Revue de l’histoire des religions 4 | 2015 Figures de Noé de Gilgamesh au Coran

Revue de l’histoire des religions 4 | 2015 Figures de Noé de Gilgamesh au Coran Noé et son caractère axial dans la littérature du Second Temple Noah as an Axial Character in the Second Temple Literature Mădălina Vârtejanu-Joubert Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rhr/8466 DOI : 10.4000/rhr.8466 ISSN : 2105-2573 Éditeur Armand Colin Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2015 Pagination : 519-543 ISBN : 978-2-200-93012-7 ISSN : 0035-1423 Référence électronique Mădălina Vârtejanu-Joubert, « Noé et son caractère axial dans la littérature du Second Temple », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 4 | 2015, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 24 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/rhr/8466 ; DOI : 10.4000/rhr.8466 Tous droits réservés Revue de l’his toire des reli gions, 232 – 4/2015, p. 519 à 543 MĂDĂLINA VÂRTEJANU- JOUBERT Institut­National­des­Langues­et­Civilisations­Orientales,­Paris Noé et son caractère axial dans la littérature du Second Temple Un­certain­nombre­de­textes­majeurs­écrits­ou­circulant­à­l’époque­du­ Second­Temple­–­1 Hénoch, Jubilés, Apocryphe de la Genèse et quelques autres­fragments­découverts­à­Qumrân­– accordent­une­place­signiicative­ au personnage de Noé, à sa vie et à sa geste. Noé garde, comme dans le livre de la Genèse, le caractère de personnage « axial » qui marque un « avant » et un « après » dans l’histoire de l’humanité, mais les fonctions qui lui sont assignées sont différentes. Il est notamment présenté comme prêtre et exorciste, comme dépositaire d’un savoir essentiel transmis à l’aide d’un livre et comme celui qui, après le déluge, partage la terre entre les ils de Sem, Cham et Japhet. Noah as an Axial Character in the Second Temple Literature Some important works such as 1 Henoch, Jubilees, Genesis Apocryphon and other short Qumran fragments, composed or circulating during the Second Temple period, show much interest in the character of Noah and in his life and deeds. He maintains the same “axial” position as in the book of Genesis but his concrete functions are different. Noah is depicted as a priest and exorcist, as the depositary of an essential knowledge enclosed in a book, and as the divider of the Land between his sons Sem, Ham and Japhet. introDuction À l’époque du Second Temple et particulièrement entre le iiie et le ier siècle av. n. è., la igure de Noé connaît un riche développement littéraire. Un certain nombre de textes majeurs écrits ou circulant à cette époque – 1­Hénoch, Apocryphe de la Genèse (ou Histoire des Patriarches), Jubilés et, marginalement, quelques autres fragments découverts à Qumrân – accordent une place signiicative au personnage de Noé, à sa vie et à sa geste. Pour autant, ces textes forment- ils un corpus, autrement dit répondent- ils d’emblée à un critère en vertu duquel ils doivent être étudiés ensemble ? Un premier écueil à éviter est l’appellation « textes non- canoniques » car, pour le propos qui nous concerne ici, elle introduit une distinction anachronique : la question du canon n’est pas tranchée aux iiie- iie siècles av. n. è., date présumée de la composition de ces textes. Pour des raisons similaires – anachronisme et vision téléologique de l’histoire – leur désignation en tant que « textes intertestamentaires », catégorie historiographique souvent utilisée, est également inappropriée1. Parmi ces textes, certains, comme l’Apocryphe de la Genèse, furent découverts uniquement à Qumrân ; d’autres, comme 1­Hénoch et Jubilés, sont attestés de manière fragmentaire à Qumrân mais sont connus surtout en version éthiopienne. Par ailleurs, les fragments qumrâniens des Jubilés et d’Hénoch ne coïncident pas avec les passages correspondant à l’épisode de Noé. Enin, ils sont probablement tous des écrits pré- communautaires dont la composition précède la constitution du Yahad. Ce qui nous autorise cependant à les aborder ensemble ce sont les ressemblances de contenu. Ce constat a donné lieu à une riche bibliographie autour de la question des emprunts et de la iliation littéraire entre ces documents. La manière de représenter la igure de Noé s’inscrit dans cette même logique : d’une part elle obéit à une certaine cohérence de traitement à travers notre corpus et, d’autre part, elle se distingue de l’image qui se dégage des 1. On pourrait ajouter le fait que le terme « intertestamentaire » suppose une période chronologique comprise entre l’Ancien et le Nouveau Testament, ce qui ne correspond pas à la réalité historique : le canon de l’Ancien Testament n’est pas entièrement scellé avant celui du Nouveau Testament. passages concernant cette igure dans le livre de la Genèse. Noé garde, certes, le