11/30/2019 Penser l’histoire de la science-fiction https://journals.openedition.
11/30/2019 Penser l’histoire de la science-fiction https://journals.openedition.org/resf/173 1/9 ReS Futurae Revue d’études sur la science-fiction 1 | 2012 : Ce que signifie étudier la science-fiction aujourd'hui Entretien Penser l’histoire de la science- fiction Entretien avec Gérard Klein SIMON BRÉAN ET GÉRARD KLEIN Résumé Dans cet entretien, Gérard Klein discute des conditions nécessaires au développement d’une critique universitaire de science-fiction. Il revient également sur la situation actuelle de la science- fiction en France. Entrées d’index Mots-clés : Klein (Gérard), légitimité, critique, théorie, histoire, anticipation Texte intégral ReSF : Une grande partie de votre travail, en tant qu’écrivain et en tant que critique, a été d’œuvrer afin que la science-fiction obtienne en France une reconnaissance esthétique et critique. Il semble que la situation de la littérature et du cinéma de SF s’est progressivement améliorée : diriez-vous que la science-fiction jouit actuellement d’une réelle légitimité ? Gérard Klein est un écrivain et essayiste français, qui a exercé les professions d’économiste et de prospectiviste, et qui dirige actuellement chez Robert Laffont la collection « Ailleurs et Demain », qu’il a fondée, ainsi que la collection « Science- fiction » du Livre de Poche. Gérard Klein : Il y a là deux questions très différentes. D’abord cette idée de légitimité me paraît bien difficile à cerner. De plus, il me semble que dans la littérature en général, cette notion s’est singulièrement estompée pendant les dix ou quinze dernières années. Il s’agit de savoir qui décerne ce brevet de légitimité : les critiques de la grande presse ? les universitaires ? les institutions ? Et qui obtient cette légitimité ? Si on reprend les 11/30/2019 Penser l’histoire de la science-fiction https://journals.openedition.org/resf/173 2/9 ReSF : N’y a-t-il pas une forme de validation culturelle de la science-fiction ? Elle n’est plus rejetée comme auparavant : dans la vie quotidienne, au cinéma et à la télévision, les images de la science-fiction imprègnent la société. Il n’est plus possible de refuser une place à la science- fiction, même si c’est pour la cantonner dans un domaine qui est réservé. cahiers du Monde, on constate que la quasi-totalité des auteurs et des œuvres qui y sont critiqués sont oubliés au bout d’un an. Ils ont été reconnus comme relevant de la littérature au sens large, mais cette légitimité a été aussi éphémère que les quinze minutes de gloire promises par Andy Warhol. La science-fiction relève-t-elle de cette légitimité ? Si l’on considère la très longue période, disons les cinquante ans dont j’ai eu l’expérience, j’aurais tendance à répondre non. Au début des années soixante-dix, Jacques Goimard et moi avons obtenu la création dans Le Monde d’une rubrique qui a été tenue par Goimard, par Michel Jeury, Emmanuel Jouanne, avant de disparaître puis éventuellement de renaître dernièrement sous la plume de Serge Lehman. Ce genre de rubrique est conquis de très haute lutte, se maintient difficilement et fournit une légitimité dans la ségrégation, en quelque sorte : égaux, mais différents. Le cas de Libération fut encore plus étrange. Bannies du « Cahier Livres », des œuvres en relevant furent parfois critiquées dans les rubriques « société » ou sous des prétextes invraisemblables, notamment par Jean Quatremer, spécialiste de l’Europe, et d’autres amateurs du domaine dont le nom m’échappe. Aujourd’hui, Frédérique Roussel détient le flambeau, avec compétence, mais toujours, sauf erreur, hors du secteur « critiques de livres ». Peut-être réussira-t-elle à faire bouger les lignes. À cet égard, je me demande depuis longtemps pourquoi une œuvre marquante de science-fiction ne peut pas être traitée comme une œuvre également marquante de la littérature dite « générale ». Les exceptions sont très rares. Le seul écrivain que je connaisse qui en ait profité sur le long terme est Ray Bradbury, pour d’assez mauvaises raisons : il s’est établi en marge de la science-fiction, dans la mesure où la science ne joue à peu près aucun rôle dans ses textes, et il s’en est trouvé du coup coopté parmi les écrivains recevables, sur lesquels il était possible d’écrire des articles de critique à peu près classiques. Une autre forme de légitimité est l’inscription dans les manuels scolaires des petites classes, jusqu’au collège. C’est un phénomène relativement nouveau, remontant à une trentaine d’années, qui a surtout porté sur des textes courts et visant à séduire des lecteurs parfois réticents à d’autres domaines. En ce qui me concerne, cela a toujours concerné le même texte, « Les villes », comme si les concepteurs de manuels scolaires prenaient leur inspiration toujours à la même source. À l’origine, ce texte est paru dans une anthologie : les enseignants ne font donc que reproduire depuis trente ans le même geste. Cette légitimité est en même temps une mise à l’écart. Gérard Klein : Non seulement la science-fiction demeure enfermée dans une sorte de réserve, mais les rédacteurs en chef de la grande presse l’ignorent très largement. De nos jours, ils affectent parfois de regretter leur ignorance, mais cela n’est qu’un léger progrès. Il n’en va de même que pour les sciences : « je n’y comprends rien », se défendent-ils. Par ailleurs, je rappelle que parler de « la science-fiction » n’a guère de sens. Comme pour toute espèce littéraire, il faut parler des œuvres. Or, il y a un abîme entre des romans médiocres et les œuvres d’un Michel Jeury, par exemple. Je ne reproche pas à la grande presse de ne pas s’intéresser aux textes les plus mineurs, mais de refuser de prendre en compte les œuvres majeures. Je ne parle pas de romans comme 1984 ou Le Meilleur des mondes, œuvres d’écrivains déjà très réputés, et qui par ailleurs n’avaient pas forcément été bien accueillies à leur sortie. La science-fiction existe comme phénomène social, mais chaque œuvre devrait être prise en compte pour ce qu’elle vaut. De plus, la reconnaissance dont vous parlez intervient au moment précis où le domaine est en train de disparaître. Il décline autant dans sa lecture que dans sa production, depuis quinze à vingt ans. Il suffit de consulter une collection de Locus : pendant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les recensions de récits de science-fiction composaient les trois-quarts de la partie critique de la revue, alors qu’actuellement, sur 11/30/2019 Penser l’histoire de la science-fiction https://journals.openedition.org/resf/173 3/9 ReSF : La science-fiction aurait-elle perdu son lectorat populaire, sans pour autant gagner une reconnaissance suffisante dans le champ littéraire ? ReSF : De fait, ce n’est plus uniquement en tant que littérature populaire que la science-fiction suscite ces derniers temps l’intérêt de l’université. Le projet de ReS Futurae est notamment de donner plus de visibilité aux recherches sur la science-fiction. En vous basant sur votre expérience de la critique interne du champ littéraire de la SF, qu’attendez-vous des chercheurs universitaires ? la cinquantaine de livres chroniqués, il n’y a qu’une poignée de bons ouvrages de science-fiction. La SF est remplacée, dans le secteur populaire, par la Fantasy et plus récemment par la paranormal romance, qu’on appelle bizarrement la « bit-lit » en France. Même si la Cité des sciences et la BNF montrent actuellement un intérêt pour la science-fiction, en organisant des expositions et une collecte d’archives, si des philosophes lui font une place dans des livres ou des colloques, cette ouverture se fait en direction d’un domaine en voie de disparition. Gérard Klein : La science-fiction n’a jamais été une littérature véritablement populaire, contrairement au policier, au western, à la littérature sentimentale. Pour prendre les exemples de Theodore Sturgeon et de Philip K. Dick, ou du reste de Michel Jeury, ces auteurs ont rarement mangé à leur faim. Si la science-fiction avait été une littérature populaire, ils auraient eu le succès de Mme Cartland, de Simenon ou de San- Antonio. La science-fiction a été rejetée dans le domaine populaire en raison de la conformation du système médiatique et des réseaux de vente et de distribution. Elle en a été éjectée récemment par des concurrents authentiquement populaires, comme l’heroic fantasy. Même si Tolkien et son Seigneur des anneaux ne relèvent pas de la littérature populaire, ce qu’on en a retenu, c’est-à-dire une anecdote assez plate, en fait clairement partie, comme les vampires d’Anne Rice et de Stephenie Meyer. Le public de la science-fiction a longtemps été un public de tous âges, qui se renouvelait en puisant dans le secteur des quinze-vingt ans. Ce renouvellement ne se produit plus, car la science-fiction paraît adressée en majorité à des lecteurs âgés. Il est possible que l’intérêt pour l’avenir et la technologie soit dérivé vers d’autres médias, jeux vidéo, cinéma ou télévision, alors même que la science-fiction s’y trouve réduite à l’état de décor. Cela est particulièrement net pour le public masculin qui a toujours constitué les neuf dixièmes du lectorat de science-fiction. Ce qui en soi pose problème : où sont les femmes ? Gérard Klein : Je ne connais pas forcément bien la critique universitaire, que j’ai découverte surtout alors que je faisais partie de la commission « revues » du CNL destinée à accorder des subventions. J’ai lu depuis quelques années la plupart des uploads/Litterature/ penser-l-x27-histoire-de-la-science-fiction.pdf
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- Publié le Apv 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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