voulez, ou plus radicale, qui consiste à poser la question: en quoi précisément

voulez, ou plus radicale, qui consiste à poser la question: en quoi précisément a consisté le changement? Ceci veut dire: n'y a-t-il pas entre plusieurs niveaux de changements certaines modifications immédiatement visibles, sautant aux yeux comme des événements bien individualisés, et certains autres, pourtant très précis, se trouvant enfouis à des niveaux où ils apparaissent beaucoup moins? Autrement dit, la première tâche, c'est de distinguer des types différents d'événements. La seconde tâche, c'est de définir les transformations qui se sont effectivement produites, le système selon lequel certaines variables sont restées constantes, tandis que d'autres ont été modifiées. À la grande mythologie du changement, de l'évolution, du perpetuum mobile, il faut substituer la description sérieuse des types d'événements et des systèmes de transformations, établir des séries et des séries de séries. Or qu'est-ce qu'un tableau, sinon une série de séries? Évidemment, ce n'est pas du cinéma. -On a souvent rapproché vos travaux des recherches de Claude Lévi-Strauss et de Jacques Lacan, amalgamées sous l'étiquette de «structuralisme», Dans quelle mesure acceptez-vous ce rapprochement? Y a-t-il une réelle convergence dans vos recherches? -C'est à ceux qui utilisent, pour désigner des travaux divers, cette même étiquette de «structuralistes» de dire en quoi nous le sommes. Vous connaissez la devinette: quelle différence y a-t-il entre Bernard Shaw et Charlie Chaplin? Il n'y en a pas, car ils ont tous les deux une barbe, à l'exception de Chaplin, bien entendu! -Dans Les Mots et les Choses, vous parlez d'une «mort de l'homme». Cela a suscité une vive émotion et d'innombrables controverses parmi nos bons humanistes. Qu'en pensez-vous? -Il n'y a pas à s'émouvoir particulièrement de la fin de l'homme: elle n'est que le cas particulier, ou si vous voulez une des formes visibles d'un décès beaucoup plus général. Je n'entends pas par cela la mort de Dieu, mais celle du sujet, du Sujet majuscule, du sujet comme origine et fondement du Savoir, de la Liberté, du Langage et de l'Histoire. |PAGE 789 On peut dire que toute la civilisation occidentale a été assujettie, et les philosophes n'ont fait qu'en établir le constat, en référant toute pensée et toute vérité à la conscience, au Moi, au Sujet. Dans le grondement qui nous ébranle aujourd'hui, il faut peut-être reconnaître la naissance d'un monde où l'on saura que le sujet n'est pas un, mais scindé, non pas souverain, mais dépendant, non pas origine absolue, mais fonction sans cesse modifiable. 69 Qu'est -ce qu'un auteur? (Conférence) «Qu'est-ce qu'un auteur?», Bulletin de la Société française de philosophie, 63e année, no 3, juillet-septembre 1969, pp. 73-104. (Société française de philosophie, 22 février 1969; débat avec M. de Gandillac, L. Goldmann, J. Lacan, J. d'Ormesson, J. Ullmo, J. Wahl.) En 1970, à l'université de Buffalo (État de New York), M. Foucault donne de cette conférence une version modifiée publiée en 1979 aux États-Unis (voir infra no 258). Les 1 passages entre crochets ne figuraient pas dans le texte lu par M. Foucault à Buffalo. Les modifications qu'il avait apportées sont signalées par une note. M. Foucault autorisa indifféremment la réédition de l'une ou l'autre version, celle du Bulletin de la Société française de philosophie dans la revue de psychanalyse Littoral (no 9, juin 1983), celle de Textual Strategies dans The Foucault Reader (éd. P. Rabinow, New York, Pantheon Books, 1984). M. Michel Foucault, professeur au Centre universitaire expérimental de Vincennes, se proposait de développer devant les membres de la Société française de philosophie les arguments suivants: «Qu'importe qui parle?» En cette indifférence s'affirme le principe éthique, le plus fondamental peut-être, de l'écriture contemporaine. L'effacement de l'auteur est devenu, pour la critique, un thème désormais quotidien. Mais l'essentiel n'est pas de constater une fois de plus sa disparition; il faut repérer, comme lieu vide -à la fois indifférent et contraignant -, les emplacements où s'exerce sa fonction. 1° Le nom d'auteur: impossibilité de le traiter comme une description définie; mais impossibilité également de le traiter comme un nom propre ordinaire. 2° Le rapport d'appropriation: l'auteur n'est exactement ni le propriétaire ni le responsable de ses textes; il n'en est ni le producteur ni l'inventeur. Quelle est la nature du speech act qui permet de dire qu'il y a oeuvre? 