- 1 - Chers Amis, Voici, pour bien commencer l’année, deux œuvres de fiction qu

- 1 - Chers Amis, Voici, pour bien commencer l’année, deux œuvres de fiction qui nous viennent, l’une de Russie, l’autre d’Estonie. Elles ont en commun l’héroïne qu’elles mettent en scène : Jeanne d’Arc. Jeanne la Pucelle et don Juan est une nouvelle d’un des grands écrivains estoniens, Karl Ristikivi (1912-1977), que nous a aimablement procurée notre correspondante de Tallinn, Marika Põldma, et dont l’existence nous avait été signalée par notre ami Pavel Krylov. Cette nouvelle est suivie du roman La Licorne et la reine de mai, dont l’auteur est ce même Pavel Krylov, qui fut, lors de la création de notre Centre de Saint-Pétersbourg, l’adjoint de Tatiana Taïmanova pour les études qui concernaient Jeanne d’Arc. La première œuvre est, dès son titre, surprenante. Publiée dans Sigtuna Väravad1, elle place côte à côte deux personnages séparés par l’espace et le temps ; elle fait dialoguer Jeanne qui est d’abord une figure historique, même si elle est environnée de légendes, et don Juan qui est surtout, même s’il a réellement vécu, devenu un mythe de la littérature et de l’art européens ; elle confronte celle qui est pour la plupart d’entre nous une image de pureté et de fidélité, une sainte et une martyre , et celui dont toute la vie est, suivant ses interprètes, une suite d’actes de débauche, d’infidélités, de libertinage ou parfois de provocations athées. Il ne peut donc s’agir d’une comparaison ou alors c’est mettre en miroir des contraires. On verra pourtant qu’en certains passages la Jeanne telle que la voient Karl Ristikivi et don Juan n’est pas si loin de celle que rencontre Ralph Butler, un des héros de Pavel Krylov. Pavel Krylov, aujourd’hui pasteur de l’Église luthérienne d’Ingrie (sur laquelle il a écrit un petit livre dont nous avons parlé dans le précédent numéro du Porche), est historien de formation. Ancien élève de notre président d’honneur Vladimir Raïtsess, il a étudié et enseigné l’histoire du Moyen-Âge européen. Il s’est aussi intéressé à la Bohême médiévale, ce dont témoigne un des chapitres de son récit. Jeanne d’Arc, dont il a été et reste un grand 1 Les Portes de Sigtuna, Suède, Lund, Eesti Kirjanike Kooperatiiv, 1968. Le recueil a été réédité à Tallinn chez Varrak en 2004. [N.d.l.R.] - 2 - admirateur, a inspiré nombre de ses études et articles, depuis son mémoire de DEA (1994), dirigé par Alain Boureau : Jeanne d’Arc dans l’imaginaire de ses contemporains. Dans l’œuvre que nous proposons ici, il s’est audacieusement lancé dans le roman, dont il dit que c’est un moyen de regarder l’histoire à distance et avec d’autres yeux, et donc d’en proposer certaines interprétations originales. Il m’écrit : « J’aperçois beaucoup de blancs dans l’histoire de Jeanne et il n’est pas interdit d’y intervenir avec son imagination. Beaucoup d’acteurs restent muets, tandis que d’autres, comme Gilles de Rais ou Jean de Metz, se retrouvent dans tous les textes. J’ai voulu donner la parole à ceux qui ne l’avaient pas. Quant à la morale, chacun de mes personnages a sa vérité. Qui a raison ? Charles d’Orléans, quand il parle de guerre et de paix ? Pierre Cauchon quand il parle des gens de bonnes mœurs ? » L’auteur n’a en tout cas introduit dans son roman, sauf oubli de ma part, qu’un seul personnage non historique. À tous les autres il prête des conduites et des pensées qui étonneront sans doute mais auxquelles il a voulu conserver quelque vraisemblance. Nous avons eu beaucoup de plaisir à traduire ces deux œuvres. Nous y avons été aidé, en cas d’incertitudes, pour le roman russe, par l’auteur lui-même et, pour la nouvelle estonienne, par Marika Põldma. Nous avons pris la liberté d’abord de donner une traduction pseudo-médiévale des poèmes composés par Pavel Krylov et qu’il place dans la bouche de quelques-uns de ses personnages (et même de Jeanne, la mulier illiterata !) ; ensuite de laisser dans leur version latine, à l’intérieur du récit, certaines citations, dont nous avons donné en appendice la traduction. Nous avons enfin ajouté un index : si tout le monde sait où est Domremy et qui est Pierre Cauchon, on peut légitimement hésiter sur l’identité des acteurs anglais ou tchèques de cette histoire. Ce que nous pouvons ajouter, c’est que l’établissement même de cet index nous a beaucoup appris et a considérablement amélioré nos connaissances en histoire médiévale. La suite du Porche, plus universitaire, sort de l’oubli quelques textes johanniques dans le droit