Dany Laferrière J’écris comme Je vis Un formidable compagnon de lecture. Pascal

Dany Laferrière J’écris comme Je vis Un formidable compagnon de lecture. Pascale Navarro, Voir Les Éditions du Boréal 4447, rue Saint-Denis Montréal (Québec) h2j 2l2 www.editionsboreal.qc.ca J’ÉcriS coMMe Je viS du même auteur Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, vLB, 1985; Belfond, 1989; J’ai lu, 1990; Le Serpent à plumes, 1999; Typo, 2002. Éroshima, vLB, 1987; Typo, 1998. L’Odeur du café, vLB, 1991; Typo, 1999; Le Serpent à plumes, 2001. Le Goût des jeunes filles, vLB, 1992; Grasset, 2005. Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit?, vLB, 1993 (épuisé); Typo, 2000 (épuisé); nouvelle édition revue par l’auteur, vLB, 2002; Le Serpent à plumes, 2002. Chroniques de la dérive douce, vLB, 1994. Pays sans chapeau, Lanctôt éditeur, 1996; Le Serpent à plumes, 1999; Boréal, coll. «Boréal compact», 2006. La Chair du maître, Lanctôt éditeur, 1997; Le Serpent à plumes, 2000. Le Charme des après-midi sans fin, Lanctôt éditeur, 1997; Le Serpent à plumes, 1998; Boréal, coll. «Boréal compact», 2010. Le Cri des oiseaux fous, Lanctôt éditeur, 2000; Le Serpent à plumes, 2000; Boréal, coll. «Boréal compact», 2010. Je suis fatigué, initiales, 2000; Lanctôt éditeur, 2001; Typo, 2005. Comment conquérir l’Amérique en une nuit, Lanctôt, 2004; Boréal, coll. «Boréal compact», 2010. Vers le sud, Boréal/Grasset & Fasquelle, 2006. Je suis un écrivain japonais, Boréal/Grasset & Fasquelle, 2008; Boréal, coll. «Boréal compact», 2009. L’Énigme du retour, Boréal/Grasset & Fasquelle, 2009. Tout bouge autour de moi, Mémoire d’encrier, 2010. Dany Laferrière J’ÉcriS coMMe Je viS Entretien avec Bernard Magnier Boréal © Les Éditions du Boréal 2010 Dépôt légal: 3e trimestre 2010 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Diffusion au canada: Dimedia Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Laferrière, Dany J’écris comme je vis (Boréal compact ; 217) isbn 978-2-7646-2058-8 1. Laferrière, Dany – entretiens. 2. Écrivain québécois – 20e siècle – entretiens. i. Magnier, Bernard. ii. Titre. ps8573.a348z77 2010 c843’.54 c2010-941071-8 ps9573.a348z77 2010 isbn papier 978-2-7646-2058-8 isbn pdf 978-2-7646-3058-7 isbn epub 978-2-7646-4058-6 Pour Maggie, «mon témoin capital». entre le printemps et l’été 1999, Dany Laferrière a été l’hôte, pendant quelques mois, d’une résidence d’écrivain, en France, à Grigny, dans le rhône. c’est à cette occasion que ce livre a été conçu. Bernard Magnier: Bon, Dany Laferrière, es-tu un écrivain haï- tien, québécois, canadien, caribéen, américain ou français? Dany Laferrière: Je suis du pays de mes lecteurs. Quand un Japonais me lit, je deviens un écrivain japonais. Dialogue impromptu avant d’entrer dans le vif du sujet (mais c’est cela, le vif du sujet) Bernard Magnier vient d’arriver dans l’appartement bien enso-leillé où je dors, mange et écris depuis près de quatre mois. Une petite cuisinière, un réfrigérateur, un téléviseur et une machine à écrire. Le divan-lit se trouve sous la fenêtre. De la fenêtre, je vois les canards en train de batifoler dans un petit étang et ce bougon de jardinier traverser le parc à grandes enjambées. Bernard est arrivé de Paris pour me rencontrer à Grigny, dans la banlieue lyonnaise où je suis en fin de résidence d’auteur. J’ai trouvé dans la petite bibliothèque quelques livres d’entretiens mystérieusement placés là pour me mettre un peu dans le bain. ce n’est pas mon genre de regarder chez les autres. J’aime n’en faire qu’à ma tête. — café? — oui. 9 Bernard boit lentement son café pendant que je feuillette distraitement les livres (on ne sait jamais). Borges dit ici qu’il préfère la conversation à l’entretien. Je me demande où se trouve la différence. Le but me semble le même: dialoguer avec quelqu’un en espérant divertir une troisième personne (le lecteur). Borges est peut-être assez blasé pour ignorer le lecteur, moi, je ne le peux pas. Je décide d’accepter le fait qu’il se tient silencieusement dans un coin de la pièce. — Je suis toujours inquiet, fais-je savoir à Bernard Magnier, quand je tombe sur un livre d’entretiens qui commence par le début. Je sens que je vais devoir me taper toute une vie, me demandant si j’aurai la force d’aller jusqu’au bout. Moi, je préfère entrer de plain-pied dans la vie d’un type. Là. Direct. Dans le présent. Je suis prêt à écouter son histoire, mais d’abord