Retour d'Angleterre (1728-1733) À l’automne 1728, il est autorisé à rentrer en

Retour d'Angleterre (1728-1733) À l’automne 1728, il est autorisé à rentrer en France pourvu qu’il se tienne éloigné de la capitale. L’affaire Rohan remonte à plus de trois ans. Voltaire procède précautionneusement, séjournant plusieurs mois à Dieppe où il se fait passer pour un Anglais. Il obtient en avril l’autorisation de venir à Pari s , mais Versailles lui reste interdit. À son retour d’Angleterre, il n’a que quelques économies qu’il s’emploie activement à faire fructifier. Selon certains historiens et son autobiographie, il gagne un capital important, sur une idée du mathématicien La Condamine, en participant à une loterie d’État mal conçue20. Puis il part à Nancy spéculer sur des actions émises par le duc François III de Lorraine, qui introduit la franc- maçonnerie en Autriche, opération dans laquelle il aurait « triplé son or »21. Il reçoit aussi en mars 1730 sa part de l’héritage paternel. Ces fonds vont être judicieusement placés22 dans le commerce, « les affaires de Barbarie », vente des blés d’Afrique du Nord vers l’Espagne et l’Italie où elle est plus lucrative qu’à Marseille et les « transactions de Cadix », échange de produits des colonies françaises contre l’or et l’argent du Pérou et du Mexique. En 1734, il confie ses capitaux aux frères Pâris dans leur entreprise de fournitures aux armées. Selon certains historiens, c'est Joseph Pâris qui a fait la fortune de Voltaire23. Enfin, à partir de 1736, Voltaire va surtout prêter de l’argent à des grands personnages et des princes européens, prêts transformés en rentes viagères selon une pratique courante de l'époque (à lui d'actionner ses débiteurs, désinvoltes mais ayant du répondant, pour obtenir le paiement de ses rentes). « J’ai vu tant de gens de lettres pauvres et méprisés que j’ai conclu dès longtemps que je ne devais pas en augmenter le nombre ». Programme réalisé à son retour d’Angleterre. En 1730, un incident, dont il se souviendra à l’heure de sa mort, le bouleverse et le scandalise. Il est auprès d’Adrienne Lecouvreur, une actrice qui a joué dans ses pièces et avec laquelle il a eu une liaison, lorsqu’elle meurt. Le prêtre de la paroisse de Saint-Sulpice lui refuse une sépulture (la France est alors le seul pays catholique où les comédiens sont frappés d’excommunication). Le cadavre doit être placé dans un fiacre jusqu’à un terrain vague à la limite de la ville où elle est enterrée sans aucun monument pour marquer sa tombe24. Quelques mois plus tard meurt à Londres une comédienne, Mrs Oldfield, enterrée à Westminster Abbey. Là encore, Voltaire fait la comparaison. Voltaire fait sa rentrée littéraire à Paris par le théâtre, en travaillant selon son habitude à plusieurs œuvres en même temps. Sans beaucoup de succès avec Brutus, La mort de César et Eriphyle. Mais Zaïre en 1732 remporte un triomphe comparable à celui d’Œdipe et est joué dans toute l’Europe (la 488e représentation a eu lieu en 1936). Les Lettres philosophiques et l'Académie (1733-1749) Voltaire à 41 ans. « Il est maigre, d’un tempérament sec. Il a la bile brulée, le visage décharné, l’air spirituel et caustique, les yeux étincelants et malins. Vif jusqu’à l’étourderie, c’est un ardent qui va et vient, qui vous éblouit et qui pétille25. » Émilie du Châtelet (1706-1749) à sa table de travail tenant un compas sur un cahier ouvert (portrait de Quentin de La Tour) Depuis des mois, sa santé délabrée fait que Voltaire vit sans maîtresse. En 1733, il devient l’amant de Mme du Châtelet. Émilie du Châtelet a 27 ans, douze de moins que Voltaire. Fille de son ancien protecteur, le baron de Breteuil, elle décide pendant seize ans de l’orientation de sa vie, dans une situation quasi conjugale (son mari, un militaire appelé à parcourir l’Europe à la tête de son régiment, n’exige pas d’elle la fidélité, à condition que les apparences soient sauves, une règle que Voltaire « ami de la famille » sait respecter). Ils ont un enthousiasme commun pour l’étude et sous l’influence de son amie, Voltaire va se passionner pour les sciences. Il « apprend d’elle à penser »26, dit-il. Elle joue un rôle essentiel dans la métamorphose de l’homme de lettres en « philosophe ». Elle lui apprend la diplomatie, freine son ardeur désordonnée. Ils vont connaître dix années de bonheur et de vie commune. La passion se refroidit ensuite. Les infidélités sont réciproques (la nièce de Voltaire, M me Denis , devient sa maîtresse fin 1745, secret bien gardé de son vivant ; Madame du Châtelet s’éprend passionnément de Saint-Lambert en 1748), mais ils ne se sépareront pas pour