Le langage des jeunes: mythe ou réalité? On en parle beaucoup aujourd’hui, mais

Le langage des jeunes: mythe ou réalité? On en parle beaucoup aujourd’hui, mais n’a-t-il pas toujours existé? Chaque milieu professionnel, chaque groupe social a également son vocabulaire crypté, sorte de parler de la connivence, qui peut paraître hermétique pour les non-initiés. Il y a pourtant une petite nuance du fait que le langage des jeunes renouvelle celui des adultes par contamination. Nombre d’expressions, de formulations appartiennent désormais au langage commun, puisqu’on les retrouve dans les dictionnaires usuels. Certains mots du langage «jeune» sont éphémères, d’autres restent dans le milieu des ados et donc incompréhensibles pour la plupart des adultes et d’autres encore franchissent les barrières générationnelles. Sur ces mécanismes, on ne sait pas grand-chose. Seule certitude, ces emprunts dus au contact des langues font partie de la vie de la langue. Le jeunisme quasi obsessionnel qui caractérise notre époque est probablement l’une des explications possibles de l’intérêt actuel pour le «parler djeun». Les dictionnaires sur la tchatche des ados, sur les abréviations SMS (ou textos) foisonnent depuis peu et c’est révélateur d’un phénomène de société, du moins d’une mode dans un premier temps. Reste que tous les jeunes ne se retrouvent pas forcément dans ce langage aux tonalités violentes, en apparence en tout cas. Indice que ce langage est en partie un concept créé. Certains jeunes se sentent même victimes de cette étiquette réductrice qui booste la publicité et la consommation. Parfois on pourrait croire que ce sont ces derniers qui codifient le langage des enfants et des adolescents pour en faire des cibles, et dans le même temps pour appâter les adultes, puisque tout ce qui fait jeune est à imiter. Dans certaines banlieues, des ados se barricadent linguistiquement et, une fois enfermés dans leur prison de mots, ils ont peur du langage de l’école. D’identitaire, le code devient alors facteur d’exclusion. A chacun son langage bien sûr, mais il est essentiel de savoir que d’autres manières de communiquer existent. C’est là toute la richesse d’une langue. Pour certains enfants et certains jeunes, l’écart entre le parler quotidien et le langage de la classe est important, même ici. L’école devrait probablement moins ignorer ces différences langagières tant à l’oral qu’à l’écrit, ce qui ne signifie pas que tous les langages en classe doivent être admis, loin s’en faut. Cela permet simplement de comparer des utilisations différentes du français, en fonction des situations et des interlocuteurs. Il est primordial pour communiquer efficacement de savoir s’adapter linguistiquement, ce que chacun fait peu ou prou, consciemment ou inconsciemment. L’objectif de ce dossier n’est pas de voler aux jeunes leurs mots pour faire branché (une façon de dire déjà dépassée), mais de susciter la prise de conscience et de comprendre quelques procédés de formation des mots dits «jeunes». ( Résonances - Juin 2003 1 Des mots des jeunes au langage scolaire Des mots des jeunes au langage scolaire Nadia Revaz Ce numéro était l’occasion idéale pour laisser la parole, à travers les images, à des collégiens. Car- te blanche leur a été donnée, dans les limites des contraintes rédactionnelles et graphiques d’une revue, pour illustrer le dossier à leur guise (leur démarche est expliquée en page 19). 2 Résonances - Juin 2003 ) Sommaire 4-18 Sommaire Des mots des jeunes au langage scolaire N. Revaz 1 Nouveautés: petit tour d’horizon avant la rentrée 42 Enseignement religieux: directives du 15 mai 2003 45 Inscription pour des remplacements 47 Les dossiers de Résonances 48 Séquence décodage 19 Du parler jeune au Résonances par les jeunes - N. Revaz Apprendre à entreprendre 20 Trois classes sur le chemin du entrepreneuriat - S. Dayer Education musicale 21 Donne-nous notre pain quotidien - B. Oberholzer Rencontre du mois 22 Stéphane Gay, organisateur culturel de la SPVal - N. Revaz Ecole et musée 24 Ateliers au Musée cantonal d’archéologie (2) - E. Berthod Littéra-découverte 25 Concours de contes - Ass. Littéra-découverte ACM 26 Enseigner: un chemin vers l’épanouissement - S. Coppey Grange Environnement+Jeunesse 28 «Cherchez la petite bête» en Valais - S. Fierz ICT 30 Journée valaisanne du logiciel scolaire - S. Rappaz Formation continue: nouveau cours Statistique scolaire 32 Les dépenses publiques de l’éducation - OFS/NR Les sites du mois 33 Education à la citoyenneté - N. Revaz Livres 34 La sélection du mois - Résonances Lu pour vous 36 La résilience ou la guérison des enfances brisées - N. Revaz Passage en revues 37 Les revues du mois - Résonances Revue de presse 38 D’un numéro à l’autre - Résonances Recherche 40 PISA: nombre d’enfants