulement m'a prêté son balcon italien mais m'a aussi encouragé de ne pas laisser le travail inachevé.Enfin, je dis un grand merci à Hélène Boivin de son regard attentif lors de la dernière relecture du manuscrit. Liste des sigles et abréviations AM L'Art Moderne AR À rebours AV À vau-l'eau (y compris «Un dilemme») C Certains Cath La Cathédrale CP Croquis parisiens DT De tout EM En ménage ER En rade EnR En route L-B Là-bas L-H Là-haut M Marthe, histoire une fille O L'Oblat S-LS Sainte-Lydwine de Schiedam S-S Le Quartier Saint-Séverin (y compris« La Bièvre», «Trois églises», «Trois primitifs») SV Les Soeurs Vatard RSH Revue des sciences humaines Sommaire Lors de la deuxième moitié du XIXe siècle, la littérature européenne affiche certains traits qui relèvent de la notion de fragmentation telle qu'entretenue par les nouvelles sciences des signes, comme celles de la médecine et de la mode. Dans cette thèse, nous ramenons ce lien au dandysme. Le dandysme entretient une certaine ambivalence face à la fragmentation: il semble acquiescer à un état de choses auquel il s'oppose. Barbey d'Aurevilly et Baudelaire, tout comme des sociologues tels que Simmel et Benjamin après eux, identifient comme symptôme principal de l'être fragmentaire l'ennui. Cette réaction prend de l'ampleur à partir de 1848, quand, pour des raisons en grande partie socio- politiques et économiques, le dandy se propose comme héros qui se dissocie de l'époque tout en insistant sur sa propre modernité. Sans prétendre faire le tour de l'horizon du dandy au XIXe siècle, notre premier chapitre cherche à relever les lieux publics où s'exprime son ennui. Le salon, le club, le bistrot, la rue sont autant de théâtres où le nouveau héros tend son miroir au monde, se repliant sur lui-même, prônant l'irréductibilité de sa manière d'être. Homme des foules, le dandy se définit par rapport à sa critique de la loi de l'échange. À travers les trois figures du médecin, du collectionneur, et de la prostituée, le dandy produit un discours qui fétichise la valeur de l'individu. Chez le médecin, l'ennui se fétichise en névrose. Chez le collectionneur, esthète du naturel, l'ennui s'accumule et se chosifie. Chez la prostituée, l'ennui prend un visage érotique qui résume la spécificité du dandysme. Le dandy doit sa spécificité à son implication dans la mode. La logique de la mode est celle du fétichisme dont l'analyse, dans cette thèse, se déroule sur deux niveaux: le niveau historique, impliquant le discours de la pathologie, et le niveau psychanalytique, impliquant les procédés du fétichisme. Nous regardons les théories marxiste et freudienne du fétiche sous cette double perspective, d'une part pour démontrer leurs affinités avec le dandysme et d'autre part pour cerner le fonctionnement du dandysme. Par ces théories, nous verrons comment le dandysme révèle le caractère fétichiste de la masculinité. Si le noyau de cette thèse se constitue d'analyses de textes littéraires, c'est que certains artistes littéraires de la fin du XIXe siècle contribuent à l'élaboration d'un champ de réalisation de l'idéal du dandysme. Chacun des auteurs dont nous analysons l'oeuvre constitue une variation sur le thème du fétichisme qui remet en question l'identité masculine. L'oeuvre de Huysmans est un cas limite de la négativité de la notion de castration, le héros y assumant une névrose féminisante. Chez Pater, le héros est imprégné de dandysme dans la mesure où il s'approprie le genre féminin sans pour autant renoncer à l'idéologie du masculin à l'époque victorienne. Enfin, Dossi soulève l'héroïsme romantique au sein de la démarche dandy, la dialectique incommode entre l'aveu et le désaveu. Le dandysme s'avère un foyer important d'interrogations sur l'identité masculine. Sa logique fétichiste aboutit à l'aveu que la différence se situe à l'intérieur d'un héros dont l'ennui revêt tous les symptômes d'un désordre féminin. Si la femme est châtrée, le héros affiche sur son propre corps la preuve que l'homme l'est également. Son identité masculine est fondée sur la castration de son moi. I Les enjeux du dandysme au XIX siècle Le fétiche et le texte Le croquis était une forme d'expression littéraire privilégiée de l'esthétisme européen de la fin du XIXe siècle, comme le démontrent le bozzetto de l'italien Carlo Dossi (1849-1910), le croquis de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), le