Francis Ponge, Le Parti pris des choses, Le Cageot LECTURE LINEAIRE Introductio

Francis Ponge, Le Parti pris des choses, Le Cageot LECTURE LINEAIRE Introduction : Au début des années 30, Francis Ponge travaille aux Messageries Hachette, à Paris. C'est en traversant, comme chaque matin, le quartier des Halles (c'est là que se trouvaient à l'époque le marché et les commerces de gros), que lui vient un jour l'idée de consacrer un poème au cageot. Objet banal, insignifiant, méprisé, ce dernier mérite, aux yeux de Ponge, d'être redécouvert et réhabilité. Publié pour la 1ère fois en janvier 1935 dans le numéro 1 de la revue intitulée Mesures, « Le Cageot » peut être considéré comme l'un des textes majeurs du Parti pris des choses. Dans ce poème en prose, composé de 3 courts paragraphes, le poète présente l'objet en partant du mot qui le désigne. Il en propose une définition puis s'intéresse à son destin et à la relation qu'il entretient avec l'homme. L'approche de Ponge peut, à première vue, paraître impersonnelle. C'est en réalité avec humour et tendresse que le poète se penche sur l'existence du cageot. Sans intervenir directement dans son texte (le pronom « je » en est absent), Ponge s'attache à rendre cet objet sympathique. STRUCTURE DU POEME : Le poème est d'une grande unité. Les 3 paragraphes qui le composent sont exclusivement consacrés au cageot. Mais cette unité n'est pas seulement thématique. Le fait que ces trois parties soient de longueur quasiment équivalentes confère à cette évocation du cageot une unité formelle évidente. Celle-ci est d'ailleurs renforcée par la présence systématique de la lettre A au début de chaque paragraphe : « A mi-chemin... ; Agencé.... ; A tous les coins ». Cette reprise anaphorique de la lettre A suggère une volonté de revenir, au début de chaque paragraphe, au même point de départ, à la même observation de (re)découverte de l'objet. La formulation adoptée par le poète est également un facteur d'unité. Faisant abstraction du point de vue de l'homme pour ne s'intéresser qu'à l'objet, Ponge n'emploie jamais le pronom « je » et parle constamment du cageot à la 3è personne. Cette formulation volontairement impersonnelle renforce la cohésion du texte. Elle nous rappelle aussi le titre du recueil « le parti pris des choses », volonté d'objectivité du poète. 1er paragraphe : la place du mot dans la langue française 2è paragraphe : une existence éphémère mais utile 3è paragraphe : un objet banal et ignoré On peut voir dans la disposition graphique de ce poème en 3 paragraphes, comme le dessin de l'objet sur la page, fait de planches parallèles, à claire-voie ; cette forme serait alors un rappel des Calligrammes. 1er paragraphe : - Ponge s'intéresse à la place du mot dans la langue française et débute par une définition du mot. Il définit ensuite ce mot comme pourrait le faire un dictionnaire : un cageot est « une simple caissette à claire-voie ». Il désigne enfin sa fonction qui est de transporter des denrées périssables. Dans ce 1er paragraphe, Ponge semble donc faire table rase de tout savoir antérieur pour en revenir aux données les plus élémentaires. Il procède comme s'il voyait l'objet pour la 1ere fois et nous invite à le re-découvrir. - Le poète ne cherche pas à nier la banalité de l'objet. A plusieurs reprises, il en souligne, au contraire, la simplicité et la modestie : dès les premières lignes du texte, il précise que le cageot n'est qu'une « simple caissette ». On peut le « briser sans effort ». C'est un objet utile et fonctionnel. C'est ce que connotent les termes « transport » et « usage » ou les verbes « vouer » et « servir ». - Le poète fait allusion aux aliments périssables qu'enferme le cageot. Il souligne la fragilité des fruits (« une maladie », « la moindre suffocation ») - Ponge s'intéresse autant au mot qui désigne l'objet qu'à l'objet lui-même. Dans la 1ère phrase du texte, il fait référence explicitement à la place du mot dans le dictionnaire « entre cage et cachot ». Ces références soulignent le fait que les denrées qu'il contient sont emprisonnées et privées de lumière. Avec humour, Ponge joue librement avec la langue. Il laisse entendre que « cageot » serait un mot composé de « cage » et du dernier son de « cachot » (cage + ot = cageot). C'est un mot- valise, deuxième strate du jeu de mot puisque la valise sert à transporter des objets, comme le cageot. 