fil de notre Jeanne d’Arc. La Voix poètes, apporte des précisions sur la formation de Péguy et fait - 3 - découvrir à nos lecteurs un cycle de chansons inspiré pour partie par Péguy et très rarement interprété ainsi que la dernière biographie en date de Péguy. De Charles Péguy enfin à mère Marie Skobtsoff, il n’y a pas si loin : Tatiana Victoroff, notre chargée de relations avec la Russie, nous le démontrera en brossant un saisissant portrait de mère Marie, « sainte de l’inquiétude ». Bonne lecture à tous ! Yves Avril  - 4 - 1964-2014 Le Centre Charles-Péguy a cinquante ans Le 5 septembre 1964, M. Alain Peyrefitte, ministre de l’Information, inaugurait l’installation du Centre Charles-Péguy au 11 de la rue du Tabour, à Orléans. C’est pour nous l’occasion de rappeler l’importance de ce fonds de recherche. Au Centre d’Orléans « sévère et sérieuse » se dresse l’hôtel particulier qui appartint au XVIe siècle à Euverte Hatte, marchand bourgeois d’Orléans, même si on l’appela parfois « maison d’Agnès Sorel ». C’est ici que Roger Secrétain, alors maire d’Orléans, a installé en 1964 le Centre Charles-Péguy, dont le rayonnement international tient au caractère exceptionnel du patrimoine qu’il conserve. Le Centre possède en effet la quasi-totalité des manuscrits de l’écrivain et plus de 1200 lettres autographes, 9314 copies de lettres et 7000 lettres de correspondants des Cahiers de la Quinzaine. Il conserve aussi 165 manuscrits des collaborateurs des Cahiers. La bibliothèque de ce centre de recherche unique en France et dans le monde est riche de plus de 12000 volumes consacrés à Charles Péguy et son époque. Elle intègre deux collections complètes des Cahiers et la bibliographie exhaustive de Péguy : les différentes éditions de ses œuvres, leurs traductions en langues étrangères, les ouvrages critiques, les thèses et les mémoires qui leur sont consacrés, ainsi que toutes les coupures de presse qui leur font écho, de 1896 à nos jours. - 5 - « Maison dite d’Agnés Sorel », cour intérieure lithographie de Charles Pensée, 1843 L’histoire et la littérature de la France sont également représentées, avec des fonds particulièrement importants sur l’affaire Dreyfus, le socialisme, l’anarchisme, la Grande Guerre… En outre, son fonds « Belle Époque » comprend 1140 titres de périodiques, 820 photographies et 1400 cartes postales… - 6 - Un nouveau musée dédié à l’écrivain a ouvert ses portes à l’occasion du centenaire de sa mort ; il présente sous une forme moderne et didactique la vie et l’œuvre de Péguy. Façade de l’hôtel en 2014. CENTRE CHARLES-PÉGUY 11, rue du Tabour 45000 Orléans 02 38 53 20 23 - 7 - Œuvres en prose - 8 - - 9 - Karl Ristikivi Jeanne la Pucelle et don Juan nouvelle traduite de l’estonien par Yves Avril - 10 - - 11 - À son réveil, Don Juan Tenorio eut l’impression d’avoir dormi peu de temps mais d’émerger d’un très long rêve. Un rêve qui portait sur des années, sur toute une vie d’homme. « Un sommeil si court, un si long rêve... », se dit-il. Il lui semblait que cette simple affirmation avait une certaine profondeur que les mots n’arrivaient pas à rendre. « Il manque quelque chose dans la langue de Castille », pensa- t-il. « Elle n’a qu’un mot pour le sommeil et le rêve. Mais en quelle langue cette idée m’est-elle venue pour la première fois ? » Il ne trouvait aucune explication. Elles étaient toutes, en quelque sorte, flottantes, nébuleuses, diffuses. Il ne pouvait même dire en quelle langue il pensait. Sa pensée en était devenue plus libre mais en même temps avait perdu un support stable. C’était comme si son corps ne pesait plus, flottant librement dans une sorte de lumière verdâtre, qu’il croyait percevoir, même les yeux fermés. « C’est de l’eau. » Fébrilement, il cherchait à se raccrocher à des notions, des mots, des noms. « C’est un fleuve – le Guadalquivir... On m’a jeté dans le fleuve. Je nage. L’eau m’entraîne avec elle vers la mer. Peut-être suis-je déjà dans la mer. » Il ouvrit grand les yeux et découvrit qu’il était allongé sur un banc de pierre à l’ombre de grands arbres. La lumière qui perçait l’épais feuillage était verdâtre. Le soleil était à peine levé, l’air était frais et, sous lui, le banc était dur et froid. Ce n’était donc qu’un rêve. Mais il ne savait plus comment il était arrivé là, sur ce banc, comment il s’était endormi. Sûrement, il s’était enivré. Mais ivre à ce point, au point d’en avoir perdu le souvenir, il ne uploads/Litterature/ porche-40-41-corps 1 .pdf

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