En exclusivité (en français) Brigitte JENART, un curieux suicide Un chapitre, n
En exclusivité (en français) Brigitte JENART, un curieux suicide Un chapitre, non publié en français, du livre de Douglas De Coninck, "30 témoins morts" 9 juin 2004 R u b r i q u e : E N T R E L E S L I G N E S Ci-après un chapitre manquant dans la version française du livre de Douglas De Coninck "30 témoins morts" (lire par ailleurs les notes de lectures d’Anne-Marie ROVIELLO). La traduction du néerlandais a été assurée par Olivier Taymans. Vous trouverez en post-scriptum les explications de l’auteur quant à cette non-publication. Brigitte Jenart Née à Elisabethville (Congo belge), le 9 août 1954 Décédée à Ixelles, le 5 avril 1998 Rôle : témoin important de la commission Verwilghen Cause du décès : suicide Dans la soirée du 6 octobre 1986, le téléphone sonne à la gendarmerie de Schaerbeek. C’est le commandant Guido Torrez au bout du fil. Au sein de la gendarmerie de l’époque, qui fonctionne encore selon une logique strictement militaire, c’est un événement qui n’arrive pas tous les jours pour un simple gendarme d’une petite brigade de la capitale. « Oui, commandant », répond-il à la demande, elle aussi peu habituelle, du plus haut gradé du district de Bruxelles. Ce dernier demande gentiment mais fermement au gendarme en question, qui était sur le point d’arrêter le Portugais Juan Borgès, de renoncer à son projet. Deux jours plus tard, le commandant Torrez se donne la peine de venir s’expliquer à la gendarmerie de Schaerbeek. Il raconte qu’il a été appelé par un membre du cabinet de François-Xavier de Donnéa, le ministre de la Défense, qui est encore à l’époque le ministre de tutelle de la gendarmerie. On lui a - gentiment - demandé de laisser Borgès tranquille. Il faut dire que pour la gendarmerie de Schaerbeek, Borgès n’était pas une priorité absolue. Il avait signé un chèque sans provision de 1,2 million de francs, c’est tout. Le gendarme qui s’occupait de l’affaire s’était pourtant donné à fond, et il avait intuitivement eu le sentiment d’être tombé sur quelque chose de ‘gros’. Mais tant pis. Les ordres sont les ordres. Il n’est pas certain qu’il y ait effectivement eu un coup de fil en provenance du cabinet de Donnéa. On sait que l’homme qui a appelé le commandant était Michel Nihoul. Si on sait cela, c’est grâce à Brigitte Jenart, une dentiste qui avait un petit cabinet au 35 rue du Conseil, à Ixelles, qui marchait bien jusque fin 1996. Elle soignait les dents de Nihoul et de son ex-épouse Annie Bouty, ainsi que celles de quelques personnes qui rendaient visite au locataire de l’appartement au-dessus du cabinet, Roland Corvillain. Elle n’a appris que plus tard que c’était un pédophile notoire. Elle a su plus tard aussi qu’il recevait régulièrement la visite de personnages comme Achille Haemers, le père de feu l’ennemi public numéro 1 Patrick Haemers, et Robert Darville, un caïd de la bande Haemers. Brigitte Jenart avait l’impression de s’encanailler, avec toute cette brochette de bandits. L’un d’eux était Juan Borgès, qu’elle avait connu en 1983 par le biais de Bouty. Elle était tombée amoureuse de lui ; Bouty aussi, d’ailleurs. Brigitte Jenart avait eu une liaison fugace avec le Portugais, qui passait allègrement d’un lit à l’autre. Il lui expliquait qu’il avait du mal à rompre avec Bouty, parce qu’elle constituait son assurance-vie en Belgique. « Borgès se renseignait auprès de Bouty pour savoir s’il était signalé (dans le Bulletin central des Signalements de la police, ndla) », dit Jenart début 1997. « Pour ce faire, il lui téléphonait, et par un contact dont j’ignore tout, elle lui donnait le feu vert pour ses déplacements à l’étranger. » [1] Observatoire Citoyen Marc Verwilghen et sa commission ont beaucoup fait sourire, en 1997, lorsqu’ils se sont mis à rechercher les ‘protections’ dont auraient bénéficié les protagonistes de l’affaire Dutroux. Aux yeux des médias, la commission n’a presque rien trouvé ; pourtant, dans le second rapport final, il y a un chapitre en béton : l’affaire du coup de fil ‘ministériel’. Le récit des faits repose presque entièrement sur le témoignage de Brigitte Jenart, et il a été confirmé sur toute la ligne. Cependant, la dentiste ne savait pas exactement comment les choses s’étaient déroulées. En gros, Nihoul affirmait pouvoir arranger ce qu’il voulait, partout où il le voulait. Pour Jenart, l’incident avec Borgès n’était qu’un énième indice qu’il ne bluffait pas. On n’a jamais su avec précision qui avait eu qui au téléphone. Devant la commission, Torrez maintient qu’il s’est fait rouler par Nihoul. Jenart, pour sa part, affirme que Nihoul avait bel et bien mis le cabinet de Donnéa sur l’affaire. Dans son second rapport final, la commission a fait preuve de clémence envers Torrez : « L’officier de gendarmerie estime qu’il s’est montré naïf et attribue cette naïveté au fait qu’il venait d’être nommé commandant de district. » [2] Pourtant, le fait qu’on ait laissé Borgès tranquille a eu des conséquences néfastes. Le 12 octobre 1986, six jours après le fameux coup de fil, le Portrait d’une femme, une toile d’Amedeo Modigliani, est dérobé dans l’appartement d’une riche veuve bruxelloise. On apprendra plus tard que ce vol a été commis par la crème de la crème des criminels bruxellois de l’époque. Il s’agit de personnages comme Jacques Herygers et Georges Cliquet, qui se retrouveront en bonne place sur la liste de personnes à interroger établie par le juge italien anti-mafia Paolo Fortuna, dans le cadre de l’opération Mains Propres. [3] Leur bande, dont fait également partie Borgès, échange de par le monde de l’argent noir, des armes, de l’or volé, des diamants, et parfois aussi des œuvres d’art. Pour le vol du Modigliani, qui fait beaucoup de bruit, la bande a fait appel au jeune artiste bruxellois Stéphane Mandelbaum, qui a réalisé une copie du célèbre tableau pour la laisser à la place de l’original. Mais les gangsters n’aiment pas trop les témoins gênants. Le 3 janvier 1987, on retrouve le cadavre de Mandelbaum dans une grotte à Beez, près de Namur. Il a une balle dans la tête, et son corps a été mutilé à l’acide, dans le plus pur style mafieux. En 1992, Juan Borgès est condamné par contumace, en même temps que quelques autres membres de la bande, pour le vol du Modigliani, mais pas pour le meurtre. Personne ne sera d’ailleurs condamné pour ce crime. Le parquet de Namur bâcle l’enquête et classe le dossier sans suite dès 1990. De toute façon, à ce moment-là, Borgès est déjà hors de portée. « Juste avant d’être condamné dans l’affaire Mandelbaum, Borgès est parti vivre au Canada, à Montréal », dit Jenart. [4] A posteriori, on peut sans doute affirmer que l’intervention de Nihoul a rendu possible un spectaculaire vol de tableau et un meurtre mafieux, et peut-être plus encore. Au milieu des années quatre-vingts, Borgès travaille avec un parrain mafieux italien et il trimbale des mallettes pleines de dollars noirs. En tant qu’agent du Mossad, les services secrets israéliens, il est impliqué dans la mise sur pied d’un contrat pour la livraison de six mille missiles TOW au régime des ayatollahs en Iran, pour une valeur de 83 millions de dollars. Les conseils juridiques sont assurés par la société Cadreco, créée par Annie Bouty et Juan Borgès. A cette époque, Bruxelles était une plaque tournante du trafic d’armes à destination de l’Iran, grâce auquel les Américains et les Israéliens espéraient affaiblir la position de Saddam Hussein. Tout cela n’apparaît au grand jour que fin 2002, après l’extradition vers la Belgique du trafiquant d’armes belge Jacques Monsieur, qui avait longtemps été détenu en Iran. [5] La romance avec Borgès n’a pas été très bénéfique à Brigitte Jenart. A cause d’une série de constructions financières pour lesquelles il avait emprunté sa signature, elle se retrouve avec 7 millions de francs de dettes sur le dos. Lorsqu’elle s’en rend compte, il a déjà quitté le pays. Suite à cela, fin 1994, Jenart est contrainte de vendre son cabinet à son assistante, et elle devient assistante dans son propre cabinet. Et la poisse ne s’arrête pas là. Brigitte Jenart avait une clientèle fidèle composée en grande partie d’enfants. Elle était une de ces rares dentistes chez qui les enfants restent sages pendant la redoutable visite. En septembre 1996, lorsque son voisin du dessus, Roland Corvillain, est désigné comme suspect principal de l’enlèvement de Loubna Benaïssa, la petite Marocaine, et que les pelleteuses de Connerotte se mettent au travail devant, dans et derrière sa maison, la réputation professionnelle de Jenart est fichue. Finalement, c’était une fausse piste, mais pendant les mois qui suivent, les ragots sur « la fameuse maison » iront encore bon train dans le quartier. Les enfants retourneraient bien volontiers chez la gentille dame, mais leurs parents préfèrent aller voir ailleurs. Malgré toutes les misères que lui amène l’affaire Dutroux, on ne peut pas reprocher à Brigitte Jenart un manque de collaboration avec la justice. Tous ses souvenirs, elle uploads/Litterature/ observatoire-citoyen-350-brigitte-jenart-un-curieux-suicide.pdf
Documents similaires










-
25
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1718MB