3° Le rapport d'attribution. L'auteur est sans doute celui auquel on peut attribuer ce qui a été dit ou écrit. Mais l'attribution -même |PAGE 790 lorsqu'il s'agit d'un auteur connu -est le résultat d'opérations critiques complexes et rarement justifiées. Les incertitudes de l'opus. 4° La position de l'auteur. Position de l'auteur dans le livre (usage des embrayeurs; fonctions des préfaces; simulacres du scripteur, du récitant, du confident, du mémorialiste). Position de l'auteur dans les différents types de discours (dans le discours philosophique, par exemple). Position de l'auteur dans un champ discursif (qu'est-ce que le fondateur d'une discipline? que peut signifier le «retour à...» comme moment décisif dans la transformation d'un champ de discours?). COMPTE RENDU DE LA SÉANCE La séance est ouverte à 16 h 45 au Collège de France, salle no 6, sous la présidence de M. Jean Wahl. 1 Jean Wahl: Nous avons le plaisir d'avoir aujourd'hui parmi nous Michel Foucault. Nous avons été un peu impatients de sa venue, un peu inquiets de son retard, mais il est là. Je ne vous le présente pas, c'est le «vrai» Michel Foucault, celui des Mots et les Choses, celui de la thèse sur la folie. Je lui laisse tout de suite la parole. Michel Foucault: Je crois -sans en être d'ailleurs très sûr -qu'il est de tradition d'apporter à cette Société de philosophie le résultat de travaux déjà achevés, pour les proposer à votre examen et à votre critique. Malheureusement, ce que je vous apporte aujourd'hui est beaucoup trop mince, je le crains, pour mériter votre attention : c'est un projet que je voudrais vous soumettre, un essai d'analyse dont j'entrevois à peine encore les grandes lignes; mais il m'a semblé qu'en m'efforçant de les tracer devant vous, en vous demandant de les juger et de les rectifier, j'étais, «en bon névrosé», à la recherche d'un double bénéfice: celui d'abord de soustraire les résultats d'un travail qui n'existe pas encore à la rigueur de vos objections, et celui de le faire bénéficier, au moment de sa naissance, non seulement de votre parrainage, mais de vos suggestions. Et je voudrais vous adresser une autre demande; c'est de ne pas m'en vouloir si, en vous écoutant tout à l'heure me poser des questions, j'éprouve encore, et ici surtout, l'absence d'une voix qui m'a été jusqu'ici indispensable; vous comprendrez bien que tout à l'heure c'est encore mon premier maître que je chercherai invinciblement à entendre. Après tout, de mon projet initial de travail c'est à lui que j'avais d'abord parlé; à coup sûr, j'aurais eu grand besoin qu'il assiste à l'ébauche de celui-ci et qu'il m'aide une fois encore dans mes incertitudes. Mais après tout, puisque l'absence est le lieu |PAGE 791 premier du discours, acceptez, je vous en prie, que ce soit à lui, en premier lieu, que je m'adresse ce soir. Le sujet que j'ai proposé: «Qu'est-ce qu'un auteur?», il me faut, évidemment, le justifier un peu devant vous. Si j'ai choisi de traiter cette question peut-être un peu étrange, c'est d'abord que je voulais faire une certaine critique de ce qu'il m'est arrivé autrefois d'écrire. Et revenir sur un certain nombre d'imprudences qu'il m'est arrivé de commettre. Dans Les Mots et les Choses, j'avais tenté d'analyser des masses verbales, des sortes de nappes discursives, qui n'étaient pas scandées par les unités habituelles du livre, de l'oeuvre et de l'auteur. Je parlais en général de l'«histoire naturelle», ou de l'«analyse des richesses», ou de l'«économie politique», mais non point d'ouvrages ou d'écrivains. Pourtant, tout au long de ce texte, j'ai utilisé naïvement, c'est-à-dire sauvagement, des noms d'auteurs. J'ai parlé de Buffon, de Cuvier, de Ricardo, etc., et j'ai laissé ces noms fonctionner dans une ambiguïté fort embarrassante. Si bien que deux sortes d'objections pouvaient être légitimement formulées, et l'ont été en effet. D'un côté, on m'a dit: vous ne décrivez pas comme il faut Buffon, ni l'ensemble de l'oeuvre de Buffon, et ce que vous dites sur Marx est dérisoirement insuffisant par rapport à la pensée de Marx. Ces objections étaient évidemment fondées, mais je ne pense pas qu'elles étaient tout à 1 fait pertinentes par rapport à ce que je faisais; car le problème pour moi n'était pas de décrire Buffon ou Marx, ni de restituer ce qu'ils avaient dit ou voulu dire: je cherchais simplement à trouver les règles selon lesquelles ils avaient formé un certain nombre de concepts ou d'ensembles théoriques qu'on peut rencontrer dans leurs textes. On a fait aussi une autre objection: vous formez, m'a-t-on dit, des familles monstrueuses, vous rapprochez des noms aussi manifestement opposés que ceux de Buffon et de Linné, vous mettez Cuvier à côté de Darwin, et cela contre le jeu le plus visible des parentés et des ressemblances naturelles. Là encore, je dirais que l'objection ne me semble pas convenir, car je n'ai jamais cherché uploads/Litterature/ pages-de-foucault-dits-et-ecrits-i.pdf

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