DU MÊME AUTEUR Aux Éditions Gallimard LES ANTIGONES, Bibliothèque des Idées, 19
DU MÊME AUTEUR Aux Éditions Gallimard LES ANTIGONES, Bibliothèque des Idées, 1986 ; Folio Essais n° 182. DANS LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE. Notes pour une redéfinition de la culture (LA CUL TURE CONTRE L ’HOMME, Éditions du Seuil, 1973), Folio Essais n° 42, 1986. RÉELLES PRÉSENCES. Les arts du sens, NRF Essais, 1991 ; Folio Essais n° 255. ANNO DOMINI (Éditions du Seuil, 1966), Folio n° 2344, 1992. ÉPREUVES, Arcades, 1993. LA MORT DE LA TRAGÉDIE (Éditions du Seuil, 1965), Folio Essais n° 224, 1993. PASSIONS IMPUNIES, NRF Essais, 1997 ; Folio Essais n° 385. ERRATA. Récit d’une pensée, Du monde entier, 1998 ; Folio n° 3430. GRAMMAIRES DE LA CRÉATION, NRF Essais, 2001 ; Folio Essais n° 505. MAÎTRES ET DISCIPLES, NRF Essais, 2003 ; Folio Essais n° 477. LES LIVRES QUE JE N’AI PAS ÉCRITS, Hors série Littérature, 2008. LECTURES. Chroniques du New Y orker, Arcades, 2010. George Steiner Poésie de la pensée Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat nrf Gallimard Steiner, George (1929-) Littérature : poésie ; critique littéraire. Antiquité. Allemagne. Titre original THE POETRY OF THOUGHT From Hellenism to Celan © George Steiner., 2011. © Editions Gallimard, 2011, pour la traduction française. Pour Durs Grünbein Poète & cartésien Toute pensée commence par un poème. ALAIN « Commentaire sur “La Jeune Parque” », 1953 Il y a toujours dans la philosophie une prose littéraire cachée, une ambiguïté des termes. SARTRE Situations IX, 1965 Gegenüber den Dichtern stehen die Philosophen unglaublich gut angezogen da. Dabei sind sie nackt, ganz erbärmlich nackt, wenn man bedenkt, mit welch dürftiger Bildsprache, sie die meiste Zeit auskommen müssen. 1 DURS GRÜNBEIN Das erste Jahr, 2001 Lucrèce et Sénèque sont des « modèles d’investigation philosophico-littéraires, où la langue littéraire et des structures dialogiques complexes engagent l’âme entière de l’interlocuteur (et du lecteur) comme ne saurait le faire un traité dans une prose abstraite et impersonnelle. […] La forme est un élément crucial du contenu philosophique de l’œuvre. En vérité, comme avec Médée, le contenu de la forme s’avère si puissant qu’il remet en question l’enseignement prétendument plus simple qu’elle contient ». MARTHA NUSSBAUM The Therapy of Desire, 1994 1 « En comparaison des poètes, les philosophes sont incroyablement bien habillés. Mais ils sont nus, pathétiquement nus, quand on songe à la pauvreté des images dont ils doivent se contenter la plupart du temps. » (Toutes les notes sont du traducteur.) Préface Tous les actes philosophiques, chaque effort pour penser la pensée, à l’exception possible de la logique formelle (mathématique) et symbolique, sont irrémédiablement linguistiques. Ils supposent, au point d’en être les otages, quelque mouvement du discours, un codage au moyen des mots et de la grammaire. Orale ou écrite, la proposition philosophique, la formulation et la communication de l’argument sont sujettes à la dynamique et aux limites exécutives du parler humain. Il se peut qu’au sein de toute philosophie, très certainement de toute théologie, se tapisse un désir opaque mais insistant — le conatus de Spinoza — de se soustraire à cette servitude et à ce qu’elle autorise. En modulant la langue naturelle dans les exactitudes tautologiques, les transparences et les vérifiabilités des mathématiques (ce rêve froid et ardent hante Spinoza, Husserl, Wittgenstein) ou, de manière plus énigmatique, en renouant avec les intuitions antérieures à la langue elle-même. Nous ne savons pas qu’il en existe, qu’il puisse y avoir pensée avant le dire. Dans les arts, en musique, nous appréhendons de multiples forces de signification, de figurations du sens. L ’inépuisable signification de la musique, qui défie la traduction ou la paraphrase, imprime sa marque sur des scénarios philosophiques chez Socrate, chez Nietzsche. Mais invoquons-nous le « sens » des représentations esthétiques ou des formes musicales que nous ne faisons que métaphoriser, procéder par analogies plus ou moins masquées. Nous les enfermons dans les contours d’un discours dominant. D’où le trope récurrent, si pressant chez Plotin, dans le Tractatus, que le cœur du message philosophique niche dans ce qui n’est pas dit, dans ce qui reste tacite entre les lignes. Ce qui peut s’énoncer, ce qui présume que le langage est plus ou moins consonant avec des intuitions et démonstrations véritables, peut en fait révéler la décomposition de reconnaissances primordiales, épiphaniques. Cela peut renvoyer à l’idée que, dans une condition antérieure, « présocratique », le langage était plus proche des sources de l’immédiateté, d’une « lumière de l’Être » que rien ne voilait (cf. Heidegger). Mais rien ne prouve qu’un tel privilège adamique ait jamais existé. Inévitablement, 1’« animal doué de langage », ainsi que les Grecs