revue d’anthropologie et d’histoire des arts 19 2014 numéro Revue d’anthropolog

revue d’anthropologie et d’histoire des arts 19 2014 numéro Revue d’anthropologie et d’histoire des arts Fondée par Jean Jamin et Michel Leiris, dirigée successivement par Jean Jamin, Françoise Zonabend et Erwan Dianteill Comité de direction Anne-Christine Taylor, Daniel Fabre, Yves Le Fur Secrétaire de rédaction Maïra Muchnik Comité de rédaction Christine Barthe, David Berliner, Julien Bonhomme, Giordana Charuty, Michèle Coquet, Jean-Charles Depaule, Emmanuel Grimaud, Christine Guillebaud, Monique Jeudy-Ballini, Anne Kerlan, Denis Laborde Correspondants étrangers Vincent Debaene, Els Lagrou, Alessandro Lupo, Johannes Neurath Rédaction et édition Département de la Recherche et de l’Enseignement musée du quai Branly 222, rue de l’Université 75343 Paris cedex 07 Tél : 01 56 61 53 64 – Fax : 01 56 61 71 42 gradhiva@quaibranly.fr Directeur de la publication Stéphane Martin Relecture des textes Véronique Le Dosseur Conception graphique et mise en pages Polymago, Juliette Weisbuch, Thomas Weil et Emilie Martinez Iconographie Valérie Loth Photogravure MCP Groupe Jouve Impression Art et Caractère. Société de l’imprimerie Artistique Diffusion Flammarion Distribution UD-Union Distribution En couverture Man Ray, Nancy Cunard, 1926 © Man Ray Trust - Adagp, Paris 2014 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI. © musée du quai Branly ISBN : 978-2-35744-073-9 Dépôt légal : mars 2014 L’ancienne série de Gradhiva (du n° 1 au n° 34) était éditée par J.M. Place. 19 2014 sommaire dossier « L’Atlantique noir » de Nancy Cunard, Negro Anthology, 1931-1934 coordonné par Sarah Frioux-Salgas 4 Introduction : « L’Atlantique noir » de Nancy Cunard Negro Anthology, 1931-1934 Par Sarah Frioux-Salgas 30 Les militants noirs anglophones des années 1920 à 1940 Par Amzat Boukari-Yabara 52 « Nothing too old, or too new for his use » Anthropologie du lore noir chez Zora Neale Hurston Par Emmanuel Parent 72 L’inscription de la musique dans l’anthologie Negro Par Yannick Séité 104 Vers une image « authentique » de l’Afro-Américain ? Photographies, presse militante et documentaire social (1910-1940) Par Julie Jones 132 Paul Robeson et la représentation des Noirs dans le cinéma de l’entre-deux-guerres Primitivisme et double conscience Par François Bovier documents 160 L’affaire des Scottsboro Boys Extrait du livre de Vladimir Pozner, Les États-Désunis (Paris, Denoël, 1938), Montréal, Lux Éditeur, 2009, p. 117-127 174 Jacques Roumain et Nancy Cunard Poème de Jacques Roumain dédié à Nancy Cunard et lettre de Jacques Roumain à Nancy Cunard, commentés par Léon-François Hoffmann 192 Lettres de Claude McKay à Nancy Cunard Traduites et présentées par Anthony Mangeon annexes 202 Sommaire de Negro Anthology 208 Photographies de la collection personnelle de Nancy Cunard par Raoul Ubac, aujourd’hui au musée du quai Branly 214 Les éditions Hours Press (1928-1931) 220 abstracts 19 2014 dossier Introduction « L’Atlantique noir » de Nancy Cunard, Negro Anthology, 1931-1934 Que vous dire de moi-même ? J’aime : la paix, la campagne, l’Espagne républicaine et l’Italie antifasciste, les Noirs et leur culture africaine et afro-américaine, toute l’Amérique latine que je connais, la musique, la peinture, la poésie et le journalisme. J’ai toujours vécu en France depuis que j’en ai eu la possibilité en 1920. Je hais : le fascisme […]. Et le snobisme et tout ce qui va avec. Deux œuvres : Negro, grande anthologie sur les Noirs ; Authors Take Sides, enquête adressée aux écrivains britanniques au sujet de la guerre d’Espagne et du fas- cisme. Plusieurs volumes de poèmes. Nancy Cunard, Poèmes à la France. 1939-1944, Paris, Seghers, 1947, p. 7. Il y a quatre-vingts ans, le 15 février 1934, Negro Anthology de l’An- glaise Nancy Cunard 1 sort en mille exemplaires chez l’éditeur londonien Wishart and Company. Très illustré, ce livre de huit cent cinquante-cinq pages, dédié à l’histoire de l’Afrique, de Madagascar et des Amériques noires, réunit deux cent cinquante articles et cent cinquante-cinq auteurs 2. L’aspect unique et original de cette somme tient non seulement à son concept et à sa réalisation, semblable à une grande enquête documentaire, mais éga- lement à ses auteurs. Les contributeurs sont militants, intellectuels, journa- listes, artistes, poètes, universitaires, anthropologues, Africains-Américains, Antillais, Africains, Malgaches, Latino-Américains, Américains, Européens, fem- mes et hommes. Certains d’entre eux sont colonisés, discriminés, ségrégués. L’ouvrage mêle culture populaire, sociologie, politique, histoire, ethnologie, histoire de l’art, et rassemble des articles, des archives, des photographies, des dessins, des portraits, des extraits de presse, des poèmes, des parti- tions musicales, des témoignages ou encore des statistiques. Negro Anthology est aussi le refl et d’une histoire intellectuelle et