L'HOMME SANS QUALITÉS DU MÊME AUTEUR Les Désarrois de l'élève Torless Seuil 196

L'HOMME SANS QUALITÉS DU MÊME AUTEUR Les Désarrois de l'élève Torless Seuil 1960 a« Points », n° P6 Trois femmes suivi de Noces Seuil 1962 a« Points », n° P9 Œuvres pré-posthumes Seuil 1965 a« Points Roman », n° R421 Journaux Seuil tom~ L tom~ IL 1981 Essais Seuil 1984 Théâtre Les Exaltés, Vincent et l'amie des personnalités Prélude au mélodrame « Le Zodiaque» Seuil 1985 Lettres Seuil 1987 Proses éparses Smil1989 a « Points Roman », n' R 482 Robert Musil L'HOMME SANS QUALITÉS tome 1 Traduit de l'allemand par Philippe Jaccottet Éditions du Seuil TEXTE INTflGRAI. TIT-RE OR 1 G 1 NAL Der Ma .... oh .. e Eigmschaftm flDITEUR ORIGINAL Rowohlt Verlag, Hambourg ISBN 2-02-023815-2, tome 1 (ISBN 2-02-023905-1, édition complète) (ISBN 2-02-005189-3, édition brochée, tome 1 ISBN 2-02-006073-6, 1 R édition poche, tome 1) © &litions du Seuil, 1956, pour la traduction française et 1995 pour la présentation Le Code de 1. proprim' intellectuelle interdit les copies ou reproductions des<inét5 à une util;"'ion collective. Tou", représentation ou reproduction intégrale ou partielJc wte pa' qudque procédé que '" soit, sans le consenn:men. de l'""""" ou de ses .yan .. cause. es< iUici", e. colt"i.ue une conm&çon sancrionnée par les artides L 335-2 et suivan .. du Code de la propriété intellectudle. PR~SENTATION PAR JEAN-PIERRE MAUREL A la fin des années 20, le public allemand est effarou- ché par le premier volume de L'Homme sans qualités. Mal- gré l'incontestable succès critique, il n'achète pas. (éditeur rechigne (donc) à publier la suite « si ne s'instaure pas un succès plus grand ». Devant le péril, Thomas Mann écrit une « Invitation à lire Musil» dans laquelle il tente de saborder, avec un enthousiasme peut-être forcé, la réputa- tion d'intellectualisme du livre. Quelques années plus tard, en septembre 38, Mann est à Princeton et note dans son Journal: « De bonne heure, épuisé, au lit; lu seule- ment quelques pages du livre intellectuel de Musil! » C'est ainsi qu'on forge des réputations ... Celle qui. précède les grands livres en diffère souvent la lecture. On les fuit longtemps. Enfin, on se sent armé de l'épée de la maturité, enfin on se retourne contre eux, on talonne son vieux désir enfoui et l'on affronte d'abord, à l'entrée de la grotte, leur monstrueuse renommée. Avec la volonté ambiguë de la tuer, comme le saint tue le dragon de sa lance. L'Homme sans qualités interdit tout espoir de triomphe dès les premières pages. Les idées sont tirées des événe- ments comme la larme d'alcool du négligeable moût ini- tial, les pensées diffusent leurs essences rares jusqu'au sein de la trivialité, les réflexions philosophiques sur les théo- ries en cours et sur l'humaine condition gangrènent les personnages, qui n'ont d'autre fonction que de les vomir en torrents de flammes glacées, rarement brûlantes. Intel- lectuel, ce roman? Mais oui, intellectuel: le dragon est la grotte. Et la grotte est l'Autriche, cette Autriche impériale de l'aigle à deux têtes qui, à la veille de la Première Guerre mondiale, refuse toujours de considérer sa fin comme iné- luctable et se distrait dans des fastes qui ont le souffle court du nonagénaire François-Joseph mais n'en sont pas moins gais, débonnaires et moustachus, tandis que commence à siffler la marmite de ce qu'on appellera « la joyeuse apocalypse ». Telle est la première partie, cynîque, lucide, cruelle, de L'Homme sans qualités: Ulrich, poussé par son père, prend la tête du Comité chargé d'organiser le soixante-dixième anniversaire de r avènement de François-Joseph, en aoCit 1913. Coccasion, n'est-ce-pas, de poser lés questions essentielles: qu'est-ce que l'Autriche? Comment peut-on être autrichien? Au fait, qu'est-ce qu'un homme et que signifie son insertion dans la structure sociale et politique d'une nation? Au fait, l'Autriche est-elle une nation? En cet anniversaire, quel message, quelle grande lumière devrait-elle donner au monde? N'a-t-elle pas en effet vocation (avec ou sans l'Allemagne?) de sauver la civilisa- tion, par la pensée, par l'art, par la science? Par son génie politique? Un si long règne! Si protecteur! Si tolérant, dahs le fond! Que voilà de beaux chantiers ouverts, où doivent s'ébattre les travaux du Comité 'recnité par Ulrich, véri- table microcosme de la société viennoise; du comte au militaire, du politicien à l'artiste, du financier à la demi- mondaine. Or, le Comité patauge dans ces chantiers dont il fait de la boue qui éclabousse l'Autriche et le monde de diamants aussitôt ternis, de perles aussitôt mortes. Le Comité patauge et touille, touille, brillamment, élégam- ment, aristocratiquement, intelligemment, touille les pen- sées que les uns et les autres lui apportent. Ce qui émerge II