anciens définissaient l’homme, habite les immensités bornées du mot, des instruments grammaticaux. Le Logos assimile le mot à la raison dans ses fondements mêmes. La pensée pourrait bien être exilée. Mais si tel est le cas, nous n’en savons rien ou, plus précisément, nous ne saurions dire de quoi elle l’est. Il s’ensuit que philosophie et littérature occupent le même espace génératif, même s’il est en définitive circonscrit. Leurs moyens performatifs sont identiques : l’alignement des mots, les modes de la syntaxe, la ponctuation (ressource subtile). C’est aussi vrai des comptines que d’une Critique de Kant, d’un roman de gare que du Phédon. Ce sont des actes de langage. L ’idée, chère à Nietzsche ou à V aléry, que la pensée abstraite puisse se danser est affectation allégorique. Tout est dans la formulation, l’énonciation intelligible. Toutes deux sollicitent la traduction, la paraphrase, la métaphrase et chaque technique de transmission ou de trahison… ou y résistent. Les praticiens l’ont toujours su. Dans toute philosophie, concédait Sartre, il y a « une prose littéraire cachée ». La pensée philosophique ne peut se réaliser que « métaphoriquement », enseignait Althusser. À maintes reprises — mais avec quel sérieux ? — Wittgenstein professa qu’il aurait dû énoncer ses Investigations en vers. Jean-Luc Nancy cite les difficultés vitales que philosophie et poésie s’occasionnent l’une à l’autre : « Ensemble, elles sont la difficulté même : de faire sens. » Formule qui indique le point essentiel, la création du sens et la poétique de la raison. Ce qu’on a moins élucidé, c’est la pression formatrice incessante des formes du discours, du style, sur les programmes philosophiques et métaphysiques. À quels égards une proposition philosophique, même dans la nudité de la logique de Frege, est-elle une rhétorique ? Peut-on dissocier un système cognitif ou épistémologique de ses conventions stylistiques, des genres d’expression qui prévalent ou sont contestés à l’époque ou dans le milieu qui sont les siens ? Dans quelle mesure les métaphysiques de Descartes, Spinoza ou Leibniz sont-elles conditionnées par les complexes idéaux sociaux et instrumentaux du latin tardif, par les éléments constituants et l’autorité sous-jacente d’une latinité partiellement artificielle au sein de l’Europe moderne ? En d’autres points, le philosophe entreprend d’assembler une langue nouvelle, un idiolecte propre à son dessein. Mais cette démarche, patente chez Nietzsche ou Heidegger, est elle-même saturée par le contexte oratoire, familier ou esthétique (témoin, 1’« expressionnisme » dans Zarathoustra). Derrida est inconcevable hors du jeu de mots initié par le Surréalisme et Dada, à l’abri des acrobaties de l’écriture automatique. Qu’y a-t-il de plus proche de la déconstruction que Finnegans Wake ou le constat lapidaire de Gertrude Stein, que there is no there there, « là il n’y a pas de là » ? De manière inévitablement partielle et provisoire, ce sont certains aspects de cette « stylisation » dans certains textes philosophiques, de l’engendrement de ces textes via des outils et des modes littéraires, que j’entends considérer ici. Je voudrais noter les interactions, les rivalités entre poète, romancier, dramaturge, d’un côté, le penseur déclaré de l’autre. « À la fois être Spinoza et Stendhal » (Sartre). Platon a rendu iconique les intimités et la méfiance réciproque, renées dans le dialogue de Heidegger avec Hölderlin. Au cœur de cet essai, niche une conjecture que je peine à verbaliser. L ’association étroite de la musique et de la poésie est un lieu commun. Elles partagent les catégories séminales du rythme, du phrasé, de la cadence, de la sonorité, de l’intonation et de la mesure. « La musique de la poésie » est exactement cela. Mettre des mots en musique ou de la musique en mots est un exercice sur des matières premières partagées. Y aurait-il, en un sens apparenté, une « poésie, une musique de la pensée » plus profonde que celle qui s’attaque aux usages extérieurs de la langue, au style ? Nous avons tendance à utiliser le mot et le concept de « pensée » en faisant montre d’une dispersion et d’une largesse inconsidérées. Nous attachons le « penser » à une multiplicité grouillante qui va du subconscient, du torrent chaotique des épaves intériorisées, jusque dans le rêve, à la plus rigoureuse des démarches analytiques, qui embrasse le babil ininterrompu du quotidien et la méditation concentrée d’Aristote sur l’esprit ou de Hegel sur le soi. Dans le parler courant, « penser » est démocratisé. Universalisé, sans nul besoin d’autorisation. Mais c’est là confondre radicalement des phénomènes distincts, voire antagonistes. Pour peu qu’on en donne uploads/Litterature/ poesie-de-la-pensee.pdf
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- Publié le Jui 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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