Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences rel
Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses Résumé des conférences et travaux 124 | 2017 2015-2016 Religions du Proche-Orient ouest-sémitique ancien Le Pentateuque : écriture de la Loi et évolution cultuelle Christophe Lemardelé Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/asr/1590 DOI : 10.4000/asr.1590 ISSN : 1969-6329 Éditeur École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2017 Pagination : 91-100 ISSN : 0183-7478 Référence électronique Christophe Lemardelé, « Le Pentateuque : écriture de la Loi et évolution cultuelle », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 124 | 2017, mis en ligne le 04 juillet 2017, consulté le 16 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/asr/1590 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/asr.1590 Tous droits réservés : EPHE Annuaire EPHE, Sciences religieuses, t. 124 (2015-2016) Religions du Proche-Orient ouest-sémitique ancien Christophe Lemardelé Chargé de conférences Le Pentateuque : écriture de la Loi et évolution cultuelle I l est de bon aloi de nos jours d’évoquer Spinoza et son Traité théologico-poli- tique pour rappeler comment la critique rationnelle de la Bible a commencé. Mais il s’agit uniquement de rappeler ses arguments contestant l’attribution de la Torah à Moïse, voire de souligner la clairvoyance du philosophe puisqu’il faisait déjà l’hypothèse de la période perse (Esdras) comme contexte d’écriture des textes bibliques (chapitre VIII du traité)1. Son acribie est rarement exposée amplement pour montrer comme il affrontait à son époque les contradictions profondes des récits en supposant divers historiens à l’œuvre dans des textes comme ceux des Juges ou de Samuel2 et en prenant en compte la réalité matérielle de la fixation d’un écrit par des scribes (chapitre IX du traité). Pour ce qui est du Pentateuque, Spinoza écrivait que « dans ces cinq Livres, tous les préceptes et les histoires sont racontés pêle-mêle et sans ordre ; que l’on ne tient pas compte des époques ; qu’une seule et même histoire est répétée souvent, et parfois de diverses manières… »3. 1. Nachexilische Fortschreibung ou Scribal Culture ? La théorie documentaire n’est plus guère acceptée en l’état de nos jours, mais celle dite des fragments et des compléments conserve toutefois les critères stylistiques et la notion d’école rédactionnelle inhérents à cette théorie4. Cette approche tient donc peu compte de la culture scribale des mondes anciens orientaux, mésopota- miens et ouest-sémitiques5. Pourtant, la documentation exceptionnelle de Qumrân 1. T. Römer, « D’Abraham à la conquête. L’Hexateuque et l’histoire d’Israël et de Juda », Recherches de Sciences Religieuses 103 (2015), p. 35-53 (spécialement p. 35-36). 2. « (…) la sueur me ruissellerait du front, si je tentais de concilier toutes les histoires qui se trouvent dans ce premier Livre de Samuel, afin qu’elles semblent toutes écrites et mises en ordre par un seul historien », B. Spinoza, Traité théologico-politique, Paris 2015, p. 203. 3. Ibid., p. 199. 4. T. Römer, « Zwischen Urkunden, Fragmenten und Ergänzungen : Zum Stand der Pentateuchfor- schung », Zeitschrift für die Alttestamentlische Wissenschaft 125 (2013), p. 2-24. 5. K. van der Toorn, Scribal Culture and the Making of the Hebrew Bible, Cambridge-Londres 2007. Résumés des conférences (2015-2016) 92 montre assez comme les notions d’auteur et de rédacteur ont peu à voir avec cette culture, que la vision canonique des textes, qui conduit les exégètes à s’interro- ger sans cesse sur l’existence d’un Tetrateuque ou d’un Hexateuque préexistant au Pentateuque, est quelque peu anachronique et empêche de voir la réalité plu- rielle de la composition de ces textes. À cela, il faut ajouter l’autonomie, relative mais cruciale, des livres6 avant qu’ils n’aient été reliés assez artificiellement entre eux. Le Deutéronome apparaît, par exemple, comme étant en complément et en concurrence avec l’Exode et les Nombres. Si le livre du Lévitique a trouvé en Jacob Milgrom son spécialiste, en mesure d’in- timider tout collègue par l’ampleur de son commentaire (trois volumes, 2 714 pages), le Deutéronome a le sien en la personne d’Eckart Otto. Mais la comparaison s’ar- rête là car le second ne critique pas la théorie documentaire pour en contester les apports, notamment en termes de datation basse (époque perse), il s’inscrit bien au contraire dans la filiation de Wellhausen7. C’est pourquoi, dans un article fai- sant la synthèse d’un siècle de recherches, il remet à l’honneur l’idée d’un Hexa- teuque, post-sacerdotal et post-deuteronomiste, induisant au passage l’abandon de la théorie d’une Histoire deutéronomiste puisque, selon lui, le Deutéronome n’a pu être le point de départ de cette historiographie8. S’il pense ce livre comme une unité littéraire avant tout – le Code deutéronomique révisant