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Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA), 2008 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 26 nov. 2021 04:07 Études littéraires africaines Récits du camp Boiro : du témoignage à l’écriture de l’Histoire Florence Paravy Fictions / Documents Numéro 26, 2008 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1035121ar DOI : https://doi.org/10.7202/1035121ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA) ISSN 0769-4563 (imprimé) 2270-0374 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Paravy, F. (2008). Récits du camp Boiro : du témoignage à l’écriture de l’Histoire. Études littéraires africaines, (26), 34–41. https://doi.org/10.7202/1035121ar RÉCITS DU CAMP BOIRO : DU TÉMOIGNAGE À L’ÉCRITURE DE L’HISTOIRE De 1958 à 1984, Ahmed Sékou Touré, dont la dictature fut l’une des plus sanglantes d’Afrique, fait vivre la Guinée au rythme des vagues de répression, liées à de multiples complots le plus souvent imaginaires. La période de terreur la plus intense s’étend de 1970 à 1977, le régime remplissant alors sans relâche les différentes prisons du pays, dont peu de détenus ressortiront vivants. Or les témoignages sur ces camps de la mort, notamment celui de Boiro, sont nombreux69 et d’autant plus intéressants que le statut de leurs auteurs est très différent, non seulement par rapport au régime de Sékou Touré, mais aussi à l’égard des faits même qu’ils rapportent. La confrontation de ces textes permet de mieux saisir jusqu’à quel point leur concordance peut ici faire office de preuve et leur donner le statut de documents « au premier degré », c’est-à-dire fournissant des données dont l’exactitude ne peut guère être mise en doute. Cependant, certains auteurs n’échappent pas à la tentation du romanesque, à une forme de fictionnalisation qui tient à distance la lecture de type strictement historique. Enfin, la personnalité des auteurs et leurs partis pris idéologiques engendrent des différences sensibles quant à leur interprétation de l’histoire guinéenne. C’est à ce titre que les ouvrages sont alors des documents « au second degré », reflétant les traces diverses, voire divergentes, que cette histoire a laissées dans la mémoire collective. Incidences politiques de l’écriture Il faut tout d’abord évoquer le rapport très particulier qu’entretiennent ici l’écriture et les évènements historiques, du moins pour les textes parus avant la mort de Sékou Touré. L’analyse de J.-F. Chevrier, selon laquelle « document et fait sont des notions connexes et complémentaires : le document livre des faits et il constitue un fait en lui-même »70, est en l’occurrence particulière- ment pertinente. Si l’écriture est ici toujours rétrospective, la publication en 69 Alata (Jean-Paul), Prison d’Afrique : cinq ans dans les geôles de Guinée. Paris : Seuil, 1976, rééd. 1984, 252 p. – Bâ (Ardo Ousmane), Camp Boiro. Sinistre geôle de Sékou Touré. Paris : L’Harmattan, coll. Mémoires africaines, 1986, 276 p. – Bari (Nadine), Guinée, les cailloux de la mémoire. Paris : Karthala, coll. Tropiques, 2003, 257 p. – Camara (Kaba 41), Dans la Guinée de Sékou Touré. Cela a bien eu lieu. Paris : L’Harmattan, coll. Mémoires africaines, 1998, 255 p. – Diallo (Alpha-Abdoulaye), Dix ans dans les geôles de Sékou Touré ou la vérité du Ministre. Paris : Calmann-Lévy, 1985, rééd. L’Harmattan, 2004, 261 p. – Diallo (Amadou), La Mort de Diallo Telli premier secrétaire général de l’O.U.A. Paris : Karthala, 1983, 155 p. – Gomez (Alsény René), Parler ou périr. Paris : L’Harmattan, 2007, 268 p. – Tchidimbo (Raymond-Marie), Noviciat d’un évêque. Huit ans de captivité sous Sékou Touré. Paris : Fayard, 1987, 332 p. – Touré (Kindo), Unique survivant du « Complot Kaman-Fodeba ». Paris : L’Harmattan, coll. Mémoires africaines, 1989, 184 p. 70 Chevrier (J.-F.), « Documents de culture, documents d’expérience (Quelques indications) », dans Communications, (Paris : Seuil), no79 (Des faits et des gestes), 2006, 362 p. ; p. 63-89 ; p. 64. Récits du camp Boiro (35 revanche a pu elle-même constituer un fait, parfois lourd de conséquences, dans l’actualité de la dictature. Ainsi, l’ouvrage de Jean-Paul Alata, publié au moment où le gouvernement de V. Giscard d’Estaing tente de renouer avec la Guinée des relations « gelées » depuis le référendum de 1958, est aussitôt interdit par arrêté ministériel de Michel Poniatowski, alors Ministre de l’Intérieur, tandis qu’en Guinée, il déclenche la colère de Sékou Touré, l’annulation de certaines libérations annoncées et un brutal durcissement des conditions de détention, comme en témoignent Ardo Ousmane Bâ71 et Amadou Diallo, selon lequel cette publication aurait même