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Cave 72 de Fann Attiki Avis de Cyril Pour moi, Cave 72 se rapproche du conte. Les citations placées en tête du livre sont explicites. La manière dont on appréhende le réel est, dans le meilleur des cas, du ressort de la fiction, dans le pire des cas, du ressort de la farce. Cependant, quel que soit le filtre derrière lequel on se place, on ne sera pas protégé des vérités qui vont émerger. Fann Attiki place d'emblée son roman comme œuvre de littérature. L'un des membres du jury (désolé, je ne connais pas les prénoms... La personne s'est présentée comme historienne) a évoqué le fait que Fann Attiki s'écartait de la réalité concernant l'histoire politique de la République du Congo. Loin de moi l'idée de la contredire ! L'auteur parle de différents événements qui ont secoué le pays, notamment la guerre civile durant laquelle un homme de l'armée s'autoproclame président de la République en 1997 (cette personne occupe toujours cette fonction en 2022). Fann Attiki ne cherche pas être exhaustif. Il grossit le trait. Il veut surtout appuyer là où ça fait mal. Il montre les travers d'une classe dirigeante gangrenée par la corruption. Mais il veut surtout mettre en scène une kyrielle de personnages, vifs, créatifs et intelligents, qui vont s'opposer au joug qui leur est imposé. Cave 72 est donc construit comme un conte énumératif, style La moufle de Chloé Chauveau, album inspiré d'un conte russe dans lequel des animaux vont rentrer un par un dans la moufle jusqu'à ce qu'elle se déchire en mille morceaux. Ici, il ne s'agit pas de se mettre à l'abri mais de découvrir qui se cache derrière l'assassinat du frère d'un opposant politique. L'histoire est construite à la manière d'une rumeur qui se transmet par bouche-à-oreille : "Ce soupçon devint une chronique. La chronique fit son chemin. Elle se répandit d'un table-banc à un autre, voguant avec assurance, aussi loin que peut l'entraîner le vent." Trois anti-héros vont tenter de démêler les fils de l'intrigue. Je dis anti- héros parce qu'ils ne sont pas très efficaces. Ils pourraient régler l'affaire en deux temps trois mouvements mais ils préfèrent profiter de la vie avant tout : "Je ne suis qu'un pauvre fumeur de cigarettes et un cuveur de bières qui connaît le chômage lorsqu'il n'a pas de fiche de lecture à faire" (ce n'est pas nous, ça ? Quelle vie alléchante : manger, lire, dormir !). J'en profite pour dire que, suite à ce que disait Martin Dubois le jour de la présentation des livres, les bières sont tièdes au début du livre mais deviennent de plus en plus glaçantes au fur et mesure de l'histoire, face à l'adversité qui accable les protagonistes. Le narrateur omniscient expose au lecteur, petit à petit, tous les faits, bien avant que Didi, Verdass et Ferdinand en arrivent à leurs premières conclusions. C'est pour nous un jeu d'enfants de découvrir avant eux les tenants et les aboutissants de l'affaire. Fann Attiki n'a pas du tout écrit un roman à énigme. Il met de côté les rebondissements bien huilés au profit de situations qui donnent de l'épaisseur aux personnages. Les trois anti-héros se font toujours rattraper. À un moment, ce n'est plus possible. De dilettantes vautrés sur les sièges du bar Cave 72, ils vont se muer en fugitifs fragiles qui donnent de leur personne mais toujours de façon un peu grotesque : "les hommes n'endurent que des épreuves à la hauteur de leur force". Nous découvrons donc, au début du roman, un premier responsable du meurtre de Black Mic-Mac en la personne du Conseiller, tout en haut de la pyramide des coupables. Mais l'écheveau ne s'arrête pas là. Des subalternes entrent en scène, cela fait comme un ruissellement : le Directeur Général de la Sécurité Territorial, son homme de main puis un simple vigile. Tous ont un mobile différent l'un de l'autre pour vouloir la mort du frère Black Mic-Mac (car c'est lui qui était visé, on l'apprend assez vite) : obtenir une promotion, avoir un meilleur travail, se trouver un bouc-émissaire pour justifier sa politique, se venger d'une sextape. La responsabilité est diluée, chacun s'en prend à son « inférieur » direct. Pour remonter jusqu'en haut et découvrir le pot aux roses, les protagonistes vont devoir rembobiner le fil : "En résumé, vous devez voir le gars dont vous avez reconnu la voix, le pousser à vous conduire auprès de ce chef Jonas, faire cracher le morceau à celui-ci afin qu'il vous livre comme ça, sur un plateau, le Colonel qui est censé être son complice. Je vous souhaite bonne chance. - Présenté ainsi ça a l'air une folie mais qui ne tente rien n'a rien. Posons le premier pas. Le reste suivra." Jusqu'où allons-nous aller ? Le récit se fait d'ailleurs en sept jours. De quoi va-t-il accoucher ? On découvrira à la fin qu'il y a un autre mobile qui est commun à tous. On découvrira aussi que quelqu'un d'autre se cache derrière toute cette machination. Mais comme je le disais précédemment, on trouve assez vite de qui il s'agit. Fann Attiki essaye quand même de brouiller les pistes, tout n'est pas si limpide. Il met en scène un quatrième ami : Stephan. Le trio principal est normalement un quatuor. Mais dès le début, il est absent. Qui est-il ? Quel rôle va-t-il jouer ? Il y a plein de mentions à son égard tout au long du livre mais le mystère reste entier. Heureusement, on a une réponse à la fin et quelle réponse ! Je trouve qu'elle donne tout son sens à l'entreprise que s'est fixé Fann Attiki. Participons-nous chacun à l'écriture d'un roman national, quelle que soit la petite place que nous occupons ? Pouvons-nous déstabiliser les rouages de l'Histoire qui se fait devant nous et malgré nous. Qu'est ce qui « sonne le plus vrai », l'Histoire ou l'histoire de chacun ? Dans Cave 72, les histoires personnelles de chacun se répondent les unes aux autres. A défaut d'être nationale, un histoire de groupe se construit tout au long de notre lecture. J'ai donc apprécié ce livre. L'intrigue est un peu chaotique. Mais vous l'aurez compris, l'essentiel n'est pas là. Les personnages sont très attachants. L'histoire est très bien racontée. Le style de Fann Attiki est délicieux : « Dans ce réel-ci où plaisirs, efforts et malheurs composent l'existence, midi était loin. Loin derrière, autant que le tempérament grisailleux du ciel qui avait menacé de se laisser aller aux larmes, triste de compter trop tôt l'âme de Black Mic-mac. » « Pendant ce temps, la rive de Pandore restait sobre. Elle attendait qu'on lui transmette le témoin, après que le soleil se fut caché pour pleurer l'absurdité des hommes. » Une des scènes finales est très belle : « Ils s'embrassèrent, s'avouèrent leur amour". Je ne dis pas de qui il s'agit... C'est pourtant évident mais je fus agréablement surpris. uploads/Litterature/ premieresparoles-cave-72.pdf

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