Académie de Versailles – Inspection pédagogique régionale de lettres – mars 201
Académie de Versailles – Inspection pédagogique régionale de lettres – mars 2014 1 Récits d'enfance et d'adolescence : scènes d'école Série professionnelle Problématique : l’école : une chance ? quelle chance ? Panaït ISTRATI, Mes départs (1928) L'histoire se déroule en Roumanie. Le narrateur a douze ou treize ans. Il vient d'obtenir son certificat de fin d'études obligatoires. Sa mère, pauvre et seule, ne peut l'envoyer au lycée. Je n'ai point aimé l'école, pour laquelle mes aptitudes ont toujours été médiocres, sauf en une seule matière, la lecture, qui m'a régulièrement valu la note la plus élevée. M. Moïssesco, à la bonté duquel je suis redevable d'avoir terminé mes quatre classes primaires, s'acharnait à voir en moi un élève au tempérament prometteur et me faisait lire devant tous les inspecteurs scolaires. Là encore, bel enseignement à tirer pour ceux qui se consacrent à l'instruction publique, à cette mégère qui ne comprend rien à l'âme de l'enfant, qui le fait marcher au son du tambour battant et à coups de fouet. [...] Moi, à sept ans, j'eus la malchance de me trouver livré à un barbare qui nous battait pour un rien. Résultat : la moitié de la classe fuyait l'école. Nous allions dans les marécages, ou, pendant l'hiver, jouions à la luge. Naturellement, je redoublai ma classe, et me retrouvai, l'année suivante, avec un maître plus fou que le précédent. Il nous décrochait les oreilles, nous blessait les mains à coups de verge, nous giflait au point de nous faire saigner du nez. Souvent, nous mettant à genoux sur des grains de maïs sec, il nous laissait dans cette position de midi à deux heures et faisait sauter notre déjeuner. Presque toute la classe déserta, d'un bout à l'autre de l'année. Enfin, à l'ouverture de ma troisième année scolaire, nous en étions toujours à l'alphabet, quand vint le tour du directeur de nous prendre en main. Je n'oublierai jamais le changement de tactique qui se produisit, ce jour-‐là, sous nos yeux étonnés. Il n'y eut ni cris ni menaces. Nous rassemblant tous, « les récalcitrants », M. Moïssesco nous dit, assis sur un pupitre, au milieu de la classe : -‐ Alors, c'est vrai que vous ne vouliez pas apprendre ? -‐ Non ! Ce n'est pas vrai, monsieur ! On nous battait ! -‐ Eh bien ! Moi, je ne vous toucherai pas même du doigt, mais, si vous n'apprenez rien, sachez que le ministre me mettra à la porte... Vous me ferez perdre ma place... On dira que je suis un directeur incapable... -‐ Nous apprendrons, monsieur ! Académie de Versailles – Inspection pédagogique régionale de lettres – mars 2014 2 Et nous avons appris, en effet. Nous avons passé d'une classe à la suivante, jusqu'à la quatrième, guidés par notre bon M. Moïssesco. Que son âme soit assise à la droite du Seigneur ! Sans lui, j'aurais peut-‐être échoué dans quelque maison de correction. Et l'idée d'aller au lycée pendant sept ans, d'y tomber sur des brutes autrement terrifiantes, d'user mon adolescence à briguer un problématique bachot dont maints possesseurs ne savaient que faire, non, cela ne me disait rien. […] Par un matin de triste octobre, sitôt ma mère partie au travail, je sortis moi aussi, à son insu. Je faisais mes premiers pas dans l'arène où la lutte est ardue pour le pauvre. J'avais le cœur gros, car je sentais que les belles années de ma libre enfance avaient pris fin. Finie cette enfance qui fut joyeuse, malgré tout le sang que j'ai vu couler autour de moi, malgré les larmes et la rue peine de ma mère. Maintenant, je voulais gagner ma vie, ne plus être à sa charge, et, si possible, de temps en temps, « verser mon pécule dans son tablier ». Ce désir m'obsédait depuis longtemps. Alors que j'allais encore à l'école, je m'arrêtais souvent pour regarder les pauvres gamins au visage bleu et aux mains crevassées, qui grelottaient l'hiver, devant les magasins, et tiraient les clients par la manche, en vantant à cris désespérés la qualité des marchandises. Je leur parlais longuement lors des divers achats domestiques, je connaissais leurs souffrances et les jugeais supérieurs à moi : -‐ Ils travaillent déjà, me disais-‐je ; leurs parents doivent être contents de ne plus les avoir à charge. L'année prochaine, je ferai comme eux. Cette année-‐là était arrivée. Académie de Versailles – Inspection pédagogique régionale de lettres – mars 2014 3 Nathalie SARRAUTE, Enfance (1983) « Vous raconterez votre premier chagrin. « Mon premier chagrin » sera le titre