empêché « le président guinéen d’effectuer une visite d’État en France »72, par crainte des réactions de la presse. De même, Alpha-Abdoulaye Diallo présente la parution de La Mort de Diallo Telli, d’Amadou Diallo, comme l’élément déclencheur de sa propre fuite précipitée du pays, à cause des réactions prévisibles de Sékou Touré. Amadou Diallo lui-même reconnaît qu’entre la nécessité de témoigner et la crainte des conséquences pour autrui, il a dû opérer un « choix doulou- reux »73. Au-delà du témoignage et de l’hommage aux disparus, ces deux ouvrages ont donc valeur d’acte politique inscrit dans l’actualité de leur époque et ayant engendré un infléchissement, si minime soit-il, de la réalité historique. Le témoignage J.-F. Chiantaretto dit du témoignage qu’il implique « une altération de l’écriture de soi, […] son expulsion hors le champ de l’intimité des événements individuels »74. En effet, dans la plupart de ces textes, l’aspect personnel du récit s’efface devant le devoir de mémoire et la volonté de livrer au monde la vérité de faits que le régime de Sékou Touré a désespérément tenté de tenir secrets : il s’agit, selon la belle formule de Michel Foucault, « d’opposer une vérité sans pouvoir à un pouvoir sans vérité »75. L’avant- propos du récit d’A.-A. Diallo souligne clairement ce désir de s’en tenir à un exposé exact de faits qui ont avant tout une valeur collective. L’ensemble de ces récits constitue ainsi un faisceau de données concor- dantes ou complémentaires. On y retrouve, sans contradiction ou différence notoires : les conditions de détention (disposition du camp, aspect des cellules, nourriture, conditions d’hygiène et de santé, règles disciplinaires, routine quotidienne) ; la description de la « cabine technique » et des tortures qu’on y inflige ; les procédés d’exécution des condamnés à mort, notamment l’épouvantable « diète noire » (privation totale d’eau et de nourriture) ; les 71 Bâ (A.O.), op. cit., p. 228-229. 72 Diallo (A.), op. cit., p. 121. 73 Diallo (A.), op. cit., p. 130. Inversement, A.O. Bâ signale dans son introduction que la rédaction de son ouvrage était achevée dès 1981, mais qu’il a renoncé à le publier à ce moment-là par crainte des conséquences que cela aurait pour ceux qui attendaient encore leur libération. 74 Chiantaretto (J.-F.), « Présentation », dans L’Écriture de soi peut-elle dire l’histoire ?. Paris : BPI, Coll. BPI en actes, 2002, 260 p. ; p. 9-15 ; p. 12. 75 Foucault (M.), « La vérité et les formes juridiques » [1974], dans Dits et écrits I. Paris : Gallimard, Coll. Quarto, 2001, 1707 p. ; p. 1406-1491 ; p. 1439. 36) conditions de la survie (méthodes de communication secrète entre détenus, importance de la prière, expédients alimentaires divers) ; les jeux pervers de Sékou Touré (qui n’hésitait pas, par exemple, à téléphoner à certains détenus à peine sortis de la « cabine technique » pour leur prodiguer des témoignages d’amitié) ; les difficultés rencontrées après la libération (méfiance, voire mépris qui entourait le rescapé, difficultés de réinsertion, surveillance constante, nécessité de rendre au Président une visite de courtoisie pour le remercier de la grâce accordée). En vertu du principe testis unus, testis nullus, l’historien peut donc trouver dans cette convergence et dans cette complé- mentarité des textes une riche matière documentaire dont la fiabilité, sans être absolue, semble importante. Il faut cependant tenir compte d’éventuels phénomènes d’intertextualité, certains auteurs ayant lu les récits antérieurs et les citant à l’occasion, ce qui peut infléchir les souvenirs et leur retrans- cription. Enfin, un certain nombre d’ouvrages s’accompagnent de documents au sens classique du terme : carte du pays, plan du camp, photos, liste de détenus, dépositions publiées par le journal guinéen Horoya, tableau chronologique, etc. L’ouvrage d’A.R. Gomez, le dernier paru à ce jour, est celui qui affiche le plus nettement cet objectif documentaire en présentant un historique du camp, des photos, des fac-similés de documents divers, une série de graffitis relevés sur les murs des cellules, différentes listes (« complots », exécutions, charniers, détenus, etc.), ainsi que, dans certains chapitres, une organisation typologique (par exemple le chapitre 1 de la troisième partie, intitulé « Les différentes formes de tortures et de liquidations physiques »). La tentation du romanesque Cependant, ces récits ne uploads/Litterature/ recits-du-camp-boiro-du-temoignage-a-l-x27-ecriture-de-l-x27-histoire.pdf
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- Publié le Fev 12, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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