DUPONT (Bruno), « La quête, l’inventaire et la carte. Économie du jeu d’aventur
DUPONT (Bruno), « La quête, l’inventaire et la carte. Économie du jeu d’aventure dans le roman gamer », Romanesques Revue du Cercll / Roman & Romanesque, Hors-série, 2021, Jeu vidéo et romanesque, p. 209-228 DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12548-8.p.0209 La diffusion ou la divulgation de ce document et de son contenu via Internet ou tout autre moyen de communication ne sont pas autorisées hormis dans un cadre privé. © 2021. Classiques Garnier, Paris. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays. © Classiques Garnier DUPONT (Bruno), « La quête, l’inventaire et la carte. Économie du jeu d’aventure dans le roman gamer » RÉSUMÉ – Cet article étudie le roman gamer via la série Extraleben (2008-2015, Constantin Gillies), centrée sur des ordinateurs obsolètes. Ces romans pop archivent la culture vidéoludique, enregistrant des savoirs liés aux jeux du passé. L’archivage se double d’un arc romanesque dans lequel se déploie une structure de jeu vidéo d’aventure. Organisée autour de la quête, elle consiste à parcourir l’espace, conçu telle une carte vidéoludique, à la recherche d’objets pour résoudre des énigmes. MOTS-CLÉS – roman gamer, Constantin Gillies, jeu vidéo d’aventure, économie vidéoludique, quête DUPONT (Bruno), « Quest, inventory, map. The economy of the adventure game in the gamer novel » ABSTRACT – This article studies the gamer novel through the lens of the Extraleben series (2008–2015, Constantin Gillies), centered on obsolete computers. These pop novels archive video game culture, recording knowledge related to games of the past. The archiving is coupled with a novelistic arc in which an adventure video game structure unfolds. Organized around a quest, it consists of moving through space, conceived as a video game map, in search of objects to solve puzzles. KEYWORDS – gamer novel, Constantin Gillies, adventure video game, video game economy, quest LA QUÊTE, L’INVENTAIRE ET LA CARTE Économie du jeu d’aventure dans le roman gamer Le terme « roman gamer » ne dit probablement rien à l’immense majorité des lecteurs et lectrices contemporains. Cependant, si ils et elles suivent, même distraitement, l’actualité du cinéma, le film Ready Player One de Steven Spielberg ne leur aura pas échappé. Sorti en 2018 et ayant connu un succès appréciable, le film se base assez fidèlement sur le roman à succès du même nom1, ressortissant au créneau « young adults », et publié en 20112. Ready Player One est précisément l’exemple le plus connu du genre « roman gamer » sur lequel nous allons nous attarder dans cet article. Dans l’espace littéraire germanophone qui nous occupera, c’est l’auteur allemand Constantin Gillies qui est le fer de lance de cette catégorie, principalement pour la série dont nous allons parler, Extraleben, publiée de 2008 à 20153. Après des considérations sur le genre et le contenu de ces romans, nous nous pencherons sur leur structure, en partant du défi qu’ils posent, c’est-à-dire de faire vivre et raconter le jeu vidéo, média différent de la littérature imprimée par bien des aspects. Nous verrons que ce type de textes reprend trois composantes essentielles du jeu vidéo 1 Ernest Cline, Ready Player One, New York, Random House, 2011. 2 Dans sa très éclairante thèse de doctorat, Hélène Sellier remarque la forte représentation d’œuvres pour « jeunes adultes » au sein du roman gamer. En visant explicitement une génération qui est déjà indubitablement plus âgée que cela (« la génération Commodore 64 », comme le rappellent régulièrement l’auteur et son éditeur), les romans que nous allons traiter évitent toutefois cette classification. Cela semble indiquer que les romans gamer « young adults » soient un cas particulier, bien que majoritaire quantitativement parlant, de la tendance générationnelle du roman gamer ; cette hypothèse reste, cela dit, à vérifier. Hélène Sellier, Littérature et jeu vidéo : représentations réciproques, thèse de doctorat à l’université Paris-Est, 2019, p. 137. 3 Cette contribution reprend plusieurs analyses issues de ma thèse de doctorat, qui est mentionnée ici une fois pour toutes pour éviter une succession peu lisible de citations. Bruno Dupont, Poetik und Politik des Computers in der deutschsprachigen Literatur der Jahrtausendwende (1990-2018), thèse de doctorat à l’université de Liège, 2018. © 2021. Classiques Garnier. Reproduction et diffusion interdites. 