de votre prochain devoir de français. » -‐ N’est-‐ce-‐pas plutôt rédaction qu’on disait à l’école communale ? -‐ Peut-‐être… en tout cas, cette rédaction-‐là ou ce devoir de français ressort parmi les autres. Dès que la maitresse nous a dit d’inscrire sur nos carnets « Mon premier chagrin », il n’est pas possible que je n’aie pas pressenti… je me trompais rarement… que c’était un « un sujet en or » … j’ai dû voir étinceler dans une brume lointaine des pépites… les promesses de trésors... J’imagine qu’aussitôt que je l’ai pu, je me suis mise à leur recherche. Je n’avais pas besoin de me presser, j’avais du temps devant moi, mais j’avais hâte de trouver… c’est de cela que tout allait dépendre… Quel chagrin ? -‐ Tu n’as pas commencé par essayer, en scrutant parmi tes chagrins… -‐ De retrouver un de mes chagrins ? Mais non, voyons, à quoi penses-‐tu ? Un vrai chagrin à moi ? vécu par moi pour de bon… et d’ailleurs, qu’est-‐ce-‐que je pouvais appeler de ce nom ? Et quel avait été le premier ? Je n’avais aucune envie de me le demander… ce qu’il me fallait, c’était un chagrin qui serait hors de ma propre vie, que je pourrais considérer en m’en tenant à bonne distance… cela me donnerait une sensation que je ne pouvais pas nommer, mais je la ressens maintenant telle que je l’éprouvais … un sentiment… -‐ De dignité peut-‐être… c’est ainsi qu’aujourd’hui on pourrait l’appeler… et aussi de domination, de puissance… -‐ Et de liberté … Je me tiens dans l’ombre, hors d’atteinte, je ne livre rien de ce qui n’est qu’à moi… mais je prépare pour les autres ce que je considère comme étant bon pour eux, je choisis ce qu’ils aiment, ce qu’ils peuvent atteindre, un de ces chagrins qui leur conviennent… -‐ Et c’est alors que tu as eu cette chance d’apercevoir… d’où t’est-‐il venu ? -‐ Je n’en sais rien, mais il m’a apporté dès son apparition une certitude, une satisfaction… je ne pouvais pas espérer trouver un chagrin plus joli et mieux fait… plus présentable, plus séduisant… un modèle de vrai premier chagrin de vrai enfant… la mort de mon petit chien… quoi de plus imbibé de pureté enfantine, d’innocence. Aussi invraisemblable que cela paraisse, tout cela je le sentais… -‐ Mais est-‐ce invraisemblable chez un enfant de onze ans ? Tu étais dans la classe du certificat d'études -‐ Ce sujet a fait venir, comme je m'y attendais, plein d'images, encore succinctes et floues, de brèves esquisses... mais qui me promettaient en se développant de devenir de vraies beautés... Le jour de mon anniversaire, oh quelle surprise, je saute et bats des mains, je me jette au cou de papa, de maman, dans le panier une boule blanche, je la serre sur mon cœur, puis nos jeux, où donc ? mais dans un beau grand jardin, prairies en fleur, pelouses, c'est celui de mes grands-‐parents où les parents et mes frères et sœurs passent les vacances... et puis viendra l'horreur... la boule blanche se dirige vers l'étang. Académie de Versailles – Inspection pédagogique régionale de lettres – mars 2014 4 -‐ Cet étang que tu avais vu sur un tableau, bordé de joncs, couvert de nénuphars... -‐ Il faut reconnaître qu'il est tentant, mais voici quelque chose d'encore plus prometteur... la voie ferrée... nous sommes allés nous promener de ce côté, le petit chien monte sur le remblai, je cours derrière lui, je l'appelle, et voici qu'à toute vitesse le train arrive, l'énorme, effrayante locomotive... ici pourront de déployer des splendeurs... -‐ Maintenant c'est le moment... je le retarde toujours... j'ai peur de ne pas partir du bon pied, de ne pas bien prendre mon élan... je commence par écrire le titre... "Mon premier chagrin"... il pourra me donner de l'impulsion.... Académie de Versailles – Inspection pédagogique régionale de lettres – mars 2014 5 Nathalie SARRAUTE, Enfance (1983) La narratrice, âgée d'une dizaine d'années, est bonne élève, particulièrement en français, et rêve de devenir institutrice. Dans les grandes feuilles de papier bleu qui servent à recouvrir mes cahiers et mes livres, je découpe de petits carrés que je plie et replie comme on me l'a appris pour en faire des cocottes en papier. Sur la tête de chacune, j'inscris d'un côté le nom et de l'autre le prénom d'une élève de ma classe : trente en tout et je suis l'une d'entre elles. Je uploads/Litterature/ ecole-recits-enfance-adolescence-2.pdf
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- Publié le Mai 20, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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