R E C H E R C H E S E T É T U D E S P I E R R E M I S S A C L’ange et l’automat
R E C H E R C H E S E T É T U D E S P I E R R E M I S S A C L’ange et l’automate Notes sur les “ Thèses sur le concept d’histoire ” de Walter Benjamin multiplicité des interprétations, sans que s'y ajoutent les préjugés ou les partis pris des commentateurs. Pourtant II n’est pas interdit de penser, sans encourir le reproche d'éclectisme ou de compromis, que cette diversité et ces contradictions rendent assez bien (1 ) La présente étude désigne comme su it les textes auxquels elle se réfère le plus souvent, en faisant suivre l'abréviation et, éventuel lem ent, l ’indication du volum e et du tome, du numéro de la page. A. Textes de Benjam in. S . Schriften. 2 volumes (Fran kfu rt, 1955). B r. Briefe (Lettres). 2 volumes (Fra n k fu rt, 1966). A .N . Angelus Novus (M orceaux choisis) (Fra n k fu rt, 1966). Ed . Cr. Gesammelte Schriften (Ed itio n critiqu e) (Fran k fu rt. 1974). B . Textes sur Benjam in. G .S. I. Gershom Scholem : W . Benjamin. In : Heber W . Benjamin (Fran k fu rt, 1968). G .S. I I. Scholem : Benjamin und sein Engel. In : Zur Aktualität W . Benjamins (Fran kfu rt, 1972). R .T . R o lf Tiedemann : Studien zur Philosophie W . Benjamins (Fra n k fu rt, 1965) H .H .H . Hans Heinz Holz : Prismatisches Denken. In : Veber W . Ben jamin. J.H . Jürgen Habermas : Bewusstmachende oder rettende Kritik. In : Zur Aktualität W . Benjamin. H .D .K . Heinz-Dieter K ittstein er : Die Geschischtsphilosophische The sen. In : Alternative (56/57, Be rlin 1967). P .K . Peter Krum m e : Zur Konzeption der dialektischen Bilder. In : Text + Kritik (31/32 octobre 1971). (2 ) Su r la désignation de « Thèses », qui n 'a pas été mentionnée comme titre par Benjam in, cf. Ed . C r. 1.3, p. 1254. E lle peut fort bien être justifiée et défendue, peut être pas tout à fait comme je l ’ai fait dans la présentation de m a traduction de 1947. (3 ) Benjam in a destiné à l ’un iversité deux textes : Der Begriff der Kunstkritik m der deutschen Romantik. Ed . Cr. I. I. p. 7. seq. Ursprung des deutschen Trauerspiels, ibid, p. 203, seq. Ce dernier est désigné ci-après comme Trauerspielbuch ; tandis que la désignation Passagenarbeit s’applique au magnum opus auquel Benjam in a songé et travaillé au cours des dernières années de sa vie. A Gershom Scholem par-delà toutes les divergences, en témoignage d'admiration, d’amitié et d'espoir. I Pendant la « drôle de guerre », entre le pacte germano-soviétique et l’invasion de la France par les nazis, sa sortie du camp de réfugiés et sa mort, Walter Benjamin écrivit l’essai Sur le concept d'his toire (1), auquel l'on donne aussi le nom de Thèses et qui sera, ci-après, désigné comme tel (2). J’eus au moment de sa composition le privilège non de le lire, car je ne connaissais alors pas un mot d’allemand, mais d’entendre Benjamin résumer et commenter une de ses versions. Cet aspect personnel ne sera guère évoqué ci-dessous. L'imprécision regrettable des sou venirs n’impose-t-elle pas en effet la plus extrême réserve dans une matière fort controversée ? Par ailleurs, le nombre des amis de Benjamin, très nor malement, diminue sans cesse et ceux qui demeurent se doivent de laisser la parole à des esprits non prévenus, ou de donner à leurs propres remarques un caractère aussi objectif que possible. La difficulté du texte des Thèses qui ne le cède sans doute dans l’œuvre de Benjamin qu’à l’introduction du livre sur le drame baroque (3), suffit à elle seule à favoriser la 43 Nouveaux Cahiers n°41 (1975) introduits dans les fondements de la conception maté rialiste de l'histoire : la discontinuité du temps histo rique ; le pouvoir destructeur de la classe ouvrière ; la tradition des opprimés » (Ed Cr. 1 .3 p. 1246). Dans la rédaction « définitive » des Thèses, avec de légères transpositions et conformément à l’idée directrice qui consistera, on va le voir, è vouloir détruire avant de songer à bâtir, cette analyse positive a fait place à la critique véhémente d'un adversaire tricéphale, dont une des têtes serait l’idée de progrès, une autre l'homogénéité du temps historique, la troisième l’his- torisme (ou historicisme). Un accord existe en effet entre une certaine manière de rendre compte des évé nements, de les comprendre et de les orienter. L’his torien ,ou le chroniqueur, qui croit pénétrer par « empathie » (4) la réalité du passé obéit à un désir plus ou moins conscient de s’identifier aux vainqueurs, c’est-à-dire