Pédagogie du texte littéraire Marie-Laure POLETTI Le texte littéraire a connu d

Pédagogie du texte littéraire Marie-Laure POLETTI Le texte littéraire a connu des bonheurs divers au fil de l’évolution des méthodologies du français langue étrangère : consécrations, exclusions, réhabilitations. Absent de toute une génération de méthodes, il est resté présent dans de nombreux pays étrangers pour des raisons de traditions, de programmes ou d’objectifs assignés à l’enseignement de la langue étrangère. Cette exclusion, temporaire et partielle, a autorisé et même obligé à penser autrement ce texte et les écrits en général mais elle n’a pas permis l’apparition d’approches originales, véritablement nouvelles et cohérentes. Il serait dommage cependant que cette réflexion, en particulier dans sa dimension pédagogique, ne vienne pas enrichir, sinon renouveler les approches de la littérature dans les pays qui ont continué à l’enseigner. Comment se pose la question de l’enseignement de la littérature en langue étrangère ? Chaque système scolaire attribue au texte littéraire une place et une fonction et pré- conise une façon de le traiter. Quand il s’agit d’aborder des textes en langue étrangère en français en l’occurrence , leur traitement est souvent décalqué des pratiques et des traditions de la langue maternelle. Parfois cependant, il est inspiré par les traditions du système scolaire français et ses exercices rhétoriques, parfois, phagocyté par l’enseignement de la langue, il devient un réservoir linguistique, ou, absorbé par l’enseignement de la civi- lisation, il se transforme en base de données socio-culturelles source de débats organisés dans le cadre de la classe. C’est ainsi qu’une page de Flaubert devient le lieu d’observation de système des pronoms personnels en français ou que la nouvelle de Camus, Les Muets, tirée du recueil L’Exil et le royaume, sert à déclencher et à nourrir un débat sur la grève et le monde du travail. Toutes ces approches sont sans doute légitimes dans des systèmes donnés. Certaines sont figées, d’autres ont pris en compte les évolutions des sciences du texte ou de la mé- thodologie. Elles ne peuvent le faire de façon efficace, raisonnée et raisonnable, que s’il existe des lieux de formation pour les enseignants qui les mettent en pratique : séminaires, stages ou revues de vulgarisation. Elles exigent en effet que le professeur travaille au carrefour de trois voies : celle des 9 sciences du texte, celle des théories de l’enseignement et de l’apprentissage d’une langue, et celle, ouverte par la réflexion interculturelle. Les recherches sur le texte littéraire, qu’elles soient centrées sur l’auteur, le texte ou le lecteur, fournissent au professeur les outils d’interrogation et d’analyse du texte indispensa- bles, dans leur diversité, à tout travail pédagogique. Empruntons à Umberto Eco le raccourci fort utile de leur histoire : dans une première période, elles se sont intéressées aux intentions de l’auteur genèse du texte, histoire des idées, évolution des courants et des écoles ; dans une deuxième période, les années 50, aux intentions du texte stylistique, poétique, sémiotique, analyse de discours, sciences humaines... Enfin, dans les années 60, aux intentions du lecteur et au fonctionnement de la lecture des œuvres sous l’influence de « l’esthétique de la réception ».1) Aujourd’hui, il semble que l’éclectisme soit de rigueur : la critique génétique revient au premier plan et s’intéresse aux « avant-textes » et aux brouillons, sciences sociales et littéra- ture se rapprochent de nouveau. Ce qui s’est passé dans la critique littéraire, mais aussi dans la réflexion sur l’éducation interculturelle et sur l’apprentissage des langues sur les représentations, le statut de l’er- reur, la communication littéraire, la place de l’apprenant invite à reconsidérer la façon dont sont traités les textes littéraires dans la classe de langue. Les ouvrages parus dans les quinze dernières années proposent des démarches qui se veulent spécifiques de la lecture littéraire en langue étrangère. On y retrouve les principes inspirés par les recherches plus générales sur la lecture : prélecture, approche globale, études des invariants, lecture approfondie, « après » lecture.2) D’autres s’attachent à présenter des démarches pédagogiques diversifiées pour « orien- ter le lecteur dans la découverte du texte sans se substituer à lui » 3), mettant l’accent sur la communication littéraire ou sur le plaisir du texte et une découverte libre, puis guidée par des activités ludiques.4) La conviction que nous affirmons, avec la plupart de ces auteurs, c’est que le texte lit- téraire n’appartient pas seulement au cours de littérature. Il a sa place dans la classe de langue et peut être intégré dans l’apprentissage le plus tôt possible, à condition que soient privilégiées des démarches et des situations qui préservent l’intérêt et l’émotion de la lec- ture. Quels textes ? peut-on lire autre chose que L’Étranger de Camus ? La force d’imposition des programmes, dans un certain nombre de pays, dispense de se poser la question du choix des textes. 