caractère de personnage « axial »2 qui marque un « avant » et un « après » dans l’histoire de l’humanité, mais les fonctions qui lui sont assignées sont différentes. Il est notamment présenté comme prêtre et exorciste, comme dépositaire d’un savoir essentiel transmis à l’aide d’un livre et comme celui qui, après le déluge, partage la terre entre les ils de Sem, Cham et Japhet. Avant de discuter chacune de ces fonctions, soulignons le déi théorico- méthodologique soulevé par l’analyse de ce corpus. Comme nous l’avons indiqué, le Noé de ces textes est différent du Noé de la Genèse. Cette différence est- elle à interpréter comme le résultat d’une exégèse sur un texte faisant autorité – la Genèse – ou, au contraire, comme un processus autonome de transformation et variation d’un mythe, sans postuler un texte de base ? Faudrait- il s’appuyer sur le personnage appelé Noé ou prendre en considération la fonction médiatrice et salvatrice d’un tel personnage, indépendamment de son nom ? Le déplacement d’une telle fonction de Noé vers un autre personnage – son frère par exemple – est- il révélateur d’une polémique anti- noachique ou s’inscrit- il dans la logique implacable de la transformation du mythe ? La question du canon et la question du mythe dans le judaïsme demeurent irrésolues, suscitant chez l’historien un sentiment de grande frustration puisque toute contextualisation demeure hautement incertaine. Quels que soient les textes du judaïsme antique, Noé y igure en tant que réparateur situé à l’articulation entre un monde ancien, hautement corrompu, et un monde renouvelé, imparfait mais déinitif. En deçà de cette généricité, les détails foisonnent : l’origine de la corruption, les modalités de réparation, la nature du nouveau monde, les conséquences à long terme (comme préiguration du particularisme juif) sont autant d’éléments qui subissent des variations considérables et porteuses de sens. 2. Nous faisons nôtre le terme de personnage « axial », employé par Michael Stone dans un article important sur l’axe de l’histoire à Qumrân : « The Axis of History at Qumran », dans Esther G. Chazon, Michael E. Stone (éds), Pseudepigraphical Perspectives : The Apocrypha and the Pseudepigrapha in Light of the Dead Sea Scrolls. Proceedings of the Second International Symposium of the­Orion­Center­for­the­Study­of­the­Dead­Sea­Scrolls­and­Associated­Literature,­ 12-14­January­1997, Leiden, Brill, 1998, pp. 133-150. NOé dANs lA lIttéRAtuRE du sECONd tEMplE 521 La version préservée dans le livre de la Genèse, nous présente un personnage de Noé sommairement esquissé, suivant les canons de l’art narratif biblique3 : absence de détails, absence de discours direct, de dialogue ou d’introspection, en somme un sujet- agi et non pas un sujet- acteur. Sa naissance, décrite en termes miraculeux dans notre corpus, est totalement passée sous silence dans la Genèse qui préfère introduire le personnage par le biais d’un midrach donnant un sens à son nom : nwḥ, « repos » est dérivé ici de la racine nḥm, « consoler » (Gn 5.29). L’origine du mal sur la terre est décrite en des termes ambigus dans un passage qui conserve les traces d’harmonisation rédactionnelle. L’union sexuelle entre les elilim (ils des dieux ?) et les illes des hommes semble avoir provoqué la corruption sur terre mais le lien n’est pas explicite. De la même manière, on ignore pourquoi « la méchanceté de l’homme (ra‘at ha- adam) était grande sur la terre et chaque jour son cœur ne concevait que des pensées mauvaises (ra‘) » (Gn 6.5). Ou, plus loin, « la terre était corrompue et pleine de violence » (Gn 6. 11) et Dieu décida de la détruire ainsi que tout être vivant (kol basar). Mais l’intransigeance divine se trouve tempérée par l’existence d’un être d’exception : « Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur » (Gn 6.8) et « Noé était un homme juste (tsaddiq) intègre (tamim) parmi ses contemporains ; il marchait avec Dieu » (Gn 6.9). Noé est chargé d’assurer la survie du monde créé en recueillant auprès de lui, dans l’arche dont Dieu lui ordonne la construction, un exemplaire de chaque couple d’êtres vivants. La fonction du déluge qui s’abat sur la terre et qui s’arrête parce que « Dieu se souvint de Noé », n’est pas claire : est- il destiné à détruire les êtres vivants ou à puriier la terre de la méchanceté de l’homme ? Enin, le seul geste de Noé que ce texte n’attribue pas à un commandement divin est la construction d’un autel et le sacriice de tout animal pur. Le sujet agi devient ici joueur de tours, rusé et vrai médiateur car l’odeur agréable des offrandes animales persuade Dieu de ne plus « maudire le sol à 3. À ce titre Hermann uploads/Litterature/ noe-dans-henoch-jubiles-apocryphe-de-la-genese.pdf

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