HABITER Sabine Vassart De Boeck Supérieur | « Pensée plurielle » 2006/2 no 12 |
HABITER Sabine Vassart De Boeck Supérieur | « Pensée plurielle » 2006/2 no 12 | pages 9 à 19 ISSN 1376-0963 ISBN 2-8041-5144-1 DOI 10.3917/pp.012.09 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2006-2-page-9.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Cette dimension personnelle, sociale et aussi culturelle est à l’origine d’une variété très riche de significations du chez-soi, envisagé ici comme le plus privé, le plus intime de nos territoires. Mots clés : espace, espace centré, habiter, dehors/dedans, caché/visible, appro- priation, chez-soi, expression de soi, intégrateur de valeurs. « À la porte de la maison qui viendra frapper ? Une porte ouverte on entre Une porte fermée un antre Le monde bat de l’autre côté de ma porte. » Pierre-Albert Birot, Les amusements naturels Introduction Dans le cadre du travail social, nous sommes souvent confrontés à des approches plus traditionnelles qui consistent à recevoir les usagers au sein même de l’institution, dans un milieu aseptisé et étranger à leurs conditions de vie matérielles et sociales. La relation d’aide semble souvent enfermée dans une bulle, à mille lieues de la réalité de l’usager. Prendre en considération l’environnement immédiat suppose de déplacer le cadre traditionnel de l’intervention, de le sortir des limi- tes des officines des institutions pour le transposer dans le milieu de vie des personnes concernées. 1Maître de pratique professionnelle au département social de la Haute École Charleroi Europe (vassartsabine@scarlet.be). © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 02/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.235.136.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 02/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.235.136.94) 10 Ce mouvement est bien plus qu’une simple relocalisation. Il suppose une modification profonde de l’amorce de la relation d’aide. Il attend du travailleur social qu’il puisse se décentrer pour pénétrer dans ce qui fait la vie de l’usager et qu’il accepte de s’en laisser imprégner. Il s’agit de dépasser nos impres- sions premières, d’aller au-delà des critères subjectifs qui fondent notre sys- tème de valeurs déterminant le beau et le laid, le confortable et le rudimentaire, l’acceptable et le critiquable... Dans son livre, La poétique de l’espace, Gaston Bachelard (2005) écrit : « La maison dit une intimité. » Il ne s’agit pas de la déceler en scrutant les moindres recoins, à la recherche de détails pittoresques : c’est une intimité qui s’offre instantanément au regard. Comme on lit un livre, « on lit une chambre, on lit une maison », avec ce même regard parfois impatient d’en connaître davantage mais qui peut aussi se suspendre pour laisser place au ressenti, à l’émotion, à cette expérience fugace qu’un court instant nous étions l’autre. Moment de rencontre intense qui nous révèle tout un univers si différent… L’espace habité, le chez-soi, raconte toujours une histoire individuelle et sociale. Les photos, les objets… constituent la trame parfois ténue ou disconti- nue d’une existence ou d’une tranche de vie. Bien plus, pour qui sait observer, nous pouvons entrevoir comment nous nous enracinons dans cet espace vital jours après jours, comment nous l’investissons, comment nous concevons notre rapport au monde, aux autres, comment nous nous percevons et, en définitive, comment nous retournons vers nous-même. Cet article sera composé de deux parties. Dans la première, nous dévelop- perons la notion d’espace en tant qu’expérience vécue. À la différence de l’espace cartésien réduit à ses simples propriétés métriques et matérielles et qui est celui des architectes, des ingénieurs, cette manière d’appréhender l’espace intègre l’expérience concrète et immédiate de l’individu dans son cadre de vie. Dans cette seconde approche, l’espace se définit à partir du sujet (philosophie de la centralité : cf. Moles, 1977) ; les lieux sont ainsi chargés de significations, investis émotionnellement, structurés en fonction des expérien- ces, des attentes,des besoins, des fantasmes… Habiter signifie alors bien plus que se loger, s’abriter. Nous nous centrerons ensuite sur la notion du « chez-soi », qui traduit cer- tainement la relation à l’espace la plus riche et aussi la plus intime, la plus affective et symbolique dont l’homme puisse faire quotidiennement l’expé- rience. Notre démarche visera à présenter, de manière très succincte, com- ment le chez-soi devient l’expression d’une personnalité, d’un mode de vie, ce qui nous amène à une compréhension du chez-soi en rapport à la constitution même d’une identité personnelle et sociale. 