Revue d'histoire du XIXe siècle Société d'histoire de la révolution de 1848 et
Revue d'histoire du XIXe siècle Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle 25 | 2002 Le temps et les historiens Comment on récrit l’histoire. Les usages du temps dans les Écrits sur l’histoire de Fernand Braudel Gérard Noiriel Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rh19/419 DOI : 10.4000/rh19.419 ISSN : 1777-5329 Éditeur La Société de 1848 Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2002 Pagination : 57-81 ISSN : 1265-1354 Référence électronique Gérard Noiriel, « Comment on récrit l’histoire. Les usages du temps dans les Écrits sur l’histoire de Fernand Braudel », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 25 | 2002, mis en ligne le 07 mars 2008, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/rh19/419 ; DOI : 10.4000/rh19.419 Ce document a été généré automatiquement le 1 mai 2019. Tous droits réservés Comment on récrit l’histoire. Les usages du temps dans les Écrits sur l’histoire de Fernand Braudel Gérard Noiriel « Cette fois, il n’était pas question de récrire ». Fernand BRAUDEL, Écrits sur l’histoire, 1969. « C’est la marque de la plus grande superficialité que de trouver en toute chose du mal et ne rien voir du bien positif qui s’y trouve. L’âge rend en général plus clément ; la jeunesse est toujours mécontente ». HEGEL, La Raison dans l’histoire, 1830. 1 L’organisation de cette journée a été motivée par la conviction que nous, historiens, nous aurions besoin de réfléchir à la question du temps pour progresser dans nos entreprises empiriques. Ce point de départ — que je partage — mérite néanmoins d’être clarifié car il n’est pas sûr que nous l’envisagions tous de la même manière. Mon intervention portera non pas sur le statut du temps en histoire, mais sur un problème plus modeste : comment les historiens ont-ils abordé la question du temps dans leurs écrits sur l’histoire ? Cette intervention s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherches plus vaste qui vise à mieux comprendre les décalages entre les discours et le travail empirique dans notre discipline. Dans l’introduction de l’ouvrage récent qu’il a coordonné sur l’historiographie allemande entre 1918 et 1945, Peter Schöttler parle d’une « science de la légitimation » (Legimitationwissenschaft), pour qualifier les travaux des historiens soucieux de maintenir leur existence académique dans un État soumis à un pouvoir totalitaire 1. L’Allemagne nazie représente, évidemment, un cas extrême. Mais le problème posé est plus général et concerne aussi les historiens des sociétés démocratiques. Je pense en effet qu’une bonne partie de leurs écrits sur l’histoire, passés ou présents, peuvent être considérés comme des discours de justification 2, destinés à défendre leurs propos antérieurs, leur position académique, leurs ambitions ou leur notoriété. Précisons d’emblée que cette hypothèse n’implique aucune forme de dénonciation. Les pratiques de justification font partie, à mes Comment on récrit l’histoire. Les usages du temps dans les Écrits sur l’histo... Revue d'histoire du XIXe siècle, 25 | 2002 1 yeux, des contraintes qui pèsent sur notre métier. L’important est de les clarifier, de les expliciter, de façon à pouvoir les discuter en connaissance de cause. 2 Pour essayer de vous convaincre de l’intérêt de ce genre d’analyses, j’ai choisi un exemple dont il n’est pas besoin de souligner l’importance : l’ouvrage de Fernand Braudel intitulé Écrits sur l’histoire 3. Ce livre présente un triple intérêt pour la question qui nous occupe aujourd’hui. Le premier tient évidemment au privilège que l’auteur accorde à la réflexion sur le « temps de l’histoire ». Le deuxième concerne l’importance accordée à l’interdisciplinarité. L’ouvrage plaide en effet pour une meilleure communication entre l’histoire et les sciences humaines et propose des solutions pour qu’elles adoptent un vocabulaire et même un langage communs. Le troisième intérêt de ce livre est lié à la réception de ses thèses, notamment le fameux concept de « longue durée ». Comment expliquer le formidable écho qu’il a rencontré, non seulement chez les historiens, mais plus généralement dans l’ensemble des sciences sociales et chez les philosophes ? J’aborderai ces problèmes en mobilisant les instruments d’analyse qui sont propres au « métier d’historien ». C’est, à mon sens, la contribution la plus utile que nous puissions fournir à la réflexion collective sur les problèmes que l’on appelle souvent « épistémologiques ». Un problème de chronologie 3 Respectueux des règles élémentaires de la méthode historique, telles qu’elles ont été codifiées en France par Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos à la fin du XIXe siècle 4, j’envisagerai l’ouvrage de Braudel comme un document qu’il faut soumettre aux diverses opérations dites « analytiques », notamment la critique « externe » et la critique « interne ». Pour un exposé sur le « temps » il fallait, évidemment, commencer par dater le document. Rien de plus simple en apparence. L’éditeur nous fournit l’information gracieusement, grâce à l’« achevé d’imprimer » (octobre 1969) qui figure en fin de volume. L’auteur lui-même nous donne les moyens d’être plus précis. Braudel a mis la dernière main à l’avant-propos le 16 mai 1969, au moment où il achevait « d’en lire les épreuves » 5. Comme ce livre est un recueil de textes que Braudel a écrits entre le milieu des années 1940 et le début des années 1960, il existe naturellement un décalage entre la date où ils ont été publiés pour la première fois et la date de leur réédition aux éditions Flammarion. Mais l’auteur lui-même nous invite à ne pas en tenir compte. Dans l’avant- propos, il précise qu’à l’exception de « minimes corrections matérielles », « ces quelques pages paraissent sous leur forme originale et avec leur date ». Il ajoute qu’en relisant ces écrits d’un seul jet, il a pu constater qu’ils formaient bel et bien un tout homogène 6, centré sur la question de « la nature même de l’histoire ». Plus précisément, la cohérence des Écrits est fournie par la notion de « longue durée », autour de laquelle, affirme Braudel, l’histoire et les sciences de l’homme peuvent fabriquer le langage commun dont elles ont besoin. 4 Sans mettre en doute la « sincérité » de l’auteur, nous ne pouvons pas ignorer, nous qui avons été formés à la critique documentaire, que des corrections matérielles si « minimes » soient-elles altèrent la nature d’un document historique. Lorsqu’on examine l’immense littérature qui a été consacrée à l’œuvre de Fernand Braudel, on constate que c’est seulement après la parution de cet ouvrage que les analyses sur sa « conception de l’histoire » ont pris naissance. C’est le premier résultat auquel a abouti la réunion en un volume de textes choisis par Braudel parmi d’autres, textes parus initialement dans des publications très diverses et très dispersées (revues savantes, brochure, encyclopédie, extrait d’ouvrage…). À partir de 1969, chacune de ces études prend son sens par rapport Comment on récrit l’histoire. Les usages du temps dans les Écrits sur l’histo... Revue d'histoire du XIXe siècle, 25 | 2002 2 au nouvel ensemble dans lequel elle s’inscrit. Ce regroupement des textes dans un même espace matériel a considérablement facilité leur confrontation. Ceux qui n’auraient pas eu le temps d’aller fouiner dans les bibliothèques pour retrouver les études originales ont pu disposer, grâce à Fernand Braudel lui-même, d’un « instrument de travail » d’autant plus utile que l’ouvrage a été publié d’emblée dans une collection de poche ; ce qui a permis aux historiens de pouvoir le ranger dans leur propre bibliothèque pour une somme modeste et un faible encombrement. Le titre du livre et le nom de l’auteur constituent d’autres éléments de la mise en forme qui a contribué fortement à unifier l’objet a posteriori 7. Les « minimes corrections matérielles » dont parle Braudel ont joué leur rôle dans le travail visant à persuader les lecteurs que la réflexion sur le « temps » serait le thème unificateur de l’ouvrage. L’« avant-propos » rédigé pour cette édition va dans le même sens, on l’a vu. La transformation de ces études en « chapitres », classés en fonction d’un plan thématique, repris dans la table des matières, est un autre moyen de guider la lecture. Ce plan, inventé pour l’édition du livre, est en trois parties, comme il se doit : « Les temps de l’histoire », « l’histoire et les autres sciences de l’homme », « histoire et temps présent ». Ces titres n’ont pas été choisis au hasard. Ils confortent l’argument de l’avant-propos sur l’unité de la pensée de Braudel autour de la question du temps comme lieu privilégié du dialogue entre histoire et sciences de l’homme. 5 Pour le problème qui m’occupe ici : analyser les usages du temps dans les écrits des historiens sur le temps, il est intéressant de s’arrêter un instant sur les deux principales difficultés que pose cette mise en forme livresque. La première tient au brouillage de la chronologie. Le classement thématique adopté en 1969 aboutit à présenter les chapitres dans un ordre qui ne correspond pas à l’historicité de l’élaboration des études qu’ils « reproduisent ». Cet ordre semble suggérer que la pensée de Braudel uploads/Litterature/ rh19-419-f-braudel.pdf
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- Publié le Jan 02, 2023
- Catégorie Literature / Litté...
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