de ce brassage, oh! tant d'intelligence pour un si affreux mélange - contenter tout le monde, n'est-ce-pas? - ce qui émerge, à travers ambitions, conflits de pouvoirs, argent, arrière-pensées, prétentions et vanités, bureaucratie enva- hissante, opinion toute-puissante, lâchetés et autres affa- dissements, derniers jeux de cour .... premier grand jeu de massacre, c'est la figure, épatée d'un sourire niais, du monde moderne s'écoulant mornement d'entre les cuisses jouisseuses de l'empire moribond. Pourquoi ce gâchis? Trop d'intelligence? .. Pour comprendre la férocité désespérée de Musil face à cet accouchement du néant, il faut se remettre dans l'état d'esprit de l'écrivain autrichien pendant toute l'intermi- nable rédaction du roman, du début des années 20 jus- qu'au milieu des années 30, date à laquelle le livre est définitivement ... inachevé. Pendant toUteS ces années, Musil contemple l'Autriche. IlIa contemple avec l'acuité douloureuse de ses quarante puis cinquante ans, avec toute la puissance d'un véritable esprit contemplatif, pour se heurter sans cesse à l'obsédante question qui fait la matière même de L'Homme sans qualités: qu'est-il arrivé à l'intelligence ? C'est que l'intelligence mondiale et la pensée univer- selle ont élu domicile à Vienne, vers 1880, pour forger en quelque trente ans ce que l'on appelle - pour une unique fois à juste titre - la modernité: révolution dans les théo- ries sociales et politiques, révolution dans les sciences et les sciences humaines, révolution dans la linguistique, les mathématiques et la logique, la philosophie et les arts, la musique et la littérature ... Nulle part au monde et à aucune époque, on ne fut plus intelligent. Ainsi, derrière les valses, derrière la pacotille du kitsch, derrière la survi- vance fantomatique d'une cour impériale, derrière l'aveu- glement bourgeois et la misère des masses, derrière la théâtrale façade, s'élaborait dans un gigantesque labora- III toire d'idées ... quoi? Qu'est-ce donc qui s'élaborait, puisque l'écrivain Musil n'a plus qu'un champ de ruines à contempler? Dès la Première Guerre mondiale et jusqu'à la veille de la Seconde, ce ne sont plus que suicides et exils, exils et suicides, dans une Autriche complètement ratati- née. Jusqu'à ce que Musil lui-même s'exile à Genève. Quelque chose s'élaborait-il ou quelque chose se désa- grégeait-il sous les coups de boutoir de l'intelligence? Où se trouve le secret délétère de cette faillite? Musil charge son personnage, Ulrich, de mener l'enquête. Et que fait-on dans ces cas-là? On constitue un dossier. Sentant venir les temps de la bêtise .-:. nous sommes donc en août 1913 - Ulrich propose au Comité la seule tâche digne de lui: «constituer le commencement d'un inventaire spiri- tuel général! Nous devons faire à peu près ce qui serait nécessaire si l'année 1918 devait être celle du Jugemen,t dernier, celle où l'esprit ancien s'effacerait pour laisser la place à un esprit supérieur. Fondez, au nom de Sa Majesté, un Secrétariat mondial de l'Âme et de la Précision. » Telle est l'ambition de Musil-Ulrich, et ici le concept de précision n'est pas moins important que celui d'âme, face à l'opinion, inépuisable, niveleuse,. informe. L'Homme sans qualités est l'histoire de l'échec de cette ambition immense. C'est que les pensées (( ne peuvent pas plus rester per- pétuellement debout que les soldats à la parade, en été; quand elles doivent trop attendre, elles perdent connais- sance et s'écroulent». L'Homme sans qualités retentit page après page du bruit terrible de ces écroulements, pensée après pensée. Et l'on pardonnera à Musil d'avoir désin- carné tous ses personnages et de les àvoir transformés en simples supports d'idées. Si le roman en souffre comme roman, le roman revient, avec quelle force, à la fois dans les passions de l'intelligence, qui ne le cèdent en rien à celles du sentiment et des sens, et dans l'effondrement IV imperturbable de ces personnages-supports. Car ils s'effondrent tous, comme autant de catastrophes de l'intelligence; l'un tombe dans l'impuissance créatrice, un autre dans la folie, un troisième dans le crime ... Antici- pant de quelques années, Musil écrit: « Mille neuf cent vingt années de morale chrétienne, une guerre catastro- phique avec des millions de morts et toute une forêt de poésies allemandes dont les feuillies avaient murmuré la pudeur de la femme, n'avaient pu retarder, ne fût-ce qu'une heure, le jour où les robes et les cheveux des femmes commencèrent à raccourcir et où les jeunes filles européennes, laissant tomber les interdits millénaires, apparurent un instant nues comme des bananes pelées. » Prenons garde d'interpréter ces lignes comme une uploads/Litterature/ robert-musil-tome-1-seuil-1995.pdf

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