aux instruments non d’un progrès qui s’imposerait à eux pour bénéficier aux autres mais d’une oppression dont les aspects « ne peuvent être considérés sans frémir ». Même les objets de la culture ne se soustraient pas à cet éclairage et y revêtent une signification tout autre que celle que l’on a coutume de leur attribuer. Ils subsisteront sous un certain nombre de formes, mais, parmi celles que mentionne Benjamin la confiance pourrait fort bien s’effacer derrière le courage et la ruse, une confiance qui confine à l’entêtement, et surtout l’humour. Elles n’auront de valeur véritable qu’en remettant en cause les événements passés et les idées reçues. Parmi ces dernières l’une des plus plus néfastes est la sanctification du travail, dont le complément serait cette nature dont on a dit qu’elle était là gra tuitement. Au lieu de glorifier les capitaines ou de raconter des batailles, on cherchera ce qui se passe derrière façade postiche et mascarade sanglante. A l’optimisme fera place une fureur rétrospective qui trouvera dans la vision du passé la volonté et la force de stopper le cours de l’histoire. La leçon de l’historien matérialiste à l’homme d’action sera de lui désigner les époques à faire jaillir hors d'une histoire indifférenciée, transformant en un ordre d’opération ce qui n’est d'abord qu’une citation à l’ordre du jour, substituant à la continuité historique des oppresseurs la discontinuité qu’implique la tradition des opprimés. A eux il appartient, par un renversement dont les brouillons des Thèses montrent mieux que la rédac tion connue le caractère radical, d’assumer le bond (4 ) Ce mot m 'a été suggéré par T . W . Adorno pour traduire Ein- fühîiing et je m 'y suis tenu depuis 1947. « H istoricism e » se réfère à Historimus, que Benjam in a traduit par « historism e ». compte du tourbillon d'idées, d’impressions, de décep tions et de craintes, qui déchiraient alors Benjamin. Pour voir plus clair, plus clair sans doute qu'il ne faisait lui-même, on dispose aujourd’hui des brouillons de Benjamin récemment publiés, ainsi que de la tra duction qu'il donna de la plus grande partie de son texte, sans parler d’un certain nombre d’études sur des thèmes connexes. Enfin l’intérêt de plus en plus marqué que suscitent depuis quelques années la pensée de Benjamin et d’autres proches de la sienne, permettent de mettre en pratique une des leçons qui, on va le voir, se dégagent des Thèses. S ’il peut tou jours être indiqué, pour éviter des contresens, de se replacer dans les circonstances où une œuvre a été écrite, il est également important, comme Benjamin le prescrit à l'historien matérialiste, de ne fermer les yeux sur aucun des aspects de ce qui s’est produit depuis lors. Ainsi, et ainsi seulement, l’on pourra, au lieu de confisquer les Thèses et sans excéder les limites plausibles du détournement, les faire surgir hors du cadre de leur contexte dans celui de notre propre actualité ; les citer à l’ordre du jour que nous vivons, et qui n’est pas forcément celui du Jugement Dernier ; pour se demander enfin comment leur auteur se fût comporté devant certains problèmes d'aujour d’hui. n Du fait même de leur qualité, qui est de pousser le bonheur de l’expression à l’extrême limite de la prose, on serait tenté d'appliquer aux Thèses une formule bien connue et, refusant le commentaire, d’affirmer que ce que Benjamin a voulu dire, après tout, il l’a dit. Encore conviendrait-il d’ajouter qu’il a souvent eu envie de ne pas seulement dire ce qu’il avait à dire, mais de le dire avec des images. Qu’il s’agisse de cette théorie personnelle de la connaissance dont, à travers la diversité des livres, du Trauerspielbuch au Passagenarbelt, il poursuit implacablement l’élabora tion, ou des Denkbilder (imaqes-pensées), qui carac térisent notamment ce que l’on appelle parfois ses aphorismes, la notion d’image est au centre de la pensée de Benjamin et il n’y a pas de raison pour que son dernier écrit constitue une exception à la règle. De fait, deux images, celle de l’Ange familier devenu ici l’Ange de l’histoire et celle de l’automate ioueur d’échecs surgissent dans deux passages des Thèses et en uploads/Litterature/ pierre-missac-l-x27-ange-et-l-x27-automate-notes-sur-les-quot-theses-sur-le-concept-d-x27-histoire-quot-de-walter-benjamin.pdf
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- Publié le Nov 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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