2è paragraphe : - Le Poète insiste maintenant sur le caractère éphémère de l'existence du cageot. Il précise d'abord que cet objet, conçu pour être « brisé sans effort », ne sert pas deux fois. Il en déduit comme une évidence que la vie du cageot est plus brève que celle des denrées qu'il enferme. – Le cageot a une existence fragile et éphémère : il « ne sert pas deux fois » ; « il dure » « moins encore que ». – Cependant, le cageot est tout le contraire d'un objet méprisable. Le poète ne parle pas de « denrées périssables » comme on le fait habituellement de façon dépréciative, mais de « denrées fondantes ou nuageuses », expression mélioratives, comme si le cageot devenait un écrin (cf L'Huître). L'objet est valorisé pour les services qu'il rend. – Cette valorisation indique que Ponge nous invite à la redécouverte d'un objet faussement ordinaire : sous des apparences banales et médiocres, il enferme une réalité à la fois simple et précieuse. Bilan : - le 1er et le 2è § sont de longueur rigoureusement identique. Tous deux s'achèvent sur ½ ligne, ménageant ainsi deux espaces blancs au cœur du texte. 3è paragraphe : - Le 3è § est sensiblement plus long que les deux premiers. Il s'achève sur une ligne qui occupe pratiquement toute la largeur du poème. Si les 2 premiers § font songer à la partie supérieure du cageot, le dernier § rappelle la planchette, de taille supérieure, qui se trouve à sa base. Ponge veut adapter la structure de son poème à la forme et aux caractéristiques de l'objet - Dans cette dernière partie du texte, Ponge change à nouveau de perspective et situe l'objet dans l'espace de la ville : le cageot est présent « à tous les coins de rues qui aboutissent aux halles ». Faisant allusion à la façon dont ce dernier est mis au rebut (il est « à la voirie jeté sans retour »), le poète en revient au destin de ce malheureux objet. - L'allusion au quartier des Halles est significative : elle ouvre l'évocation de l'objet sur le monde du travail et de la vie quotidienne. Objet simple et utilitaire pour des gens dont le travail est simple et utilitaire (rappel de la poésie de la modernité avec ses allusions au monde du travail ; cf dans Zone d'Apollinaire, les belles sténodactylographes par ex.). - Le fait d'associer dans la même phrase, des termes qui connotent la nouveauté et des termes qui évoquent la destruction et la mise au rebut, suggèrent la brièveté de l'objet : « tout neuf encore » ; « jeté à la voirie sans retour ». - l'emploi du verbe « jeter » et l'allusion aux cageots vides que l'on entasse sur les trottoirs rappellent que cet objet est irrémédiablement voué à la destruction. - Sans jamais employer le pronom « je », Ponge exprime la tendresse et la sympathie que lui inspire le cageot. Il le fait en le personnifiant. L'objet « se voue » au transport des fruits (1er§), il est « sans vanité », « légèrement ahuri ». Le poète dévoile même dans une hyperbole ses sentiments : le cageot est « des plus sympathiques ». Un tel adjectif n'est pas choisi au hasard. Etymologiquement, ce terme est composé des mots grecs « sun » et « pathos » qui signifient respectivement « avec » et « souffrance » : à l'origine, la « sympathie » est le fait de partager la souffrance de quelqu'un. Emu par le sort que l'on fait au cageot, Ponge se veut solidaire de l'objet. Prendre son parti, c'est d'abord tenter d'exprimer la tendresse et la compassion qu'il inspire. -Le texte s'achève sur un jeu de mots significatif qui nous invite à tirer une leçon de cette évocation, une sorte de pirouette destinée à faire disparaître l'objet (« ne pas s'appesantir longuement »). Le verbe est à comprendre de deux façons : dans son sens figuré, il suggère que le texte doit rester aussi léger que l'objet qu'il décrit. On ne peut parler du cageot avec emphase : un tel sujet implique au contraire la concision, la simplicité, la banalité. Mais ce verbe signifie aussi « rendre plus pesant » et laisse entendre que le cageot est un objet fragile. Ponge demande donc au lecteur de le respecter et de mieux le considérer. - Pour rappeler le début du poème où Ponge cherche la place du mot « cageot » dans le dictionnaire, uploads/Litterature/ ponge-le-cageot-lecture-lineaire.pdf

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