• • PAUL ELUARD Poésie InInterrompue GALLIMARD Tous droits de traduction, de re

• • PAUL ELUARD Poésie InInterrompue GALLIMARD Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y com pris l'U.R.S.S. © Editions Gallimard, 1946 et 1953. La résistance s'organise sur tous les fronts purs. Tristan Tzara, L'Antitlte, 1933. Poésie ininterrompue Je dédie ces pages à ceux qui les liront mal et à ceux qui ne les aimeront pas. Nue effacée ensommeillée Choisie sublime solitaire Profonde oblique matinale Fraîche nacrée ébouriffée Ravivée première régnante Coquette vive passionnée Orangée rose bleuissante Jolie mignonne délurée Naturelle couchée debout Étreinte ouverte rassemblée Rayonnante désaccordée Gueuse rieuse ensorceleuse Étincelante ressemblante Sourde secrète souterraine Aveugle rude désastreuse 9 10 Boisée herbeuse ensanglantée Sauvage obscure balbutiante Ensoleillée illuminée Fleurie confuse caressante Instruite discrète ingénieuse Fidèle f acile étoilée Charnue opaque palpitante Inaltérable contractée Pavée construite vitrifiée Globale haute populaire Barrée gardée contradictoire Égale lourde métallique Impitoyable impardonnable Surprise dénouée rompue Noire humiliée éclaboussée Sommes-nous deux ou suis-je solitaire Comme une femme solitaire Q ui dessine pour parler Dans le désert Et pour voir devant elle L'année pourrait être heureuse Un été en barres Et l'hiver la neige est un lit bien fait Q uant au printemps on s'en détache Avec des ailes bien formées Revenue de la mort revenue de la vie Je passe de juin à décembre Par un miroir indifférent Tout au creux de la vue Comme une femme solitaire Resterai-je ici bas Aurai-je un jour réponse à tout Et réponse à personne Le poids des murs ferme toutes les portes Le poids des arbres épaissit la forêt Va sur la pluie vers le ciel vertical Rouge et semblable au sang qui noircira Le soleil naît sur la tranche d'un f uit La lune naît au sommet de mes seins Le soleil f uit sur la rosée La lune se limite La vérité c'est que j'aimais Et la vérité c'est que j'aime De jour en jour l'amour me prend première Pas de regrets j'ignore tout d'hier Je ne ferai pas de progrès Sur une autre bouche Le temps me prendrait première II 12 Et l'amour n'a pas le temps Qui dessine dans le sable Sous la langue des grands vents Je parle en l'air A demi-mot Je me comprends L'aube et la bouche où rit l'azur des nuits Pour un petit sourire tendre Mon enfant frais de ce matin Q ue personne ne regarde Mon miroir est détaché De la grappe des miroirs Une maille détachée L'amour juste le reprend Rien ne peut déranger l'ordre de la lumière Où je ne suis que moi-même Et ce que j'aime Et sur la table Ce pot plein d'eau et le pain du repos Au fil des mains drapées d'eau claire Au fil du pain fait pour la main friande De l'eau fraîche et du pain chaud Sur les deux versants du jour Aujourd'hui lumière uIÙque Aujourd'hui l'enf ance entière Changeant la vie en lumière Sans passé sans lendemain Aujourd'hui rêve de nuit Au grand jour tout se délivre Aujourd'hui je suis toujours Je serai la première et la seule sans cesse Il n'y a pas de drame il n'y a que mes yeux Qu'un songe tient ouverts Ma chair est ma vertu Elle multiplie mon image Je suis ma mère et mon enfant En chaque point de l'éternel Mon teint devient plus clair mon teint devient plus [sombre Je suis mon rayon de soleil Et je suis mon bonheur nocturne Tous les mots sont d'accord La boue est caressante Q uand la terre dégèle Le ciel est souterrain Q uand il montre la mort Le soir est matinal Après un jour de peine Mais l'homme L'homme aux lentes barbaries L'homme comme un marais L'homme à l'instinct brouillé A la chair en exil L'homme aux clartés de serre Aux yeux fermés l'homme aux éclairs L'homme mortel et divisé Au front saignant d'espoir L'homme en butte au passé Et qui toujours regrette Isolé quotidien Dénué responsable Savoir vieillir savoir passer le temps Savoir régner savoir durer savoir revivre Il rejeta ses draps il éclaira la chambre Il ouvrit les miroirs légers de sa jeunesse Et les longues allées qui l'avaient reconduit :I;:tre un enfant être une plume à sa naissance. :I;:tre la source invariable et transparente Toujours être au cœur blanc une goutte de sang Une goutte de feu toujours renouvelée Mordre un rire innocent mordre à même la vie Rien n'a changé candeur rien