210 BRUNO DUPONT d’aventure textuelle ou graphique : la quête, l’inventaire et la carte ; nous tenterons d’articuler ces emprunts en une économie vidéoludique qui cohabite avec l’arc romanesque. Il s’agira de comprendre, en définitive, comment cette forme vidéoludique cohabite et dialogue avec la forme romanesque traditionnelle. EXTRALEBEN DE CONSTANTIN GILLIES, PARANGON DU ROMAN GAMER EN LITTÉRATURE GERMANOPHONE En guise de préambule, il nous semble indiqué de suivre une voie par laquelle le public lecteur, s’il s’informe en ligne pour guider ses choix et achats, pourrait bien être amené à connaître l’œuvre de Gillies et souhaiter la lire. Gillies annonce en effet – et c’est une tradition depuis Extraleben4, premier volume de la série du même nom – la sortie imminente de ses ouvrages par des bandes-annonces vidéo. Si elles ont quelque peu évolué dans leur présentation au fil des années, les asso- ciations qu’elles convient sont restées stables. Le quatrième et dernier roman de la série, Retroland5, avait ainsi été précédé d’un court montage vidéo (moins d’une minute), où s’entrecroisent trois imaginaires culturels : le jeu vidéo, principalement dans sa version « salle d’arcade » et orienté vers le rétrogaming, le quotidien des années quatre-vingt à début nonante, perçues comme un espace de liberté avant une vague de bienséance stérile, ainsi que les complexes militaires liés à la guerre froide. Ce mélange, comme le remarque un utilisateur sous la vidéo, annonce assez fidèlement le contenu du livre, dont la sortie a été une surprise car Gillies avait au départ annoncé une trilogie. Retroland est en effet le nom d’un parc d’attraction qui ressuscite fidèlement la culture et l’état d’esprit des années 80. L’endroit est situé en Syldavie, pays fictif des Balkans (repris de la célèbre aventure de Tintin intitulée Le Sceptre d’Ottokar). Dans cet opus, le duo de héros récurrent de la série, Nick et Kee, se trouve reformé le temps d’un séjour dans 4 Constantin Gillies, Extraleben, Winnenden, CSW, [ 2008 ] 2010. 5 Constantin Gillies, Extraleben IV : Retroland, Winnenden, CSW, 2015. © 2021. Classiques Garnier. Reproduction et diffusion interdites. La quÊte, l’inventaire et la carte 211 ledit parc. Anciens spécialistes de la récupération et du traitement de données issues de systèmes informatiques obsolètes (digital legacy), ils ont vécu dans le passé de nombreuses aventures dans le cadre de leurs fonctions, car les données sensibles qu’ils étaient amenés à examiner attiraient souvent la convoitise d’ennemis prêts à tout pour s’en emparer. Ils sont rangés depuis la fin du troisième volume, Endboss6, et entendent bien profiter tranquillement de ce retour en adolescence, petite parenthèse nostalgique dans leur vie de quadragénaires. Cependant, la situation se gâte lorsqu’Andie, leur ex-collègue, dont Kee est secrètement épris, est kidnappée après un détournement d’avion. Ses ravisseurs sont à la recherche d’un très vieux modèle de disquette d’enregistrement qu’elle a récupéré auprès de l’US Air Force dans le cadre de son travail. Quand les malfaiteurs apprennent qu’elle avait envoyé la disquette à Kee en lui demandant d’en extraire le contenu, ils se lancent aux trousses des deux amis et les pourchassent dans le parc. Comme l’indique le nom de la série, Extraleben, ou « vie bonus » en français, la reconstitution du parc fait la part belle au jeu vidéo. De la même façon, les autres romans de la série se concentrent aussi sur la culture vidéoludique en particulier, et informatique en général. D’ailleurs, le paratexte des romans renvoie très fortement à ce fonds culturel. Dans le premier volet du même nom, Nick et Kee sont tirés de leur quotidien d’éternels adolescents fans de rétrogaming par un message secret caché dans le jeu vidéo Raid over Moscow de 1984. D’énigmes en énigmes, ils découvrent la base secrète d’une firme de récupération des données, Datacorp, qui utilisait le jeu comme test de recrutement. Ils rejoignent alors l’entreprise. Les épisodes suivants, Der Bug7 et Endboss (« boss de fin »), racontent les missions risquées et rocambolesques remplies par Nick et Kee dans le cadre de ce nouveau travail de spécialistes en récupération de données. Ils y déjouent respectivement un bug ravageur ayant survécu de génération en génération d’ordinateurs et menaçant le système informatique mondial, et une machination ourdie par leur propre employeur qui envisage de tirer profit du système informatique d’un satellite menaçant d’entrer en collision avec d’autres objets en orbite. uploads/Litterature/ romanesques-2021-revue-du-cercll-roman-romanesque-hors-serie-jeu-video-et-romanesque-la-quete-l-inventaire-et-la-carte.pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2878MB