10 Soucieux de représenter un patrimoine historique et culturel, certains programmes ex- cluent cependant des textes qui heurtent les valeurs ou le consensus moral nationaux. Dif- ficile de lire en classe Poil de carotte de Jules Renard en Tunisie parce que le personnage de la mère n’est pas conforme à la tradition : on ne peut montrer une mauvaise mère. Dif- ficile de lire L’Écume des jours de Boris Vian au Canada parce qu’on y trouve des affirma- tions anticléricales. Si la liberté est donnée au professeur de choisir les textes, un principe devrait guider son choix : varier et élargir le corpus. Dans la chronologie d’abord, en partant peut-être du contemporain. En effet, les tex- tes contemporains mettent en jeu de façon très aiguë la notion d’intertextualité. Ils ren- voient à une « bibliothèque », à tous les textes qui ont précédé et que l’auteur rappelle, par citation, par allusion, par réécriture. Lire, par exemple, une nouvelle de Michel Tournier comme La Fugue du Petit Poucet 5) ne prend de sens que si le lecteur est capable de retrou- ver dans sa mémoire l’histoire du Petit Poucet que de nombreux enfants français ont en- tendu raconter dans la version traditionnelle de Charles Perrault. Pour comprendre com- ment Michel Tournier inverse, comme il le fait aussi dans d’autres textes, les valeurs du conte, il faut disposer de ces références « contre » lesquelles il écrit. Fil conducteur qu’il est intéressant de suivre à travers d’autres littératures pour en étudier les variations jusque dans une version africaine, Samba de la nuit, de Birago Diop par exemple 6). A travers cette interversion des rôles, positifs et négatifs, un lecteur étranger peut, en comparant les différentes versions, comprendre comment une culture revisite au fil de l’histoire les valeurs qui l’ont fondée. Dans la typologie également. Si l’on assigne à l’enseignement de la littérature un ob- jectif culturel, il est intéressant de découvrir « ce qui se lit » en France aujourd’hui, c’est-à- dire des textes qui n’appartiennent pas toujours à la littérature reconnue. Au nombre des genres considérés comme paralittéraires, deux genres sont particulièrement intéressants : les romans policiers et la littérature pour la jeunesse, nom sous lequel on regroupe tous les ouvrages, illustrés ou non, destinés à un public d’enfants ou d’adolescents en langue ma- ternelle. Le roman policier pour la vision qu’il donne de la langue et de l’univers moderne, la littérature pour la jeunesse parce qu’elle peut accompagner, dès les débuts, l’apprentis- sage d’une langue 7). Dans l’aire géographique enfin : la littérature écrite en français par des auteurs qui vi- vent hors de France offre des textes pour élargir le champ littéraire. C’est dans ce corpus que puise, par exemple, un professeur d’une université de New Delhi pour faire compren- dre à ses étudiants ce qu’est l’institution littéraire et comment, en Inde, elle fonctionne sur Pédagogie du texte littéraire 11 un modèle différent du modèle occidental 8) : « il y a coexistence de deux systèmes qui op- posent la tradition à la modernité et la pratique de la parole à la pratique de l’écriture. La tradition préconise l’imitation d’une littérature sacrée, tandis que la modernité, elle, re- court à un modèle étranger ». D’autres critères de choix jouent sur des comparaisons pos- sibles avec la culture maternelle et le fonctionnement social de la littérature : une histoire commune qui implique la référence à une situation coloniale ; un thème commun, le re- tour aux sources ; une correspondance entre deux systèmes en voie de rupture... Lire des textes littéraires, que ce soit dans sa propre culture ou dans une culture étrangère, nécessite un « savoir culturel minimum ». Le rapprochement de textes d’époques et d’horizons différents, écrits pour des publics différents, contribue à la constitution prog- ressive de ce savoir de référence. Quelles approches du texte littéraire ? Comme nous l’évoquions plus haut, de nombreux ouvrages présentent des approches des textes littéraires formalisées, très utiles pour l’enseignant de français.9) Choisissons donc un point de vue légèrement différent et partons de quelques questions transversales pour réfléchir à ce qui se passe lorsqu’on introduit un texte littéraire dans une classe d’étudiants qui maîtrisent peu la langue étrangère. Comment entrer dans le texte ? Comment organiser le premier contact avec le texte ? Si lire un texte littéraire, uploads/Litterature/ pedagogie-du-texte-litteraire.pdf

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