Alain-Fournier MIRACLES Avec une introduction de Jacques Rivière (1924) Table d

Alain-Fournier MIRACLES Avec une introduction de Jacques Rivière (1924) Table des matières INTRODUCTION ..................................................................... 4 I ................................................................................................... 6 II ............................................................................................... 22 III .............................................................................................. 35 IV .............................................................................................. 67 PREMIÈRE PARTIE POÈMES .............................................. 77 L’ONDÉE… .............................................................................. 77 CONTE DU SOLEIL ET DE LA ROUTE .................................. 79 À TRAVERS LES ÉTÉS… ......................................................... 82 CHANT DE ROUTE .................................................................. 86 SOUS CE TIÈDE RESTANT… ................................................. 88 PREMIÈRES BRUMES DE SEPTEMBRE ................................. 91 ET MAINTENANT QUE C’EST LA PLUIE… ........................... 93 DANS LE CHEMIN QUI S’ENFONCE… .................................. 96 DEUXIÈME PARTIE PROSES ............................................ 100 LE CORPS DE LA FEMME ..................................................... 100 DANS LE TOUT PETIT JARDIN… ........................................ 107 MADELEINE ........................................................................... 109 I ................................................................................................. 110 II ............................................................................................... 115 LA PARTIE DE PLAISIR ........................................................ 119 TROIS PROSES ...................................................................... 121 I Grandes manœuvres. – La chambre d’amis du tailleur. ....... 121 II Grandes manœuvres. – Marche avant le jour...................... 122 – 3 – III L’amour cherche les lieux abandonnés. ............................. 124 LE MIRACLE DES TROIS DAMES DE VILLAGE .................. 127 LE MIRACLE DE LA FERMIÈRE ........................................... 135 PORTRAIT ............................................................................. 148 LA DISPUTE ET LA NUIT DANS LA CELLULE .................... 157 NOTE BIBLIOGRAPHIQUE ................................................ 162 POÈMES ................................................................................. 162 PROSES .................................................................................. 162 À propos de cette édition électronique ............................... 164 – 4 – INTRODUCTION Comment rattraper sur la route terrible où elle nous a fuis, au delà du spécieux tournant de la mort, cette âme qui ne fut jamais tout entière avec nous, qui nous a passé entre les mains comme une ombre rêveuse et téméraire ? « Je ne suis peut-être pas tout à fait un être réel. » Cette confidence de Benjamin Constant, le jour où il la découvrit, Alain-Fournier fut profondément bouleversé ; tout de suite il s’appliqua la phrase à lui-même et il nous recommanda so- lennellement, je me rappelle, de ne jamais l’oublier, quand nous aurions, en son absence, à nous expliquer quelque chose de lui. Je vois bien ce qui était dans sa pensée : « il manque quelque chose à tout ce que je fais, pour être sérieux, évi- dent, indiscutable. Mais aussi le plan sur lequel je circule n’est pas tout à fait le même que le vôtre ; il me permet peut- être de passer là où vous voyez un abîme : il n’y a peut-être pas pour moi la même discontinuité que pour vous entre ce monde et l’autre. » Ses plus grands enthousiasmes littéraires allèrent tou- jours aux œuvres qui lui faisaient sentir l’idéalité de l’univers et de la vie elle-même. Il faut savoir aussi combien il était sobre : matérielle- ment d’abord (jamais il ne sembla prendre à la nourriture le moindre plaisir, il ne lui demandait que de l’entretenir en vie) ; mais surtout au spirituel : j’ai souvent admiré combien légèrement il goûtait à la réalité et c’était une surprise pour – 5 – moi, à chaque fois, de voir de quelle impondérable mousse s’emplissait seulement la coupe qu’il y plongeait. Il n’y avait pas là l’effet d’une constitution physique fra- gile, ni aucune intolérance par débilité. Au contraire Fournier fut toute sa vie robuste et bien portant. C’était son esprit tout seul dont l’aspiration était ainsi prudente et réservée, – comme s’il eût eu ailleurs d’autres sources où puiser, et une alimentation invisible. Quand je la compare à la sienne, toute ma vie, qui pour- tant fut occupée par beaucoup des mêmes événements, m’apparaît affreusement positive. J’ai saisi bien des choses qu’il laissa échapper ; mais c’est lui qui volait, moi qui reste… Il serait vain de vouloir distinguer le merveilleux spon- tané, dans son histoire, et celui qu’il y ajouta lui-même par la simple tournure de son imagination. Elle reste, en tous cas, « à peine réelle », tissée des aventures les moins analy- sables ; des femmes y sont mêlées dont, du fait que son re- gard seulement les