CENTRE DE RECHERCHES D'HISTOIRE ANCIENNE Volume 23 TRIBU ET CITE par Denis ROUS

CENTRE DE RECHERCHES D'HISTOIRE ANCIENNE Volume 23 TRIBU ET CITE par Denis ROUSSEL Maître de conférences à l'Université Paul Valéry de Montpellier ANNALES LITTÉRAIRES DE L'UNIVERSITE. DE BESANÇON, 193 LES BELLES LETTRES, 95, BOULEVARD RASPAIL - PARIS VIe 1976 TRIBU ET CITE ETUDES SUR LES GROUPES SOCIAUX DANS LES CITES GRECQUES AUX EPOQUES ARCHAÏQUE ET CLASSIQUE Ouvrage publié avec le concours de l'Université Paul Valéry de Montpellier AVANT-PROPOS Les travaux consacrés par les modernes aux diverses questions abordées dans cet ouvrage sont innombrables et sans doute n'ai-je pu tout lire. Panni tous ceux-là même dont j'ai pris con- naissance, j'ai dû choisir et n'ai retenu, outre ceux qui m'ont paru particulièrement bien informés, que ceux qui m'ont donné à réfléchir. Critère bien discutable, il faut en convenir, mais comment faire autrement? La bibliographie qu'on trouvera à la fin de cet ouvrage est donc sélective. Il eût fallu ùes centaines de pages pour simplement énumérer tout ce qui été écrit depuis un siècle et demi sur les origines et l'organisation des Cités grecques, ne fût-ce que sur celles de Sparte ou d'Athènes. La date des publications importe assez peu en ces matières. Les auteurs des travaux les plus récents auraient eu parfois avantage à tenir compte de certains ouvrages parus cinquante ans plus tôt. Pour l'étendue et la mise en œuvre de l'information, le gros manuel de Busolt, Griechische Staatskunde, est toujours, malgré son âge, irremplacé, sinon irremplaçable. Par la qualité de la réflexion, les Forschungen et la grande Histoire d'Eduard Meyer restent aujourd'hui aussi stimulants pour l'esprit qu'ils le furent hier et avant-hier. Usée par le temps et en grande partie ruineuse, la Cité antique de Fustel elle-même, par la grande pensée qui l'a inspirée, a gardé pour nous un grand intérêt, comme s'est plu à le reconnaître V. Ehrenberg, bon connaisseur en la matière. Et il n'est pas jusqu'à la vieille Histoire de G. Grote qui ne soit, dans le domaine qui nous intéresse ici, encore fort utile. Les références bibliographiques figurant dans les notes sont données sous une forme abrégée, mais de façon assez claire pour que l'on puisse retrouver des indications complètes dans la liste alphabétique présentée à la fin de l'ouvrage. J'ai ainsi pu éviter les innombrables mentions op. cit.. si déprimantes souvent pour le lecteur. Je n'ai pas prolongé mon enquête sur les groupes sociaux dans les Cités au delà du IVe siècle. Tout au plus ai-je inéidemment mentionné quelques documents de l'époque hellénistique. Plutôt que d'employer - comme on commence à le faire aujourd'hui en France. suivant l'exemple donné par les auteurs allemands ou anglais - l'expression cité-État, qui, je crois, ne convient pas, j'ai préféré écrire plus simplement le mot Cité avec une majuscule pour ùésigner cette forme particulière de société politique. J'ai été amené à toucher à des questions - concepts et terminologie - relevant d'une disci· pline, l'ethnologie ou l'anthropologie, qui ne m'était pas famiIiere. Si je m'y suis risqué, c'est beaucoup parce que j'ai été à maintes reprises conseillé dans mes lectures, avec une amitié chaleu- reuse, par Roger Bastide, anthropologue éclairé et éclairant s'il en fut, qui aujourd'hui n'est plus. Ma reconnaissance va aussi à M. Pierre Lévêque, qui m'a encouragé à persévérer dans une entreprise difficile, et à Mlle E. Demougeot, grâce à laquelle j'ai pu trouver à Montpellier les meilleures conditions de travail pour, dans la mesure de mes moyens, la mener à terme. En outre les observations présentées. lors de la soutenance de cette thèse, par M..M. R. Martin, J. Pouilloux, Ed. Will et Et. Bernand m'ont été fort utiles et je les en remercie. INTRODUCTION On distingue couramment, dans le monde grec archaïque et classique, deux sortes d'organi. sations politiques, l'Ethnos, tenne pour lequel il est difficile de trouver un équivalent satisfaisant en français, celui de société tribale ne convenant guère, et que les auteurs de langue anglaise tra- duisent souvent par tribal state, les auteurs allemands par Stammverband ou Stammstaat. et la Polis ou Cité (city-state, Stadtstaat). Cette distinction est souvent faire par les auteurs anciens par Thucydide et par Aristote notamment (l:r. On considère généralement que la Cité correspond, parmi les diverses sociétés politiques grecques de l'époque classique, à un stade plus avancé de l'évolution que l'Ethnos, ce qui laisse supposer que l'une était, d'une certaine manière, directement issue de l'autre (2). Le cours nonnal de cette évolution avait pu être, il est vrai, passablement per- turbé par la domination à laquelle une grande partie des Grecs s'étaient trouvés soumis au cours de la seconde