poli- tique de son temps. Celle-ci révèle à la fois le caractère transnational et multiforme des combats antiracistes et anticolonialistes des années 1930, et illustre la formation internationale et transculturelle que le sociologue Paul Gilroy a nommée « l’Atlantique noir 3 ». Raymond Michelet, jeune colla- borateur de Cunard et proche des surréalistes, témoigne : il s’agissait de « […] montrer, démontrer que le préjugé racial ne repose sur aucune justifi - cation […], que les Noirs avaient derrière eux […] une longue histoire sociale et culturelle » (Ford 1968 : 128). Cunard met en œuvre sa démonstration en proposant diverses approches, différents points de vue, et propose ainsi « d’effectuer un voyage intellectuel à travers l’Atlantique noir » (Gilroy 2003 : 19). Nous nous attacherons à montrer, dans cet article et ce numéro, com- ment elle construit cet ouvrage politique d’une grande modernité formelle et théorique grâce à ses réseaux, ses amitiés, ses activités intellectuelles et éditoriales, ses convictions radicales et son engagement total. par Sarah Frioux-Salgas 1. Nancy Cunard (10 mars 1896-15 mars 1965). Plusieurs biographies lui sont consacrées par Hugh Ford (1968), Anne Chisholm (1980) et plus récemment François Buot (2008). L’ouvrage de Ford est particulièrement intéressant car il rassemble de nombreux témoignages très éclairants sur les multiples vies de Cunard. 2. Une petite carte publicitaire pour l’anthologie indique qu’il y a 385 illustrations et que son prix est de 2,2 livres (équivalant aujourd’hui à environ 80 euros). Par ailleurs, Ford indique que Cunard investit personnellement 1 500 livres (environ 60 000 euros aujourd’hui) pour produire l’anthologie. 3. Paul Gilroy explique la formation politique et culturelle de ce qu’il appelle Black Atlantic de la façon suivante : « peut être défi nie à travers le désir de transcender à la fois les structures de la nation et les contraintes de l’ethnicité et du particularisme national » (Gilroy 2003 : 38). Il estime que cette formation est profondément « interculturelle » et est alimentée par des « cultures diasporiques rhisomorphiques ». Pour une étude critique des travaux de Gilroy, voir Chivallon 2004. dossier 6 7 Introduction. Par Sarah Frioux-Salgas Nancy Cunard, une femme-époque Cunard, symbole de l’avant-garde anglo-saxonne et française des années 1920, est née en Angleterre en 1896. Sa mère, Maud Alice Burke, est américaine et son père, Bache Cunard, anglais, héritier de l’entreprise maritime Cunard Line. Elle passe son enfance au château de Neville Holt, dans le centre de l’Angleterre, élevée par des gouvernantes au rythme des fêtes organisées par sa mère, Lady Cunard. Adolescente, elle voyage, étu- die dans une école prestigieuse de Londres, en France et en Allemagne, et suit sa mère dans ses activités mondaines. C’est à la veille de la première guerre mondiale, à ses 18 ans, qu’elle entame sa vie de jeune fi lle libre, bohème et provocante qui cherche à s’affranchir des règles de l’Angleterre victorienne. Son amie Iris Tree 4 témoigne : […] À ce moment-là, nous étions des bandits, n’hésitant pas à nous maquiller avec de la craie blanche sur le visage et du rouge à lèvres écar- late, fumant des cigarettes parmi des fêtards choisis par nous-mêmes […] Nous étions de vrais caméléons. Nous passions de Meredith à Proust et à Dostoïevski, goûtions à l’absinthe avec Baudelaire et Oscar Wilde, […] nous nous laissions assombrir par le pessimisme nihiliste, […] inspirées par le jeune Rupert Brooke, T.S. Eliot, Yeats, D.H. Laurence, secouées par Blast de Wyndham Lewis, […] la « signifi ant form », […], les sculptures d’Epstein, la musique de Stravinsky, les pre- miers ballets russes et le jazz américain » (Ford 1968 : 19, notre traduction) Ce témoignage ancre clairement Cunard dans la contre-culture anglaise du début du XXe siècle. Wyndham Lewis, T.S. Eliot, Jacob Epstein mais aussi Ezra Pound, qui n’apparaît pourtant pas dans cette liste, mais qui fut un temps proche de Cunard, sont imagistes 5 ou vorticistes 6, deux mou- vements artistiques et littéraires qui symbolisent la modernité et la radicalité anglo-saxonne avant la première guerre mondiale. Cunard veut aussi être poète. Ses premiers poèmes sont publiés en 1916 dans le premier numéro de l’anthologie Wheels, titre d’un de ses poèmes, éditée par les frères Sitwell 7 et consacrée à la « nouvelle poésie ». Elle est également l’auteur de quatre recueils de poésies : Outlaws (1921), Sublunary (1923), Parallax (1925) et Poems (Two) (1930). À Londres, elle fréquente régulièrement le « Bloomsbury group 8 », qui regroupe des théori- ciens, des écrivains et des peintres dont les époux Leonard et Virginia Woolf, John Maynard Keynes ou encore Clive Bell et Roger Fry, qui développent notamment le concept de la « signifi ant uploads/Litterature/ nancy-cunard-01-gradhiva-pdf-web-intro.pdf

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