portrait ou sketch de Walter Pater (1839-1894), les trois auteurs que nous étudierons dans cette thèse. Cette forme fragmentaire est une écriture dandy dans la mesure où elle recourt aux mêmes pratiques fétichistes que le dandysme. Dans cette thèse, le fétichisme désigne une stratégie de découpage, de réification et de dénégation qui revêt le statut d'une logique. Cette thèse a ainsi trois champs d'analyse: le dandysme comme tel, le croquis littéraire et le fétichisme. Chacun de ces champs nous permettra de dégager la signification des autres. Nous chercherons à cerner le rapport entre certains usages sociaux, la littérature et les savoirs. C'est par son costume que le dandy est fétichiste. Loin d'être flamboyant, comme le veut son image populaire, le dandysme de Brummell et de Baudelaire prône une discrétion vestimentaire relevée de variations mineures. Roland Barthes ne fait que reprendre les termes de Barbey lorsqu'il prend la mode vestimentaire pour un langage nonverbal qu'on peut décoder. Loin d'être «prolixe», le style vestimentaire du dandy va vers la «concision». Or, le dandysme littéraire renie la tentation de la prolixité dans la mesure où le croquis littéraire constitue une espèce de dénégation de la flamboyance. Malgré ses longues phrases, le récit semble manquer de souffle, s'estomper, demeurer inachevé. Cette impression de quelque chose qui reste à dire crée une sensation de profondeur. Si le texte se présente comme un simple morceau qui se suffit à lui-même, l'effet de découpage est visible dans le sort qu'en subit l'intrigue. La narration des événements est sacrifiée à la description des personnages. Cette forme de récit s'inscrit dans le genre naturaliste où, de par son émiettement psychologique, le rôle narratif du héros est affaibli. Zola dit du roman naturaliste qu'il tue le héros. Après 1850, le héros s'éparpille à travers l'étude de son environnement. Étant donné la multiplicité des points de vue du roman naturaliste, aucun personnage n'est en mesure de détenir la vérité ou de participer aux luttes sociales; il ne peut que subir des coups, recevoir de fausses informations, manifester des symptômes de maladie. Dans la mesure où le personnage demeure son objet d'étude, le roman naturaliste pourrait être qualifié de roman d'échec du XIXe siècle (voir Hamon 1977:152-4). Le naturalisme impose la leçon primordiale de la subordination de l'homme à ses instincts, à ses appétits, aux forces sociales et économiques. Dans sa préface d'À rebours de 1903, Huysmans se cabre contre l'oeuvre de Zola: ses héros étaient dénués d'âme, régis tout bonnement par des impulsions et des instincts, ce qui simplifiait le travail de l'analyse. Ils remuaient, accomplissaient quelques actes sommaires, peuplaient d'assez franches silhouettes des décors qui devenaient les personnages principaux de ses drames. (AR 10). En fait, le croquis littéraire de l'écriture esthète prolonge le projet de Zola, le personnage n'y étant qu'un ensemble de sensations. L'expression littéraire fin-de-siècle participe pleinement des enjeux d'une modernité d'ordre esthétique. En 1847, «La Fanfarlo» de Baudelaire présente le «dernier héros romantique», l'artiste Samuel Cramer, espèce de Pierrot amoureux de Colombine et en proie à l'ennui, et dont l'oeuvre est auto-référentielle, fragmentaire, laissée toujours à l'état d'ébauche. Certains critiques, comme G. Macchia (1975:63), y voient un indice important de fétichisation. Seize ans plus tard, lorsque Baudelaire inscrit la modernité à l'intérieur de l'esthétique comme «le transitoire, le fugitif, le contingent», qui viennent compléter «l'éternel et l'immuable» (II:695), les valeurs de Cramer n'ont guère changé. Entre temps, ces valeurs esthétiques sont devenues celles des Goncourt. Dans sa préface de 1887, Edmond résume le projet du journal: «de représenter l'ondoyante humanité dans sa vérité momentanée» (Journal I:19). Le critique d'art A. Compagnon (1990) identifie les traits de la modernité en art d'après le dandysme de Constantin Guys, le peintre de la vie moderne de Baudelaire, justement tels que nous les avons donnés ci-dessus. uploads/Litterature/ le-dandysme-et-la-crise-de-l-x27-identite-masculine-a-la-fin-du-19eme-siecle-huysmans-pater-dossi.pdf
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- Publié le Fev 25, 2022
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