1. De la notion d’espace à l’expérience de « l’habiter » « Le monde est un nid. » Gaston Bachelard, 2005. La notion même de l’espace a évolué en rapport avec l’extension de la per- ception spatiale de l’homme. Copernic, en postulant la forme sphérique de la terre, a balayé le système qui depuis l’Antiquité concevait le monde comme un © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 02/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.235.136.94) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 02/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.235.136.94) 11 disque entourant la Méditerranée. L’identification avec un espace local fut dépassée. La découverte du soleil comme centre de notre système planétaire intro- duit la perspective d’un espace gigantesque dans lequel notre monde est une minuscule sphère. Cette conception est devenue tellement naturelle pour nous qu’il est difficile d’imaginer qu’il n’en n’a pas toujours été de même. La phénoménologie est d’emblée concernée par la question de l’espace : elle s’interroge sur les rapports entre l’être et celui-ci. Moles (1977) aborde cette question en posant que, pour l’être, « l’espace pur » n’a pas d’existence, il n’existe que par la référence à un sujet, un groupe, un point de vue… Cette conception « égocentrée » de l’espace correspond au point de vue « ici et maintenant » de l’individu en situation, qui éprouve son rapport à l’environne- ment. Dans cette perspective, l’être, c’est-à-dire chacun de nous, s’éprouve comme étant lui-même le centre du monde qui s’étend autour de lui : « Moi, ici et maintenant, je suis le centre du monde et toutes choses s’organisent par rapport à moi dans une découverte fonction de mon audace. Un monde centré sur Moi ne se peuple d’êtres et d’événements qu’à la mesure de ma perception » (Moles). L’homme a besoin d’espace, mais plus encore d’un lieu, ce que Moles appelle le point « Ici », lieu de l’enracinement. Moles décrit ensuite l’espace qui s’étend autour du sujet comme une série de coquilles emboîtées, de la plus petite (l’échelle du corps) à la plus grande (l’échelle du monde). Ces zones concentriques sont différenciées dans l’espace selon leur distance au sujet mais aussi selon la représentation, le vécu et l’expérience qu’en a l’individu. Cette conception d’un espace centré a pour conséquence la domination de l’environnement par le sujet qui peut le faire sien, s’y fixer, l’habiter. À ce titre, « l’habiter » est pensé comme un trait fondamental de la condition humaine, comme une mise en relation spécifique du sujet à l’espace. Par là même, il ex- prime sa capacité à produire du sens à partir d’une structure spatiale minimale, qu’il investit, valorise mentalement en y associant des significations, et qu’il peut aussi modifier par son action : « Être un homme veut dire d’abord habiter » (Bachelard, 2005). D’emblée, il faut distinguer se loger, avoir un toit et habiter. Le verbe habi- ter est riche de sens et il ne peut se limiter à l’action d’être logé. D’un côté, c’est la question du logement, de l’abri, « avoir un toit », et de l’autre celle de la rela- tion, de l’action qui définit l’habitant. C’est cette particularité que nous voulons interroger : l’homme habite lorsqu’il réussit à s’orienter et à s’identifier à sa demeure, ou plus simplement lorsqu’il expérimente la signification d’un milieu. Habiter, c’est ce qui caractérise l’humain, alors que l’animal s’abrite. Habiter implique que les espaces où la vie se déroule soient des lieux au vrai sens du mot, des lieux de mémoire, d’ancrage symbolique et dotés d’un caractère qui les distingue. Vu de la sorte, l’habiter devient alors un « art du lieu » (Fisher, 1997). Perla Serfaty (1999) définit les caractéristiques fondamentales de l’habiter selon uploads/Litterature/ pp-012-09 1 .pdf
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- Publié le Jul 11, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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