178 Lacan et les jouissances D’un discours qui ne serait pas du semblant (1971)
178 Lacan et les jouissances D’un discours qui ne serait pas du semblant (1971) Vers l’écriture de la jouissance sexuelle… Marcel RITTER Le séminaire intitulé D’un discours qui ne serait pas du semblant, prononcé par Lacan de janvier à juin 1971, ouvre la voie vers l’écriture de la jouissance sexuelle, articulée autour du phallus. Son axe est constitué par la distinction entre l’écrit et le langage, la lettre et le signifiant. C’est sur la ba- se de cette distinction que Lacan peut élaborer l’écriture logique des formules dites de la sexuation. Les points essentiels pour les questions relatives à la jouissance La notion de discours Le discours avec sa structure tétraédrique, telle qu’elle a été développée au cours du séminaire de l’année précédente, est une des notions clés. L’élément important par rapport à L’envers de la psy- chanalyse concerne l’écriture de la structure du discours : la place en haut à gauche, définie avant tout comme la place de l’agent, est à présent désignée de manière prévalente comme la place du semblant1. Étant donné que le terme occupant cette place détermine le titre du discours, chacun des quatre discours est nommé à partir d’un semblant. D’où l’assertion : tout discours est discours du semblant. Ce qui nous éclaire sur le titre du séminaire. Lacan s’explique d’entrée de jeu sur ce titre2. Il y reviendra brièvement au début de la dernière séance3, pour préciser que le conditionnel indique qu’il s’agit d’une hypothèse, qui est celle de tout discours. Donc, si l’énoncé « un discours qui ne serait pas du semblant » est une hypothèse, il ren- voie à un discours qui n’existe pas si ce n’est justement sous forme d’hypothèse, laquelle de ce fait 1 Lacan J. 1971. D’un discours qui ne serait pas du semblant, Le Séminaire livre XVIII, Paris, Éd. du Seuil, 2006, p. 25. 2 Ibid., p. 13-19. 3 Ibid., p. 163. Jouissance et discours 179 conditionne tout discours existant. Comme souvent, Lacan part de ce qui n’est pas pour avancer ce qui vient se loger dans cette place vide. La raison pour laquelle tout ce qui est discours ne peut que se donner pour semblant1, et que par ailleurs il n’y a pas de semblant de discours, réside dans le fait que le semblant est le signifiant en lui-même. Ainsi, le discours en tant que constitué à partir du signifiant, est en lui-même du sem- blant. Un discours qui ne serait pas du semblant n’existe pas. Ce serait un discours hors articulation signifiante, ce qui est une impossibilité. En somme, ce serait le réel à l’état pur. La référence à la logique Dans « Radiophonie »2 Lacan avait déjà avancé que sans le fait de l’écrit il serait impossible de questionner ce qui résulte de l’effet de langage, c'est-à-dire la dimension de la vérité dont le lieu est l’Autre. Dans ce séminaire il réaffirme qu’interroger la vérité dans sa demeure langagière, ce qu’il appelle « la demansion de la vérité », ne se fait que par l’écrit. Il s’agit en l’occurrence de l’écrit en tant que c’est de lui que se constitue la logique, laquelle se caractérise dès son origine par le fait de prendre la vérité comme référence3. Lacan prend appui sur la logique formelle pour l’écriture de la position sexuée de l’être parlant, et cette écriture concerne au plus près la question de la jouissance sexuelle en tant que réel. Cette écriture sera amorcée dans ce séminaire, développée l’année suivante dans … ou pire, et trouvera sa forme définitive dans Encore. Lacan retrace d’abord l’évolution de la logique formelle en trois étapes4. Il s’agit de la logique telle qu’il s’en sert pour l’usage qui lui est propre, ce qui va le conduire à y introduire un certain nombre de modifications. La logique formelle de Aristote Aristote distingue quatre propositions [UA, UN, PA, PN dans l'écriture de Lacan], deux univer- selles et deux particulières à partir de « tout » et de « quelques », l’introduction de la négation permettant de les répartir en affirmatives et négatives. À propos de cette logique Lacan se réfère également au quadrant de Peirce, où les quatre propositions d’Aristote sont reportées selon l’inscription ou non de traits verticaux et de traits obliques dans les cases. L’important réside dans la présence d’une case vide, qui concerne les deux propositions universelles. Cette case vide indi- que que la proposition universelle ne nous renseigne en rien quant à l’existence, contrairement à ce qui était soutenu depuis Aristote. La logique des quantificateurs (Boole et Morgan) Elle introduit une nouvelle écriture des quatre propositions d’Aristote où les termes « tout » et « quelques » sont remplacés par des lettres, les quantificateurs : le quantificateur universel ∀, signi- fiant « tout », et le quantificateur existentiel ∃, signifiant « il existe ». Cette nouvelle écriture permet 1 Ibid., p. 15. 