effleura, il devient impossible de savoir qui elles furent d’autre que les anges ou les démons qu’il vit. Une biographie d’Alain-Fournier ? Écrite du dehors, pui- sée ailleurs que dans ses contes et dans le Grand Meaulnes, ne sera-t-elle pas un continuel mensonge, le récit des faits qu’il n’a pas vécus ? Et comment oser, en particulier, recons- tituer sa dernière rencontre ? Comment savoir le visage qu’eut pour lui, brusquement dévoilé dans la solitude, cette maîtresse terrible qu’il avait toujours attendue : la guerre ? – 6 – I Pourtant je suis le seul à l’avoir vraiment connu. Nous nous étions liés au lycée Lakanal, où nous étions entrés tous les deux en octobre 1903 pour préparer l’École Normale Su- périeure. Nous avions le même âge : dix-sept ans. Notre amitié ne fut d’ailleurs pas immédiate, ni ne se noua sans péripéties ; nos différences de caractère se firent jour avant nos ressemblances. Fournier, animé de l’esprit d’indépendance qu’il devait attribuer plus tard à Meaulnes, avait entrepris d’ébranler la vénérable et stupide institution de la Cagne, c’est-à-dire l’organisation hiérarchique qui ré- glait les rapports des élèves de rhétorique supérieure et l’ensemble de rites et d’obligations humiliantes que les an- ciens imposaient aux « bizuths ». Il avait pris la tête d’une coterie de révoltés, avec laquelle je sympathisais secrète- ment, mais que ma timidité et mon désir d’éviter les distrac- tions m’empêchèrent de rallier tout de suite. J’observai longtemps une neutralité rigoureuse dans la bataille qui opposait mes camarades. La figure de Fournier m’intéressait pourtant déjà vivement. Parmi ces jeunes gens, dont plusieurs étaient comme lui fils d’instituteurs, mais que leurs dispositions universitaires rendaient déjà légèrement compassés, il surgissait libre, joueur, ivre de jeunesse. Ce que l’atmosphère où nous étions plongés avait d’un peu pé- dant et artificiel, il le faisait par instants drôlement fuser au dehors et nous restituait le caprice dont nous avions besoin pour respirer. Je le regardais combiner ses offensives contre le « Bu- reau », je lisais les pétitions révolutionnaires qu’il faisait cir- – 7 – culer pendant l’étude. Je me sentais un peu scandalisé, un peu effrayé, fort séduit malgré tout par son personnage. Je ne pensais pourtant pas à me rapprocher de lui. C’est lui qui me fit le premier des avances, d’ailleurs mêlées de ta- quineries et de moqueries, qui me furent, je l’avoue, très in- supportables. De toute évidence je l’agaçais un peu, si je l’attirais aussi ; ma nature appliquée, scrupuleuse, méticu- leuse lui donnait des impatiences. Il me jouait des tours que je ne prenais pas toujours très bien. Que de fois, en rentrant de récréation, je trouvai mon pupitre bouleversé, mes livres en désordre : Fournier avait passé par là. Je lui en voulais de tout mon cœur ! Mais il tenait à moi et peu à peu la sincérité de son atta- chement m’apparut, me convainquit, apaisa mes résistances. C’est aussi qu’à côté de son indiscipline, tout un autre aspect de son caractère se révélait à moi, lentement, que je ne pou- vais qu’aimer. Sous ses dehors indomptés, je le découvrais tendre, naïf, tout gorgé d’une douce sève rêveuse, infiniment plus mal armé encore que moi, ce qui n’était pas peu dire, devant la vie. Le parc de Lakanal, qui fut celui de la Duchesse du Maine et de la Cour de Sceaux, est un endroit merveilleux ; il dévale lentement vers Bourg-la-Reine. La grande allée vient aboutir à une grille qui donne sur un chemin peu fréquenté ; un banc la termine, où, parmi toute cette banlieue, on peut avoir l’illusion d’une relative solitude. C’est sur ce banc que chaque jour, pendant l’heure de récréation qui suivait le dé- jeuner, je venais m’asseoir avec Fournier. – 8 – Nous avions de grandes conversations. Il me parlait de son pays avec une sorte de passion. Il était né1 à la Chapelle- d’Angillon, un petit chef-lieu de canton du Cher, à une tren- taine de kilomètres au nord de Bourges, sur les confins de la Sologne et du Sancerrois, en plein centre de la France. Mais c’est surtout d’Épineuil-le-Fleuriel, un plus petit village en- core, situé à l’autre extrémité du département, entre Saint- Amand et Montluçon, où ses parents avaient été longtemps instituteurs et où il avait passé toute sa première enfance, qu’il me faisait des descriptions enthousiastes et presque amoureuses. Je reconstituais sa vie de petit paysan dans cette campagne sans pittoresque, lente, pure et copieuse et dont les aspects s’étaient comme incorporés à son âme : je me rendais compte de ce qu’avait été cette enfance alimen- tée par la précieuse ignorance de tout autre paysage au monde que celui qu’on pouvait découvrir des fenêtres de l’école. Quelle estacade que cette solitude pour les voyages de l’imagination ! En effet, entraîné aussi, il faut le dire, par la lecture ef- frénée des livres de prix que recevaient ses parents chaque année vers le début de juillet et dont, s’enfermant au grenier avec sa sœur, il consommait l’entière provision avant qu’ils ne fussent distribués, Fournier s’était mis très tôt à imaginer l’inconnu et à le chercher. Comme il était naturel, dans ce plein milieu des terres, devant son horizon immobile, il s’était uploads/Litterature/ alain-fournier-miracles.pdf

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