dans une famille et réussite scolaire - CSRE CRPE 41 Planification de la retraite: gérer au mieux les aspects fiscaux - P.Vernier Y a-t-il un langage des jeunes ou des langages des jeunes? Quelles en sont les principales caractéristiques? Comment les linguistes perçoivent-ils ce phénomène? Et les enseignants? Et les adolescents eux-mêmes? Ce parler, qui se veut identitaire, mais qui semble de plus en plus standardisé, creuse-t-il ( l’écart par rapport au langage scolaire? Et plus largement, que peut-on dire des codes culturels des jeunes? Le parler des jeunes Le parler des jeunes 4 La dynamique du langage des jeunes M. Sourdot 6 Thérèse Jeanneret: regard d’une linguiste sur le parler jeune N. Revaz 8 Un exemple de parler identitaire: le français des cités J.-P. Goudaillier 10 Perceptions d’ensei- gnants sur le langage de leurs élèves N. Revaz 13 Confidences de jeunes sur leur langage C. Duc 14 Le parler jeune en citations Résonances 16 Société de consommation et codes culturels des jeunes M.Vuille 18 Pour aller plus loin… Résonances Il ne faudrait pas que le titre de cet article induise le lecteur en erreur. Comme tous les titres il est à la fois prometteur et réducteur. Existe-t-il réellement un lan- gage des jeunes? Le pluriel serait peut-être préférable qui donnerait une vision plus dispersée, mais réaliste, de ces pratiques verbales. Et de quels jeunes s’agit-il? De ceux de nos cités péri-urbaines, des étudiants de Paris, de Province? Faisons donc comme si, et essayons de rendre compte, même sommairement, des grands mouvements qui traversent ces parlures jeunes qui se- ront, peut-être, les parlers de demain. Ajoutons, néanmoins, qu’en tant que linguiste nous devons nous garder de tout jugement de valeur, de prendre parti pour ou contre telle ou telle formula- tion. Si, face à la diversité des usages pratiqués à un moment donné, le pédagogue doit souvent choisir, le linguiste, lui, doit savoir se contenter d’observer et de rendre compte de la variation. Ce qui semble se dessiner depuis une douzaine d’an- nées dans les usages linguistiques des jeunes généra- tions étudiantes, c’est un mouvement qui va du centre vers la périphérie, un mouvement qui fait la part belle aux marges de la langue. Que ce soit sur le plan des préoccupations quotidiennes ou sur celui de la stricte mise en mots, nous avons montré1, dès 1997, que les parlures étudiantes observées étaient plus proches, contrairement à celles de leurs prédécesseurs, du fran- çais des cités de banlieue que du «français branché», de la périphérie que du Quartier Latin. Cette tendance centrifuge, favorisée par les échanges, peut donc avoir pour effet de rapprocher les usages. Sur le plan phonique La langue des jeunes générations reprend et amplifie le mouvement qui tend à faire disparaître l’opposition entre /é/ et /è/, même à Paris où elle semblait bien fixée. On peut sans doute y voir l’influence des parlers issus de l’immigration, langues romanes et arabe en majorité, où cette distinction n’est pas pertinente. On peut voir aussi une influence allogène dans la pa- latisation de /d/ en /dZ/ et de /t/ en /tS/, prononciation caricaturée par ceux qui parlent du langage «djeune». Sur le plan prosodique, on assiste à un déplacement fréquent de l’accent sur l’avant-dernière syllabe qui rapproche le français des autres langues environnantes et qui fait dire à Fernand Carton qu’«aujourd’hui on retrouve l’accentuation de la fin du moyen-âge»2. Les groupes de consonnes sont aussi fréquemment ré- duits à la première d’entre elles: /possib/ pour «pos- sible», «maît» pour «maître». Sur les plans morphologiques et syntaxiques Le changement de classe syntaxique de l’adjectif grave employé comme adverbe «Je le kiffe grave» pour «Je l’aime beaucoup», à l’origine caractéristique de la langue des cités s’est rapidement étendu et a même été officialisé dans le Nouveau Petit Robert 2002. Le succès de ce glissement syntaxique, traditionnel en ar- got, peut s’expliquer par le fait qu’il allie économie paradigmatique, invariabilité (la même unité pour l’adjectif et l’adverbe) et économie syntagmatique (parcimonie articulatoire). A la différence de l’argot, ce procédé, pour le moment, n’est pas systématique- ment utilisé, il reste l’apanage de «grave». 4 Résonances - Juin 2003 ) La dynamique du langage des jeunes La dynamique du langage des jeunes M. Sourdot Existe-t-il réellement un langage des jeunes? Le pluriel serait peut-être préférable. Cette tendance à l’invariabilité se re- trouve aussi dans l’utilisation de la même unité pour le style direct ou indirect: «Je ne sais pas qu’est-ce qu’il a fait» au lieu de «ce qu’il a fait». Sur le plan lexical C’est ici que uploads/Litterature/ no-10-le-parler-des-jeunes.pdf

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