Lemangeur-ocha.com. Patrick Rambourg. Compte rendu de lecture « Gastronomie et
Lemangeur-ocha.com. Patrick Rambourg. Compte rendu de lecture « Gastronomie et identité culturelle française ». Mise en ligne le 31 août 2007. 1 Gastronomie et identité culturelle française. Discours et représentations (XIXe – XXIe siècles) Françoise Hache-Bissette et Denis Saillard Paris, Nouveau Monde éditions, 20071 Compte rendu de lecture par Patrick Rambourg, Professeur de l’Histoire de la cuisine et de la gastronomie Université Paris 7 - Denis-Diderot Ce livre est le fruit d’un colloque international organisé en mars 2005 pour le 250e anniversaire de la naissance de Brillat-Savarin, par le CHCSC de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et la Société d’ethnologie française. Il est composé de cinq parties et rassemble vingt-cinq contributions. Le XIXe siècle n’a pas inventé le discours sur le boire et le manger, mais il a popularisé le mot « gastronomie » et légitimé les textes sur « l’art de la bonne chère ». La gastronomie est « la mise en règle » de la nourriture : c’est la « connaissance raisonnée de tout ce qui à rapport à l’homme, en tant qu’il se nourrit », écrit Brillat-Savarin. Etudier la gastronomie, c’est avant tout analyser les discours qui la sous-tendent, de l’oralité au texte, en passant par l’image. C’est « la représentation qu’une communauté se donne de sa cuisine, donc de sa culture, et celles que lui en renvoient les autres » précisent, dans leur introduction, Françoise Hache- Bissette et Denis Saillard. Tel est le projet du livre, entre construction et déconstruction du discours gastronomique français, dans une approche interdisciplinaire, avec une diversité méthodologique riche d’enseignement. L’excellence culinaire y est présentée comme « une pratique culturelle nationale » et perçue, par le regard étranger, comme une spécificité de l’Hexagone. L’ouvrage et ses auteurs s’interrogent ainsi sur la francité, sur l’identité culturelle française au travers de sa gastronomie. La première partie du livre s’ouvre sur « les discours fondateurs et leur diffusion au XIXe siècle » (pp. 39-120). La Physiologie du goût de Brillat-Savarin est l’un des textes les plus importants sur la gastronomie. Publié sans nom d’auteur à la fin de l’année 1825, il poursuit une carrière remarquable jusqu’à nos jours. Pourtant, sur une cinquantaine de publications françaises distinctes recensées à la Bibliothèque nationale de France, aucune ne peut-être qualifiée d’édition critique, entendons scientifique. Pour Pascal Ory, la Physiologie est un texte canonique qui reste, à l’aube du XXIe siècle, une littérature méprisée. Les « quelques considérations » qu’il développe dans son article sont l’ébauche d’un travail plus conséquent à venir. « Il ne sera pas question ici de cuisine, ni même d’alimentation, mais de philosophie », explique-t-il d’emblée au lecteur ; c’est l’analyse « d’une pratique littéraire ayant pour objet le système du goût ». Le texte de Brillat est dès lors replacé dans son contexte : dans le cadre de la production scientifique et philosophique de l’époque, de l’influence des « Idéologues » qui cherchaient à créer une science de la pensée reposant sur la « physiologie ». Penseur libéral proche d’un Jean-Baptiste Say, Brillat-Savarin est également un littérateur inspiré par toute une littérature hédoniste. Et l’ambition d’allier le projet scientifique à la sensualité gourmande contribue, pour une large part, au succès de son livre. La physiologie devient une mode : Balzac publiera une Physiologie du mariage et Stendhal 1 Nouveau Monde Editions, 2007, 475 p. ISBN 978-2-84736-188-9. 49 €. Lemangeur-ocha.com. Patrick Rambourg. Compte rendu de lecture « Gastronomie et identité culturelle française ». Mise en ligne le 31 août 2007. 2 rééditera sous le titre Physiologie de l’amour son traité De l’amour. C’est « l’effet Brillat » où la synthèse du philosophique et du littéraire donne le « plaisir du texte ». Cette notion de « plaisir » se retrouve aussi dans les Lettres sur la cuisine à un prétendu gourmand napolitain d’Alexandre Dumas père, publiées en feuilleton dans Le Petit Journal (1863-1864). Pour Michelle S. Cheyne, chacune de ces Lettres tend à prouver que l’écrivain « comprend le goût français – en cuisine et en littérature ». Elles représentent un tournant de l’image de Dumas qui a pu rétablir sa bonne réputation littéraire : celle-ci lui avait été contestée dans la première moitié du XIXe siècle. Mirecourt et Jouvin utilisèrent ainsi « des termes alimentaires, culinaires ou gastronomiques pour nier le talent de Dumas », et lui dénier toute sensibilité au monde artistique. Le premier, particulièrement, dénigrera ses romans en les présentant « comme des ragoûts épicés qui pervertissent le goût français ». L’emploi du vocabulaire culinaire est, ici, une façon de condamner le « mercantilisme littéraire » et la « littérature industrielle » qui détruiraient les lettres françaises, et dont on accusait Dumas. Mais ce dernier jouera de cette image pour devenir le romancier cuisinier et l’écrivain gastronome que nous connaissons aujourd’hui : à la fois bon vivant et auteur de romans populaires. La publicité du début du XXe siècle s’emparera de cette double réputation d’Alexandre Dumas pour valoriser des produits gastronomiques, à l’exemple du chocolat et du cognac. L’écrivain devient ainsi le symbole d’une excellence française en littérature et en gastronomie. D’une manière générale, les romanciers du XIXe siècle ont perçu l’air du temps et le phénomène contemporain de la gastronomie. Les naturalistes, qui s’intéressent à l’« homme physiologique », offrent un panorama assez complet de la table de leur époque. L’aspiration de la société est à la bonne chère, aussi bien au restaurant que dans le cadre privé et familial. Toutes les occasions sont bonnes pour bien manger, du mariage aux fêtes, en passant par « les triomphes politiques ». En comparant les romans naturalistes et les textes des gastronomes, Joëlle Bonnin-Ponnier met en avant les convergences et les distinctions d’un discours gastronomique qui tourne autour de la notion même du mot « gastronomie », de la France et de sa capitale (où le restaurant tient une place importante), des agapes bourgeoises et populaires, du rôle de la femme dans le domaine de la table, à la fois gourmande et bonne cuisinière mais sans « réelles compétences gastronomiques ». Car les spécialistes en la matière sont avant tout des hommes, comme Bachelard, ce personnage de Pot-Bouille, qui arpente les plus grands restaurants du temps. Pourtant le discours romanesque n’a pas les mêmes visées que le discours gastronomique. Les scènes de table, même si elles illustrent les mœurs de l’époque, sont un moyen « de réunir les personnages d’un roman à des points clefs de l’intrigue ». Les naturalistes s’intéressent à la nature humaine dans ses bas instincts, et pour eux, « l’art de vivre est impossible [et] la fête condamnée d’avance ». Cela n’empêche pas les romanciers du siècle tels que Balzac, Flaubert, Zola et Maupassant de participer « à la campagne des gastronomes qui présente la cuisine française comme un patrimoine national. Ils appartiennent eux-mêmes à la « société gourmande » de leur époque », explique Karin Becker dans son article sur « L’Éloge ambivalent des cuisines régionales dans le roman français du XIXe siècle ». L’écrivain se fait parfois gourmand et le gastronome romancier : la frontière entre la littérature gastronomique et les belles-lettres n’est pas aussi nette qu’on pourrait le penser. Les romanciers parlent principalement de cuisine parisienne mais ils s’intéressent aussi à la « cuisine de province » que l’on qualifierait aujourd’hui de régionale. Trois catégories sont ici distinguées : la cuisine bourgeoise des villes de province, la cuisine des auberges de campagne aux alentours de la capitale, la cuisine des régions Lemangeur-ocha.com. Patrick Rambourg. Compte rendu de lecture « Gastronomie et identité culturelle française ». Mise en ligne le 31 août 2007. 3 périphériques comme l’Alsace, la Provence ou la Normandie, dont nombres de spécialités sont bien connues des parisiens de l’époque. Les romanciers mettent en avant le caractère « naturel » de la cuisine régionale, notamment la fraîcheur des produits ; la liberté du mangeur, qui n’a pas les contraintes de l’étiquette ; et les portions plus importantes de nourriture. Cet éloge est néanmoins ambivalent : la cuisine de province étant toujours jugée par rapport à la gastronomie de la capitale, où s’élabore la « grande cuisine ». Selon les romanciers, le gourmand provincial vise la quantité et moins la qualité de la nourriture. Ils parlent de « gastronomie » pour la cuisine parisienne mais de « bonne chère » pour la cuisine de province. En fait, ils anoblissent la cuisine régionale tout en gardant leur distance car ils appartiennent à l’élite du Tout-Paris « qui ne saurait louer la province sans ironie ». Pour eux, la cuisine parisienne est supérieure à celle de la Province même s’ils l’intègrent dans leur description de la gastronomie française. Cette France gastronomique se rencontre également dans l’œuvre d’Offenbach. La nourriture joue un grand rôle dans une bonne cinquantaine de pièces conçues pour la scène. Elle est, certes, en carton peint et « faussement consommée », mais la musique apporte « une véritable consistance aux plats imités ». Le théâtre d’Offenbach est en effet un théâtre des cinq sens où la sensualité est fondamentale. Le recours à la nourriture permet uploads/Litterature/ p-rambourg-cr-gastronomie-et-identit-culturelle-fran-aise.pdf
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- Publié le Oct 05, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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