et développant le Code de l’alliance (Exode) –, d’ultimes rédacteurs – ce qu’il nomme une relec- ture postexilique (nachexilische Fortschreibung) – seraient toutefois intervenus afin de l’harmoniser pour l’adjoindre aux quatre autres livres se faisant suite. Le problème vient du fait que cette « nouvelle » hypothèse ne tient pas compte de la réalité matérielle de la conception des textes puisqu’elle présuppose des relectures globales, harmonisant les livres entre eux. Or, plus qu’une nouvelle hypothèse, c’est un changement de paradigme qui est nécessaire. Ce que l’on peut surtout dire des livres bibliques est qu’ils furent diversement développés, cela de manière bien plus empirique que programmatique, en dehors de toute conception protocanonique. En comparant les Nombres au Deutéronome, on voit comment deux livres d’un même ensemble peuvent avoir des points communs, révéler des phénomènes d’in- tertextualité, tout en manifestant des différences incontournables : les livres sont reliés, ils restent autonomes. Les deux derniers livres du Pentateuque partagent en effet des récits, principalement l’exploration du sud de Canaan et les victoires en Transjordanie contre un roi amorite et un roi du Bashân, tout en les traitant de manière spécifique. En adoptant une réflexion centrée sur un corpus protoca- nonique (Hexateuque, puis Pentateuque), on interprète ces cas d’intertextualité comme des ajouts sciemment insérés dans ces livres et on tente de les situer dans 6. M. Zahn, « Introduction : Perspectives on Editing in the Hebrew Bible and Ancient Judaism », Hebrew Bible and Ancient Israel 3 (2014), p. 295-296. 7. E. E. Meyer, « Leviticus 17, Where P, H and D Meet : Priorities and Presuppositions of Jacob Milgrom and Eckart Otto », dans R. E. Gane, A. Taggar-Cohen (éd.), Current Issues in Priestly and Related Literature. The Legacy of Jacob Milgrom and Beyond, Atlanta 2015, p. 349-367. 8. E. Otto, « The Integration of the Post-Exilic Book of Deuteronomy into the Post-Priestly Penta- teuch », dans F. Giuntoli, K. Schmid (éd.), The Post-Priestly Pentateuch, Tübingen 2015, p. 331-341. Christophe Lemardelé 93 des strates rédactionnelles quelque peu artificielles9 ; en considérant les livres de manière autonome, on est en mesure d’apprécier autrement ces répétitions. Pour les exégètes, il s’agit toujours d’envisager une source commune à deux traditions (Gn 49//Dt 33 ; Ex 20//Dt 5 ; Lv 11//Dt 14, etc.), alors que l’on peut tout aussi bien penser que les scribes recopiant les livres les augmentaient à mesure, les uns en fonction des autres, bien plus pour les compléter que pour les harmoniser10. Le cas spécifique du Deutéronome peut bien sûr être rattaché à une tradition samaritaine, dans le cadre d’une collaboration entre les autorités des deux temples du Garizim et de Jérusalem11, mais il peut tout autant être un écrit judéen originellement plus ancien qu’Exode-Nombres, conservé et progressivement actualisé par les scribes du temple. Car si le mont Garizim, lieu de culte samaritain, est mis en valeur en Dt 11 et 27 (et dans Josué), c’est sans doute en tant que lieu mythico-historique et repère géographique, en même temps qu’il est un jeu littéraire avec le mont Ébal qui lui fait face : pour l’un la bénédiction, pour l’autre la malédiction. Il faut en outre rappeler qu’à aucun moment Jérusalem n’est mentionnée dans le Pentateuque et que la concurrence entre le temple samaritain et le sanctuaire judéen n’apparaît pas. On peut expliquer l’absence de polémique de cet ordre par le fait que les évé- nements de ces livres sont censés se dérouler dans un lointain passé – les scribes tentaient de respecter une certaine temporalité. Pour ce qui est de la composition des livres et pour ne prendre que quelques exemples, le livre des Nombres montre une activité scribale quasi-permanente qui invalide de fait toute tentative d’aborder sa composition sous l’angle des strates rédactionnelles : le dernier chapitre (36) revient sur l’épisode légaliste du cha- pitre 27 afin de rectifier les conditions d’héritage des filles en l’absence de fils ; le chapitre 33 semble être le fait d’un scribe ayant senti le besoin de résumer toutes les étapes du peuple dans le désert, chapitre qui s’insère relativement mal après les premières conquêtes transjordaniennes. Quant au Deutéronome, que l’on pense avec Otto – et c’est notre cas – que les récits de l’exploration de Canaan et des batailles victorieuses contre les rois Sihon et Og aient leur version la plus ancienne dans ce livre ou non, il reste que, dans une lecture linéaire des livres, son début répète des chapitres entiers des Nombres. Cela indique donc uploads/Litterature/ le-pentateuque-ecriture-de-la-loi-et-evolution-cultuelle-asr-1590.pdf
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- Publié le Fev 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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