autant, l’entente entre les deux esprits demeurant la plus forte. À sa mort, en 1749, elle ne sera jamais remplacée. Mme Denis, que Voltaire aimera tendrement, va régner sur son ménage (ce dont ne se souciait pas Mme du Châtelet), mais elle ne sera jamais la confidente et la conseillère de ses travaux. Émilie est une véritable femme de sciences. L’étendue de ses connaissances en mathématiques et en physique en fait une exception dans le siècle. C’est aussi une femme du monde qui mène une vie mondaine assez frénétique en dehors de ses études. Elle aime l’amour (elle a déjà eu plusieurs amants, dont le duc de Richelieu ; elle devient en 1734 la maîtresse de son professeur de mathématiques, Maupertuis, que lui a présenté Voltaire) et le jeu, où elle perd beaucoup d’argent. Elle cherche un homme à sa mesure pour asseoir sa réussite intellectuelle : Voltaire est un écrivain de tout premier plan, de réputation européenne, avide de réussite lui aussi. 1734 est l’année de la publication clandestine des Lettres philosophiques, le « manifeste des Lumières »27, grand reportage intellectuel et polémique sur la modernité anglaise, publié dans toute l’Europe à 20 000 exemplaires, selon l’estimation de René Pomeau 28 , chiffre particulièrement élevé à l’époque. L’éloge de la "liberté et de la tolérance anglaises" est perçu à Paris comme une attaque contre le gouvernement et la religion. Le livre est condamné par le Parlement à majorité janséniste et brulé au bas du grand escalier du Palais. Une lettre de cachet est alors lancée contre Voltaire, et Émilie du Châtelet lui propose de se réfugier au château de Cirey, situé en Champagne 29 ,30. Un an plus tard, après une lettre de désaveu où il « proteste de sa soumission entière à la religion de ses pères », il sera autorisé à revenir à Paris si nécessaire, mais la lettre de cachet ne sera pas révoquée. Pendant les dix années suivantes, passées pour l’essentiel au château de Cirey, Voltaire joue un double jeu : rassurer ses adversaires pour éviter la Bastille, tout en continuant son œuvre philosophique pour gagner les hésitants. Tous les moyens sont bons : publications clandestines désavouées, manuscrits dont on fait savoir qu’il s’agit de fantaisies privées non destinées à la publication et qu’on lit aux amis et visiteurs qui en répandent les passages les plus féroces (exemple La Pucelle qui ridiculise Jeanne d'Arc). Son engagement est inséparable d’un combat antireligieux. Il considère l’intolérance religieuse comme responsable du retard de la France en matière d'organisation sociale. Elémens de la philosophie de Neuton, 1738 Voltaire restaure le château grâce à son argent et le fait agrandir31,32. Il fait des expériences scientifiques dans le laboratoire d’Émilie pour le concours de l’Académie des sciences. Aidé par Émilie du Châtelet, il est l'un des premiers à vulgariser en France les idées de Newton sur la gravitation universelle en publiant les Éléments de la philosophie de Newton (1737). Il commence La Pucelle (pour s’amuser dit-il) et Le Siècle de Louis XIV (pour convaincre son amie qui n’aime pas l’histoire), prépare l’Essai sur les mœurs, histoire générale des civilisations, où il dénombre les horreurs engendrées par le fanatisme. Il enrichit son œuvre théâtrale avec Alzire (qui fait « perdre la respiration » au jeune Rousseau) et Mérope qui est un grand succès. Un poème, où il fait l’apologie du luxe (« Le superflu, chose très nécessaire »), Le Mondain, et évoque la vie d’Adam 33 , scandalise à Paris les milieux jansénistes. Prévenu, il s’enfuit en Hollande par crainte des représailles. En 1742, sa pièce Le Fanatisme ou Mahomet le prophète est applaudie à Paris. Mais les jansénistes considèrent que Voltaire, sous prétexte d'islam, attaque en réalité le christianisme. Ils obtiennent du pouvoir royal plutôt réticent l’interdiction de fait de la pièce, que Voltaire, toujours sous le coup de la lettre de cachet de 1734, doit retirer après la 3e représentation. Elle ne sera reprise qu’en 1751. Voltaire apparaît de plus en plus comme un adversaire de la religion. En 1736, Voltaire reçoit la première lettre du futur roi de Prusse, initié à la franc-maçonnerie en 1738. Commence alors une correspondance qui durera jusqu’à la mort de Voltaire (interrompue en 1754, après l’avanie de Francfort, elle reprendra en 1757). « Continuez, Monsieur, à éclairer le monde. Le flambeau de la vérité ne pouvait être confié à de meilleures mains »34, lui écrit Frédéric qui veut l’attacher à sa cour par tous les uploads/Litterature/ retour-d-x27-angleterre.pdf

  • 35
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager