39 Maria Gubińska Université Pédagogique de Cracovie, Pologne Résumé : Dans le

39 Maria Gubińska Université Pédagogique de Cracovie, Pologne Résumé : Dans le champ littéraire maghrébin, un grand nombre de romans ont pour thème le drame de l’immigration et l’itinéraire tragique de ceux qui réussissent à franchir les frontières des pays du Nord. Ce sujet d’actualité touche les rapports entre les rives nord-sud de la Méditerranée ainsi que la fascination qu’exerce l’Europe perçue comme une terre édénique dans l’imaginaire de l’exil. Au fil de la fiction, la représentation des espaces se tisse dans la bipolarité opposant le Nord (libre et prospère) au Sud (marqué par le chômage et la corruption). Les écrivains s’appuient souvent sur la parabole considérée comme un procédé efficace pour traiter de la problématique de l’Autre et un espace idyllique. Dans notre communication, nous nous pencherons sur le roman parabolique de Tahar Ben Jelloun où le destin de ceux qui vivent encore « les yeux baissés » (surtout les femmes) sur un territoire qui n’est ni la terre natale, ni le pays d’adoption, acquiert une dimension universelle. Mots-clés : littérature maghrébine de langue française, immigration, choc des cultures, quête identitaire, Tahar Ben Jelloun, altérité Abstract : The theme of emigration occupies an important place in the contemporary French language literature of the Maghreb. Leaving the home place, a dramatic rip between two worlds, two cosmoses: the native South, (economically poor, yet private and tamed) and the foreign North (rich in material wealth and promising bliss) has also personally affected the life of Tahar Ben Jelloun, a Moroccan poet and prose writer, writing in French. His novel-parable Les yeux baissés, stems from these experiences ; it depicts a universal truth of the fate of an emigrant (the main character is a young, Moroccan girl), no longer capable of feeling at home in any of the worlds, despite the sense of suffering and despite feeling lost. Such a (parabolic) kind of novel reveals the ambiguity of the relation between I and the Other. It makes it possible to identify a process of transition from one culture to another, the one that constitutes an inevitable part of emigration experience, and the one that brings about difficulties in defining one’s identity. Key words : French language literature of the Maghreb, immigration, clash of cultures, search for identity, Tahar Ben Jelloun, otherness Tahar Ben Jelloun, par sa formation universitaire (sa thèse de doctorat en psychiatrie sociale qui portait sur les problèmes d’adaptation des émigrés maghrébins en France, a été publiée en 1977 sous le titre La Plus Haute des Solitudes, un essai sur la place des immigrés dans la société française, Hospitalité française a été édité en 1984) et son Roman parabolique sur l’immigration féminine marocaine en France : Les yeux baissés de Tahar Ben Jelloun Synergies Pologne n° 8 - 2011 pp. 39-45 40 activité professionnelle, est voué à la connaissance des problèmes du déracinement, du déchirement entre « ici » et « là-bas ». Et pourtant, cet auteur d’ouvrages scientifiques doit sa renommée à ses romans, pièces de théâtre et poèmes où la solitude, la réclusion, la marginalisation des héros sont soumises à la fiction narrative qui, selon Marc Gontard, est « un refus de l’univocité narrative, règle d’or du récit réaliste, et la pratique d’une narration plurielle par le biais du système des délégations des voix » (Gontard, 1993 : 7). La voix de Ben Jelloun est très intéressante car elle est métissée, croisée ; inscrite dans la tradition marocaine, elle est en même temps postmoderne, choquante pour le lecteur habitué au récit classique. Cette méfiance vis-à-vis des pratiques littéraires conventionnelles, correspond, pour rappeler encore une fois Gontard, à son désarroi profond envers la société marocaine, ou même sa décomposition. Dans Les yeux baissés, Ben Jelloun reprend un thème abordé à plusieurs reprises dans son écriture, thème auquel, lui aussi, il s’identifie : il s’agit du problème des immigrés maghrébins en France qui cherchent leur identité impossible (Gontard, 1993 : 8-9). La question se complique parce que le personnage central de son récit est une jeune fille marocaine ce qui rend sa quête identitaire encore plus difficile vu le statut de la femme dans la culture arabo-musulmane. On dirait une histoire simple, banale, décrite maintes fois, ennuyeuse à cause de l’inflation des récits sur le même thème. Et pourtant, ce roman ne déçoit pas son lecteur, au contraire, il est attirant pour ne pas dire fascinant. Ben Jelloun présente l’histoire d’une jeune fille à deux degrés : le premier correspond à celle d’une jeune fille de dix ans, qui est aussi la narratrice du récit et qui habite son village berbère du Sud marocain où elle mène une vie monotone, sans aucune perspective, entre sa mère, son frère et la tante qui est l’incarnation du mal et de la malédiction. Son père (comme les autres) est parti travailler en France et retourne dans son village une fois par an pour apporter de l’argent et des cadeaux à sa famille. Après la mort du son fils, Driss (frère de la narratrice) due à l’empoisonnement par sa tante, le père décide de quitter son village où la malédiction a fait de terribles ravages et installe sa famille dans un quartier parisien où habitent un grand nombre d’immigrés; La Goutte- d’Or. Paris devient le lieu de la fascination et de la répulsion ; lieu de la joie et de l’humiliation. La famille de la petite paysanne revient encore deux fois dans son village natal, mais finalement, elle repart en France. Eux aussi, comme leur fille, cherchent un lieu auquel ils pourraient s’identifier. Au second degré apparaît un autre récit qui est selon Saïgh-Bousta « merveilleux et singulièrement étrange. Il s’agit de la quête d’un trésor : la narratrice serait désignée par le destin pour guider la tribu vers le lieu secret où ce trésor aurait été enseveli par un ancêtre il y a un siècle. Ainsi, les récits se chevauchent : d’une part drame et souffrance, de l’autre espoir et attente » (Saïgh-Bousta, 1996 : 184). Ces deux récits se complètent, s’enchevêtrent, prennent vers la fin du roman un rythme accéléré pour dérouter le lecteur et l’installer dans un univers magique où la frontière entre le réel et l’imaginaire s’estompe. Tout d’un coup, le récit, rappelons encore une fois Saïgh-Bousta Synergies Pologne n° 8 - 2011 pp. 39-45 41 « bifurque vers des histoires étranges, déployant le monde secret d’êtres au profil insolite (chapitres 11 à 15). La narratrice se libère progressivement par l’errance à travers d’autres mémoires. La narration qui s’effectuait jusqu’alors à la troisième personne bascule vers une voix souvent indéterminée, caractéristique de l’ambiguïté de l’écriture de Ben Jelloun » (Saïgh-Bousta, 1996 : 184). Cette variété de la représentation narrative est efficace car elle reflète le chaos des pensées de la narratrice, qui, rappelons-le, est en recherche permanente de son identité. Pour mettre en relief le sens profond de la parabole qui est de retrouver sa plénitude et sa place dans la société européenne en tant que femme immigrée marocaine, il faut passer par plusieurs étapes et montrer plusieurs repères pour retrouver son identité. La route est longue et difficile. L’écrivain qui est profondément ancré dans la situation (il s’agit de sa propre expérience en tant qu’immigré marocain), utilise des procédés classiques de la parabole qui est, selon Grand Dictionnaire Larousse, la comparaison développée dans un récit et qui sert de voile à une vérité, à un enseignement. Elle est une figure rhétorique qui cache derrière une courte histoire composée des événements quotidiens, une leçon de morale qui doit servir à démontrer une vérité universelle ou spirituelle. Chez Ben Jelloun, ces événements quotidiens correspondent à une série de faits ordinaires qui ont lieu aussi bien dans le village natal de la narratrice que dans le quartier parisien de La Goutte-d’Or. Ils cachent la triste vérité sur le destin des immigrés marocains en France, mais aussi le problème de chaque immigration. Ben Jelloun va encore plus loin, il se sert aussi de l’histoire d’un trésor, l’histoire munie d’ornement magique, insolite et en même temps inscrite dans le quotidien du village marocain frappé de malédiction. En aucun cas, ces deux tonalités apparemment antithétiques ne s’excluent. Au contraire, l’auteur accentue d’une façon plus forte et originale le destin des démunis, pauvres, qui sont voués (par leur choix absolument conscient) à un choc culturel et à la rencontre de l’Autre. Ainsi, ce roman parabolique acquiert une visée spirituelle qui est en relation avec des faits quotidiens qui semblent appartenir à un autre ordre. La fillette venue avec ses parents de son village berbère du Haut Atlas marocain pour s’installer à Paris, d’abord dans le quartier de la Goutte-d’Or, puis dans la banlieue (les Yvelines) est un personnage qui suit toutes les étapes de ceux, surtout de celles qui doivent trouver leur place dans un pays d’accueil. Son histoire est exemplaire ; elle commence par la fascination pour terminer par le désenchantement. Selon Jacques Noiray, son histoire est « l’occasion pour le romancier d’évoquer l’apprentissage difficile d’une langue et d’une culture nouvelle, la découverte du racisme uploads/Litterature/ roman-parabolique-sur-l-x27-immigration-feminine-marocaine-en-france-les-yeux-baisses-de-tahar-ben-jelloun.pdf

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