1 René Lew à Enrique Tenenbaum et Jean-Michel Vappereau, sur Le nœud borroméen
1 René Lew à Enrique Tenenbaum et Jean-Michel Vappereau, sur Le nœud borroméen mis à plat : dessin, écriture, schéma, signe… ?, le 30 juillet 2009 (2ème livraison) Écriture ou figuration de l’instance Je commencerai cette fois par la lettre en retournant la question : la lettre est-elle borroméenne ? Reprenons-en d’abord la définition de Lacan1 : « Nous désignons par lettre2 ce support matériel que le discours concret emprunte au langage. » J’y entends toute matérialité, tout praticable, toute mise en scène, etc., qui puisse supporter [de] la fonction signifiante. C’est donc, par exemple, la matérialité vocale.3 Mais c’est aussi (sous cet angle du signifiant) la matérialité de la métonymie et de la métaphore sans lesquelles il n’est pas de signifiant. J’ajouterai : c’est de même tout passage littoral d’un praticable extensionnel à l’autre (chaque praticable vaut comme registre, réel, imaginaire ou symbolique). Aussi est-ce à reconsidérer le nœud borroméen dans sa matérialité qu’on peut avancer sur la question de base (quant à savoir si le nœud borroméen serait une écriture). Je tiens en effet les ronds matériels du nœud borroméen (ronds de « ficelle ») comme la matérialité des rapports entre les registres donnés comme réel (ex-sistence, dit Lacan), imaginaire (consistance), symbolique (trou). Comme je l’ai déjà dit précédemment, plutôt que de considérer ces « ronds » comme des frontières entre des espaces réel, imaginaire et symbolique, mieux vaut les prendre comme l’indication de passages entre ceux-ci et donc comme le littoral entre leurs domaines respectifs s’il en est. De là ce qu’on peut appeler « l’écriture » du nœud, si du moins l’on fait précisément valoir ce littoral entre eux. Je le dis ainsi pour avancer sur l’option initiale, qui fait question, du nœud comme écriture. Aussi l’idée de ronds de ficelle ne convient-elle pas, sinon à insister sur le « nœud » entre eux, lequel est à situer de la structure borroméenne — et il ne convient pas non plus de parler de lettre au niveau de cette structure d’ensemble. Sauf si l’on prend la lettre comme passage, et ceci même si elle tend à fixer du signifiant. Comme telle elle est plutôt située au niveau de chaque rond. Mais, sous cet angle d’indiquer un rond, elle est littorale (à différencier des domaines en jeu, néanmoins homogènes entre eux, puisque chacun est à la fois consistance, ex-sistence et trou) et non pas caractère. Elle serait peut-être caractère si le pictogramme du nœud borroméen mis à plat servait effectivement de marque de discours, l’index en quelque sorte du discours analytique, un index qui se lierait à d’autres pour se développer en discours commun. Mais l’on voit bien que ce n’est pas l’usage, la mise en jeu de cette figure qui assure qui que ce soit qui la manie d’être dans le discours analytique. À l’opposite, pour juger qu’on est dans le discours analytique, mieux vaut se saisir du discours initial de Freud (la dite « Esquisse ») où il fonde toute sa métapsychologie ultérieure sur deux notions définies par ses choix matérialistes et leurs conséquences. D’abord il s’agit de la quantité, mais l’on saisit immédiatement qu’il s’agit d’une lettre Q (voire Qη) qui n’est 1 J. Lacan, Écrits, Seuil, p. 495. 2 Personnellement, j’aurais mis ce terme de « lettre » entre guillemets. Sans cela une ambigüité existe comme souvent chez Lacan : cela pourrait signifier que Lacan désigne par une lettre le support matériel que le discours concret emprunte au langage. 3 R.L., « La voix comme écrit », colloque d’Ivry, 1988, La voix, Lysimaque. 2 que l’index des mouvements de quantité : le déplacement, le passage— autrement dit l’Entstellung — est ici essentiel. Ensuite il s’agit de ce qu’on peut nommer, à la suite de Freud, sa neuronique : les quantités sont véhiculées par les neurones, étant entendu qu’un neurone a les mêmes propriétés que l’ensemble du tissu nerveux. C’est donc de structure qu’il s’agit là : topologie, transactions, lettrage. On peut ainsi résumer les fondements de l’Esquisse en ne retenant que la lettre et la structure. Avec cependant cette notation particulière : c’est que le transit de la lettre dans la structure ne se fait qu’au travers des passages fixateurs (fixateurs de signifiants) que sont ce que Freud appelle des barrières de contact et que je reconnais dans les « cordes » du nœud. Les barrières de contact de Freud valent pour le littoral de Lacan. Et c’est ce dont le nœud borroméen procède. Il est vrai que Saussure, revu par Lacan, donne comme algorithme fondamental S/s : la barre, qui sépare et lie signifiant (à quoi l’on donne la primauté dans cette position) et signifié, a la valeur écrite des ronds du nœud borroméen (ou des traits s’il est dessiné). Cependant il faut noter que personne n’a fait de cette barre une lettre. Elle n’en est pas moins écrite et a plutôt valeur de signe diacritique. Ce serait d’ailleurs l’ensemble « S/s » qui aurait valeur de lettre : s’y indique en effet deux domaines (celui du signifiant et celui du signifié) et leur séparation-liaison. Cet ensemble est donc globalement littoral et vaut comme tel en tant que lettrage dans la théorie psychanalytique du langage. Ce lettrage ouvre de plus à ce que Lacan appelle son « algèbre », conçue de lettres et de mathèmes. Comme le nœud borroméen dépasse la teneur littorale de chaque rond en ce que la borroméanité peut elle-même être conçue comme littorale, on comprend que le nœud borroméen puisse en son ensemble être pris pour une lettre. Ce n’est donc pas uniquement la matérialité qui définit la lettre depuis le signifiant, mais l’articulation — avec cette note particulière : « […] nous appelons la lettre, à savoir la structure essentiellement localisée du signifiant »4. Qu’il n’y ait pas de signifiant en soi n’empêche pas d’en pointer la structure fonctionnelle comme la localisation du passage qu’il constitue. D’où le cerne de l’espace que le rond de ficelle constitue par son dessin. Car pour se composer (avec d’autres) le signifiant nécessite une assise que la lettre constitue par sa raison matérielle et localisatrice comme par sa tendance au lien (ce qui permet pour une part de la rapporter au phonème). Les divers abords de la littoralité constituent donc le nœud borroméen. Peut-être qu’à considérer le point de capiton dans la « nappe » signifiante (pour se contenter d’un réseau signifiant réduit à deux dimensions) entre signifiant et signifié : S/s, on peut le prendre en compte, selon l’abord précédent, comme une lettre. Ce point de capiton prend en effet l’allure, sinon la fonction, des points-nœud organisant les ronds du borroméen. Ainsi cette barre (qui n’est pas lettre, mais signe, disons, de « ponctuation ») peut-elle se développer en nœud borroméen (mis à plat) ; qu’on en juge par la commune logique du littoral et du borroméen : - recouvrement partiel de chaque registre du borroméen (réel, symbolique, imaginaire) par chacun des autres (ou sa situation entre deux), comme le littoral peut faire passer d’un domaine à l’autre ; - homogénéité et différence entre ces registres du borroméen comme entre les domaines du littoral ; - codépendance entre eux sans organicité de système. Le dire autrement serait considérer que la « chaîne » signifiante (la réduction du réseau signifiant multidimensionnel, transfini, à une seule dimension) ne vaut que dans un seul registre, ce qui ne peut être le cas. Surtout que Lacan a tendance à appeler ces registres des « dimensions », terme à mon sens inadapté car il implique plus de différence quantitative que 4 J. Lacan, loc.cit., p. 501. de distinction qualitative, mais qui présente l’intérêt de mettre en scène le réel, l’imaginaire, le symbolique. Le commun de l’écrit (depuis le littoral) et du nœud borroméen est ainsi le passage non seulement « entre les lignes », mais surtout au travers d’elles, lignes d’écriture et tracés représentant les ronds comme non enlacés. Passer entre les ronds est le nouage même — tel que le symptôme l’organise à passer au sein de chacun de ces registres —, mais c’est aussi aller au-delà de chacun. Dans cette veine, le nœud fait métaphore.5 La structure linéaire de la « chaîne » signifiante assure semblablement (selon des systèmes d’après-coups pro— et rétrogrédients) les empiétements comme les englobements constitutifs du signifiant. C’est pour moi affaire de serrage (jusqu’à l’écheveau qui se présente, comme tout recouvrement, par la superposition de toute ligne sur toute autre) de l’hélice mise à plat selon un nombre de dessus-dessous de plus en plus grand. 3 5 Je discuterai cette assertion dans la 3ème livraison. * S1 S2 rétrogrédient ouverture du « huit intérieur » mœbien structure d’après-coup progrédient * * accentuation du recouvrement des boucles * * développement du huit intérieur en hélice * * écheveau * À mon avis, la référence au nœud borroméen en ce qui concerne la lettre ne passe pas tant par cette logique de l’après-coup signifiant que par ces points-nœud comme Lacan les spécifie (dans « L’étourdit » particulièrement) à la suite de Freud uploads/Litterature/ rene-lew-a-e-tenenbaum-et-j-m-vappereau-ecriture-ou-figuration-de-l-instance-2-30-juil-2009.pdf
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