n'a changé désir L'hiver j'ai mon soleil il fait fleurir ma neige Et l'été qui sent bon a toutes les faiblesses L'on m'aimera car j'aime par-dessus tout ordre Et je suis prêt à tout pour l'avenir de tous Et je ne connais rien de rien à l'avenir Mais j'aime pour aimer et je mourrai d'amour Il se mit à genoux pour un premier baiser La nuit était pareille à la nuit d'autrefois Et ce fut le départ et la fin du passé La conscience amère qu'il avait vécu Alors il réveilla les ombres endormies La cendre grise et f roide d'un murmure tu La cendre de l'aveugle et la stérilité Le jour sans espérance et la nuit sans sommeil L'égale pauvreté d'une vie limitée Tous les mots se reflètent' Et les larmes aussi Dans la force perdue Dans la force rêvée Hier c'est la jeunesse hier c'est la promesse Pour qu'un seul baiser la retienne Pour que l'entoure le plaisir Comme un été blanc bleu et blanc Pour qu'il lui soit règle d'or pur Pour que sa gorge bouge douce Sous la chaleur tirant la chair Vers une caresse infinie Pour qu'elle soit comme une plaine Nue et visible de partout Pour qu'elle soit comme une pluie Miraculeuse sans nuage Comme une pluie entre deux feux Comme une larme entre deux rires Pour qu'elle soit neige bénie Sous l'aile tiède d'un oiseau Lorsque le sang coule plus vite Dans les veines du vent nouveau Pour que ses paupières ouvertes Approf ondissent la lumière Parf um total à son image Pour que sa bouche et le silence Intelligibles se comprennent Pour que ses mains posent leur paume Sur chaque tête qui s'éveille Pour que les lignes de ses mains Se continuent dans d'autres mains Distances à passer le temps'· Je f ortifierai mon délire De l'océan à la source De la montagne à la plaine Court le fantôme de la vie L'ombre sordide de la mort Mais entre nous Une aube naît de chair ardente Et bien précise Q ui remet la terre en état Nous avançons d'un pas tranquille Et la nature nous salue Le jour incarne nos couleurs Le feu nos yeux et la mer notre union Et tous les vivants nous ressemblent Tous les vivants que nous aimons Les autres sont imaginaires Faux et cernés de leur néant Mais il nous faut lutter contre eux Ils vivent à coups de poignard Ils parlent comme un meuble craque Leurs lèvres tremblent de plaisir A l'écho de cloches de plomb A la mutité d'un or noir Un cœur seul pas de cœur Un seul cœur tous les cœurs Et les corps chaque étoile Dans un ciel plein d'étoiles Dans la carrière en mouvement De la lumière et des regards Notre poids brillant sur terre Patine de la volupté A chanter des plages humaines Pour toi la vivante que j'aime Et pour tous ceux que nous aimons Q ui n'ont envie que de s'aimer Je finirai bien par barrer la route Au flot des rêves imposés Je finirai bien par me retrouver Nous prendrons possession du monde o rire végétal ouvrant une clairière De gorges chantonnant interminablement Mains où le sang s'est effacé Où l'innocence est volontaire Gaieté gagnée tendresse du bois mort Chaleurs d'hiver pulpes séchées Fraîcheurs d'été sortant des fleurs nouvelles Constant amour multiplié tout nu Rien à haïr et rien à pardonner Aucun destin n'illustre notre f ront Dans l'orage notre faiblesse Est l'aiguille la plus sensible Et la raison de l'orage Image ô contact parfait L'espace est notre milieu Et le temps notre horizon Q uelques cailloux sur un sentier battu De l'herbe comme un souvenir vague Le ciel couvert et la nuit en avance Q uelques vitrines étrennant leurs lampes Des trous la porte et la fenêtre ouvertes Sur des gens qui sont enfermés Un petit bar vendu et revendu Apothéose de chiffres Et de soucis et de mains sales Un désastre profond Où tout est mesuré même la tristesse Même la dérision Même la honte La plainte est inutile Le rire est imbécile Le désert des taches grandit Mieux que sur un suaire Les yeux ont disparu les oiseaux volent bas On n'entend plus le bruit des pas Le silence est comme une boue Pour les projets sans lendemain Et soudain un enfant crie Dans la cage de son ennui Un enf ant remue des cendres Et rien de vivant ne bouge Je rends compte du réel Je prends garde à mes paroles Je ne veux pas me tromper Je veux savoir d'où je pars Pour conserver tant d'espoir Mes origines sont les larmes Et uploads/Litterature/ poesie-ininterrompue-by-paul-eluard.pdf

  • 23
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager