L'imagination comme vêtement de l'âme chez Marsile Ficin et Giordano Bruno Auth
L'imagination comme vêtement de l'âme chez Marsile Ficin et Giordano Bruno Author(s): Robert Klein Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 61e Année, No. 1 (Janvier-Mars 1956), pp. 18- 39 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40899956 Accessed: 05-03-2021 02:22 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale This content downloaded from 163.178.101.95 on Fri, 05 Mar 2021 02:22:29 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms L'imagination comme vêtement de l'âme chez Marsile Ficin et Giordano Bruno i Imagination et connaissance. Une tradition tenace, issue d'Aristote et dominante jusqu'au x siècle, considérait l'imagination comme faculté de connaissance, ins entre la sensibilité et l'intellect 1. Elle faisait partie des « sens intérie groupe ou plutôt série de fonctions commençant avec le sens comm et aboutissant à la mémoire, si l'on suit l'ordre des transformations rieures des images, ou au jugement, si l'on suit l'ordre de l'abstract croissante. Il serait d'ailleurs plus exact, en beaucoup de cas, de dire l'imagination, identifiée avec la ratio au sens large, est le nom géné des sens intérieurs dans leur ensemble 2 ; et cela n'est pas sans just cation historique, car c'est à partir des différentes fonctions de la cpavxa d'Aristote qu'Avicenne obtint, en les séparant, la liste des sens intér 1. Une longue et célèbre démonstration d'Aristote, De anima, III, 3, passim, et (De memoria, 449 b et suiv. ; Rhet., 1370 b) établit contre Platon (cf. Philèbe, 38 b- Soph., 264 b ; Tim., 52 a) que l'imagination ne peut pas être réduite à une opinio d'une sensation ou liée à elle, mais qu'elle est un « mouvement » issu de la sensation, - c'est-à-dire, d'après Simplicius, une transition dynamique entre aisthésis et doxa. 2. L'histoire des sens intérieurs a été retracée par M. W. Bundy, The theory of ima- gination in classical and mediaeval thought, Illinois Univ. Press, 1927. - Pour l'exten- sion du sens d' imaginatio et son assimilation à ratio, voir, par exemple, la série des facultés connaissantes chez Boèce, Cons. Phil., V, 4 (prose) : sensus, phantasia, ima- ginatio, mens, - reprise par Ficin, Theol. Plat., XVI, 3 (Opera, Bale, 1576, p. 373), avec substitution de ratio à imaginatio. Le texte de Boèce est, comme l'a établi Olschki (Giordano Bruno, in : Deutsche Viertel jahrsschr. f. Lit. wiss. u. Geistesgesch., II, 1, p. 1-79 ; v. p. 12-13), la source de Bruno, Sigillus sigillorum (Opera latina, t. II, vol. 3 de l'éd. nat., p. 172 ; cf. Ars memoriae, ibid., II, 1, p. 91). Imaginatio signifie l'ensemble des sens intérieurs chez Bruno, Op. lat., II, 3, p. 122 et III, p. 180. - II serait long d'ex- 18 This content downloaded from 163.178.101.95 on Fri, 05 Mar 2021 02:22:29 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms U imagination chez Ficin et chez Bruno qui devait dominer toute la psychologie du moyen âge et de la Renais- sance *. Le groupe des facultés qui concernent l'image (qui la rendent indé- pendante de l'impression sensible et donc de la présence de l'objet, déter- minent la réaction spontanée ou réfléchie du sujet, distinguent ou re- connaissent les intentiones ou universaux post rem qui y sont contenues, et conservent enfin l'image, devenue ainsi elle-même presque un univer- sel), est donc essentiellement la fonction intermédiaire de la connais- sance, - comme l'image est l'intermédiaire entre l'objet et le concept. Mais il est en même temps, notamment chez les auteurs plus ou moins platonisants, un pendant de la raison et donc un aboutissement plutôt qu'une station de transit 2. La différence des deux conceptions répond, comme il est manifeste, à l'alternative sur la valeur, autonome ou non, de l'intuition. Ni Ficin, ni Bruno ne se sont rendu très clairement compte des impli- cations d'un choix sur ce point, et ils font assez tranquillement voisiner l'aristotélisme orthodoxe et la thèse de la phantasia-intuition. Ficin, par exemple, concilie sans peine sa croyance à une intuition intellectuelle avec sa conception de l'échelle des sens intérieurs, assez proche de celle d'Albert le Grand et, par là, de celle d'Avicenne, modèle avoué d'Albert 3 : Avicenne Albert le Grand Ficin sensus sensus sensus phantasia (comprenant sensus communis sensus communis) imaginatio imaginatio imaginatio vis imaginativa (juge- aestimatio (et sens comm.) ment) / vis aestimativa (juge- > phantasia (image + phantasia ment + réaction intentiones) spontanée) memoria memoria. memoria pliquer ici les différences entre phantasia auteurs tiennent à distinguer, mais selon des sont intervertis d'un auteur à l'autre, et pa même auteur. Thomas d'Aquin les considère 1. Hypothese de F. Rahman, Avicenna's Psy du 1. II, ch. 6 du Kitab al-Nadjât, Lond., 195 sous silence le rôle d'Al-Fârâbi, précurseu C'est peut-être l'imperfection des traductio la terminologie des occidentaux. 2. Cf. Albert le Grand, De anima, II, 4, 7 : Phantasia est... tota formalitas sensibilis virtutis. - Ailleurs, Albert associe l 'imagination à rinstinrt animal 3. J'emprunte à l'article de M. Heitzman, Uagostinismo avicennizzante di Marsilio Ficino (Giorn. crû., della filos, ital., XVI, N. S. III et XVII, N. S., IV), les parties du tableau qui concernent Ficin et Avicenne ; elles sont d'ailleurs sujettes à réserves. L'auteur a suivi pour Avicenne le Liber sextus de naturalibus de l'édition des Opera, 19 This content downloaded from 163.178.101.95 on Fri, 05 Mar 2021 02:22:29 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Robert Klein Bruno, de même, enumere souvent dans ses œuvres latines les facultés qui forment la transition de la sensation au concept, comprenant en bonne place imaginatio et pkantasia *. Il tient surtout, conformément à sa con- ception empiriste, à souligner que rien n'entre dans la mémoire, et a for- tiori dans l'intellect, sans avoir passé par les sens et par toute la série des facultés intérieures, forçant porte après porte par l'intensité de l'im- pression et par la vertu des émotions soulevées 2. Mais déjà cette mention de l'affectivité attire l'attention sur le lien, - établi, entre autres, par Ëpictète, - qui réunit l'imagination et la vitalité : phantasia étant, en quelque sorte, le porte-voix du corps dans le concert des facultés ; Top- position à la ratio y apparaît donc aussi forte que la subordination téléo- logique. Ailleurs, Bruno souligne la possibilité, pour l'imagination, de rectifier les représentations des réalités naturelles selon « ce qui devrait être » (Op. lat., II, 2, p. 211), - fonction de la cpavrasía mise en relief par les platoniciens de tous les temps 3 et manifestement incompatible avec le rôle de simple servante de la raison. On peut enfin mentionner, dans ses écrits lulliens, la place d3 V Imaginativum parmi les neuf « sujets » de l'art universel ; elle n'est pas loin de suggérer l'existence d'une âme imaginative à côté des âmes végétative, sensitive et rationnelle 4. Et même là où Bruno adopte la hiérarchie traditionnelle des facultés, il l'af- faiblit en soulignant, d'après Boèce, quelque chose comme leur identité profonde 5. Ven., 1520 ; ni l'extrait du Kitab al-Nadjât, éd. cit., p. 30-31 et 37, ni le Compendium de anima, trad. lat. par Andrea Alpago de Bellune, Venise, 1546, ne concordent avec ce texte. Quant à la liste dressée d'après Ficin, elle néglige forcément d'importantes fluctuations de vocabulaire, et l'interprétation a été sur quelques points attaquée par Kristeller. Malgré tout cela, il apparaît que le rapprochement établi par l'auteur entre Avicenne et Ficin ne devient valable que si on intercale Albert {De anima, II, 4, 7). 1. Voir les référ. données note 2, et, en outre, Op. lat., I, 4, p. 111 ; III, p. 141 (série de cinq termes empruntée apparemment à Bovillus, Liber de sensu), et, pour les sens intérieurs seulement, II, 1, p. 81 ; II, 2, 165-166 et 217-218. 2. Op. lat., II, 1, 81 et II, 2, 165-166. Il y a, dans ce dernier passage, outre un sou- venir de l'art mnémique de la Rhétorique à Herennius, II (XXII), une analogie signi- ficative avec le De Amore d'André le Chapelain (rééd. 1892, p. 6) : Non quaelibet cogi- tatio sufficit ad amoris originem, sed immoderata exigitur ; nam cogitatio moderata non solet ad mentem redire, et ideo ex ea non potest amor oriri. 3. On connaît, sur ce sujet, l'ouvrage classique de Fanoisky, îaea, Leipzig- tJeri m 1924. 4. La liste de Lulle comprend : Deus, angelus, caelum, homo, imaginativum, sensi- tivum, vegetativum, elementativum, instrumentale. Il est évident que homo répond ici surtout à rationale, comme inversement sensitivum et vegetativum à animal et plante. Lulle, et Bruno après lui, comprennent d'ailleurs sous imaginativum les animaux supé- rieurs : on aurait donc un quatrième règne correspondant à la uploads/Litterature/ robert-klein-l-x27-imagination-comme-ve-tement-de-l-x27-a-me-chez-marsile-ficin-et-giordano-bruno.pdf
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- Publié le Mar 12, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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