je veux savoir comment il va, et ce qu’il fabrique au moment même où il est en train de nous raconter son histoire. est-il fatigué, ennuyé, excité, heureux ou au bord du suicide? il déroule sa vie devant moi, alors que j’aimerais lui demander des choses plus simples, plus quotidiennes. — D’accord, fait Bernard avec cette légère moue dubita-tive qui lui est propre… comment ça va alors? — Bien. Étrangement calme. — Pourquoi «étrangement»? — Bon, c’est quand même un peu angoissant d’avoir à raconter sa vie. J’ai l’impression, comme dirait mon ami Saul Bellow (Prix Nobel 1976, je le sais puisque c’est l’année de mon arrivée à Montréal), d’être invité à mes propres funérailles. — cela commence bien, je viens d’apprendre que tu aimes citer les auteurs et que tu es un peu superstitieux, du moins pour les dates… — c’est vrai que je retiens une date uniquement si cela a un rapport avec ma vie personnelle… 10 — Bon, je vois que ça va vite. Pour moi, c’est très simple, je veux simplement tout savoir sur cet accord qui semble exister entre ton œuvre et ta vie. J’éclate de rire. — c’est l’affaire d’une vie, ça… Bon, on garde le «tu». Je sais que le «vous» fait plus professionnel, mais moi, je suis le contraire du professionnel. Quart de sourire de Bernard. — Pour écrire ces dix livres en quinze ans, tu as quand même dû t’astreindre à un dur régime. — oui, mais ce n’était pas pour devenir un écrivain professionnel. — et c’était pour quelle raison? — Je voulais me lire… cela peut sembler étrange, mais j’ai écrit ces livres pour savoir vraiment ce que je faisais de ma vie. — c’est exactement ce rapport profond qui semble exister entre ta vie et ton œuvre qui m’a donné envie de te rencontrer pour ces entretiens. — il faut que je te dise que j’ai beaucoup réfléchi avant ton arrivée. J’ai paniqué un peu à l’idée de ces entretiens. c’est difficile à croire que j’en sois déjà là. — Là où? — À raconter ma vie. J’ai commencé à écrire il y a à peine vingt ans, c’est-à-dire hier. Dès qu’on te demande de raconter ta vie, c’est que, d’une certaine façon, tu es déjà de l’autre côté. — Mais c’est ce que tu as toujours fait dans tes livres. — Dans mes livres, je raconte à la fois ma vie réelle et ma vie rêvée… Je crée ma vie au fur et à mesure que je la vis. — ce qui veut dire, concrètement? — Dans un livre, la vie semble toujours plus excitante, alors je tente de faire entrer cette intensité dans ma vie quotidienne. 11 — ce sera difficile alors de dissocier chez toi la part réelle de la part rêvée. — en effet. — crois-tu possible de connaître au moins la part réelle de ta vie? — Je ne sais pas… Tout ce que je sais c’est que, pour moi, écrire et vivre ne font qu’un. — Tu vis donc pour écrire. — Pas du tout. Je veux dire que cela fait partie de ma vie comme n’importe quoi d’autre. il n’y a pas de distance. Je n’écris pas pour me construire une personnalité. J’écris comme d’autres nagent. Je sais nager, mais je peux passer des années sans aller à la mer. Je peux passer même le reste de ma vie sans nager. cela ne m’empêche pas de savoir nager, tu vois… — Tu pourrais te passer de l’écriture? — oui. Totalement. Je peux facilement faire autre chose. — Je t’ai vu feuilleter tout à l’heure des livres d’entretiens. est-ce un genre de livre que tu aimes? — Pas plus que cela. Sauf quand il s’agit de quelqu’un qui m’intéresse vraiment. — Qui, par exemple? — Avec moi, c’est toujours les mêmes: Borges, Gom-browicz, Baldwin, Montaigne. — Montaigne n’a pas fait de livre d’entretiens! — Non, mais ce n’est pas loin. c’est le premier à avoir tenté de se mettre à nu de cette manière. — T’est-il arrivé de lire le livre d’entretiens de quelqu’un que tu ne connaissais pas. — rarement. — J’espère que les lecteurs seront plus curieux dans ton cas. — oh, le lecteur fait ce qu’il veut. 12 — Quand il t’arrive de lire le livre d’un inconnu, comment t’y prends-tu? — Alors j’ouvre le livre vers le milieu, je lis quelques pages pour voir si ce qu’il raconte me touche d’une manière ou d’une autre; ensuite, je vais directement à la fin parce que j’aime bien savoir si on signale quelque part que l’auteur est mort. — Pourquoi? — Je me sens plus à l’aise avec un écrivain déjà mort. c’est toujours angoissant un auteur vivant qui nous raconte sa vie. Les morts ont plus de pudeur uploads/Litterature/ dany-laferriere-j-x27-ecris-comme-je-vis-2000.pdf

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