moitié du deuxième millénaire, au temps des ttats palatiaux dits mycéniens, qui ont laissé de très visibles traces en de nombreuses régions de la Grèce. Cependant, la plupart des auteurs modernes admettent que, après cet intennède et les destructions du XIlème siècle, il y aurait eu régression vers quelque ordre «tribal» de type «primitif». «Le régime des génè et des tribus reprenait le dessus, écrivait Glotz, avec un caractère fortement guerrier, et l'évolution qui tendait à le subordonner à l'ttat, à la Cité, était arrêté net. Tout était à recommencer» (3). De même V. Ehrenberg parle de «retour général aux conditions primitives» à partir de 1200 et pense que «l'ordre tribal reprit alors tous ses droits» (4). Et Ml. Finley, admettant que les destructions et les mouvements de populations du XIlème siècle avaient anéanti l'essentiel des structures poli- tiques antérieures, affinne que les sociétés grecques se trouvèrent à nouveau régies sans partage par le principe de la parenté (5). Ainsi le monde grec serait en quelque sorte revenu en arrière après la chute des Etats mycéniens, puis serait reparti sur un nouveau pied pour aboutir cette fois non plus à la création d'ttats palatiaux, mais à des fonnes toutes neuves de sociétés politiques, les Cités. On sait, sans doute, que des populations de langue grecque, établies à la périphérie du monde mycénien ou plus loin encore vers le nord et n'ayant donc jamais relevé de l'autorité des adminis- trations palatiales vinrent s'établir, à la fm du Hème millénaire, dans bien des régions antérieu- rement soumises aux rois et aux fonctionnaires de Mycènes, de Pylos et d'ailleurs. Selon certains, elles auraient ainsi instauré dans ces régions un ordre «tribal» plus authentique, plus confonne au modèle «primitif». Les autres Grecs, livrés à une sorte d'anarchie après la disparition des structures politiques et administratives dans lesquelles leur vie s'était déroulée depuis plusieurs générations et traînant après eux le poids de ce passé, auraient alors été amenés, par la force des choses, à s'adapter tant bien que mal à cette situation nouvelle, amalgamant ce qui pouvait rester autour d'eux et en eux de leur héritage mycénien avec un «tribalisme» remonté du fond des âges, que les circonstances leur commandaient de faire revivre. A cette façon de voir se rattache le mythe de la pureté dorienne opposée à une sorte de bâtardise ionienne (6). Malgré cela et en dépit d'une diver- sité due à ces accidents ltistoriques, les Cités grecques tant ioniennes que doriennes ou éoliennes *Voir notes p. Il. 4 D. ROUSSEL se seraient toutes constituées vers la fin des âges obscurs à partir de groupes sociaux dont la nature ne s'expliquerait que par référence à une organisation antérieure de type «tribal». «Les unités sociales fondamentales qui survivaient à l'époque historique, écrit Ch. Starr, étaient la famille, le clan, l'association de guerriers (warrior band) et la tribu» (7). Si l'on s'en tient à une conception évolutionniste du développement des sociétés grecques, ces thèses paraissent tout à fait conformes à la vraisemblance. Les Grecs de l'époque classique eux-mèmes, qui n'étaient pas aussi dépourvus qu'on le dit souvent d'un certain «sens de l'histoire», auraient sans doute pu les admettre. L'idée d'un recommencement après les cataclysmes de la fin du deuxième millénaire n'aurait pas déplu au Platon des Lois. Et les indices aussi ne manquent pas qui nous orientent dans ce sens. Les termes grecs qui désignent les unités sociales dans les Cités, la patra, la phratrie et la phylè, évoquent des groupes fondés sur les liens du sang (8). Ils paraissent donc nous renvoyer à un type d'organisation régie par la parenté, sans référence à aucune forme d'administration d'État, ce qui est une des caractéristiques essentielles des sociétés tribales ou «archaïques», dites aussi parfois sociétés «sans État». Et l'organisation de la Cité, dans les premiers temps de son existence surtout, paraît reproduire d'une certaine manière un modèle tribal, avec cette différence que les groupes constitutifs de l'ancienne société, maintenus dans l'organisation nouvelle, se trouveraient désormais engagés dans un long processus d'intégration de nature de plus en plus «politique» (9). C'est ainsi qu'on les retrouve encore sous les mêmes noms au bout de quelques siècles, dans les Cités de l'âge classique, bien que la patra ne soit plus alors un véritable clan, ni la phylè une véritable tribu. Cela pourrait fort bien s'expliquer par l'histoire écoulée depuis la naissance de ces Cités, les réformes successives et les révolutions politiques ayant tant de fois et si profondément remanié les anciens groupes qu'ils en auraient été comme uploads/Litterature/ roussel-tribu-et-cite-pdf.pdf

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