2 Lacan J. 1970. « Radiophonie », in Autres écrits, Paris, Éd. du Seuil, 2001, p. 416-417. 3 Lacan J. D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., 2006, p. 64 et 74. 4 Ibid., p. 109-111 et p. 136-141. 180 Lacan et les jouissances de dire dans quelle mesure un x pris comme inconnu et précédé du quantificateur universel ou exis- tentiel pouvait satisfaire, c'est-à-dire donner valeur de vérité à un rapport de fonction F(x) où x est pris comme variable. Elle donne lieu à quatre formules, que Lacan propose d’écrire de la manière suivante : € ∀x.F(x) : universelle affirmative € ∀x.F(x) : universelle négative € ∃x.F(x) : particulière affirmative € ∃x.F(x) : particulière négative Cette manière, nouvelle, d’écrire la deuxième et la quatrième formule s’inscrit dans les modifica- tions introduites par Lacan pour son élaboration des formules de la sexuation. La troisième étape concerne donc les modifications introduites par Lacan dans l’écriture des formules de la logique des quantificateurs. Ces modifications sont de deux ordres. La première consiste à placer la barre de négation de ma- nière séparée sur la fonction ou sur la quantificateur : € F(x), x ∀, pas-tout x ; x ∃, il n’existe pas de x. La deuxième remplace dans l’écriture de la fonction F par Φ le phallus, soit la fonction phallique ou la castration, ou encore « l’être ou avoir le phallus »1. La fonction s’écrit dès lors Φ(x), où Φ est le signifiant de la fonction phallique ou la jouissance, alors que la variable de la fonction inscrite en x est la variable sexuelle et désigne l’homme ou la femme comme signifiant. Φ(x) est ainsi l’écriture de la jouissance sexuelle dans son rapport avec le phallus, donc la castration. Autrement dit, le phallus est le point pivot autour duquel tourne tout ce qui concerne la jouissance sexuelle. Dans les formules que Lacan va dès lors écrire, x désigne chacun en tant qu’il existe comme sexué. Associé au quantificateur, dans la partie gauche de la formule, x est inconnu ; associé à Ф dans la partie droite, soit la fonction, x est une variable. Le fait de placer la barre de négation soit sur la fonction soit sur le quantificateur s’articule avec la distinction opérée par Lacan de deux sortes de négation, une négation forclusive et une négation discordantielle. Sans le dire explicitement dans ce séminaire, Lacan se réfère à la grammaire de Damourette et Pichon avec la distinction du discordantiel et du forclusif : ou bien la négation ex- prime l’ambiguïté (« je crains qu’il ne vienne »), et elle est discordantielle, ou bien elle soutient la contradiction, et elle est forclusive en tant que dire oui ou non2. Il reviendra sur ces deux négations l’année suivante dans le séminaire ….ou pire3. En ce qui concerne les formules, si la barre de négation est placée sur la fonction Φ(x) il s’agit d’une négation forclusive : la fonction Φ(x) est exclue, elle est dite que non, elle ne sera pas écrite. Par contre, si la barre de négation est placée sur le quantificateur, la négation est discordantielle : elle nie soit le « tous » ∀, soit le « il existe » ∃. Mais elle ne dit pas encore si la fonction Φ(x) peut s’écrire ou non. Cependant on peut toujours l’énoncer. Lacan remarque à propos des formules ca- ractérisées par cette négation discordantielle qu’il ne peut les écrire que sans les écrire, puisqu’elles reposent sur un énoncé discordantiel. 1 Lacan J. 1973. « L’étourdit », in Autres écrits, op. cit., 2001, p. 458. 2 Safouan M. (sous la direction de). 2005. Lacaniana, 2, Paris, Fayard, p. 261-262. 3 Lacan J. 1971-1972. …ou pire, séminaire inédit, 8 décembre 1971. Jouissance et discours 181 C’est autour de cette distinction que va s’articuler ce qu’il en est du rapport sexuel, soit l’impossibilité de son écriture1. Voici maintenant les quatre formules inédites, proposées par Lacan dans ce séminaire : ∀x.Φ(x) : pour tout x la fonction Φ(x) peut s’écrire ou tout x est inscriptible dans la fonc- tion Φ(x). x ∀.Φ(x) : ce n'est pas de tout x que la fonction Φ(x) peut s'inscrire ou ce n’est uploads/Litterature/ ritter-vers-l-x27-ecriture-de-la-jouissance-sexuelle-pdf.pdf
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- Publié le Jul 29, 2022
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